Les TOP cinéma fleurissent à cette époque de l’année. Forcément subjectifs, ils sont l’occasion, pour leur auteur, de se retourner sur des projections mémorables, et pour leurs lecteurs d’y dénicher, parfois, des idées de visionnage.
Le TOP 9 de Citizen Poulpe
Nulle règle ne s’impose à Citizen Poulpe, y compris celle des TOP avec des nombres pairs.
Voici donc les 9 films qui m’ont marqué cette année, dans un ordre qui ne traduit aucune préférence. Vous trouverez sous cette sélection 8 autres films sortis en 2023 dont je recommande chaudement la vision.
Trenque Lauquen
Le dernier film de Laura Citarella, membre du collectif argentin Pampero Cine, est un jeu de pistes fascinant, entraînant le spectateur dans des paysages qui convoquent l’invisible, le hors-champ, le passé et l’univers des rêves.
Divisé en deux parties, Trenque Lauquen s’étire peut-être un peu trop au cours de la seconde, mais sa manière d’emmener peu à peu une enquête mystérieuse sur le territoire ambigu du réalisme magique, ou du fantastique réel c’est selon, fascinera notamment les amateurs d’une certaine littérature argentine, et non des moindres, celle pratiquée par exemple par Jorge Luis Borges et Julio Cortázar.
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Les Filles d’Olfa
Qu’est-ce qui peut pousser deux jeunes femmes à rejoindre les rangs d’une organisation terroriste fondamentalement misogyne ? Il n’y a pas une seule réponse à cela, bien évidemment, mais plusieurs pistes qui se dessinent, certaines liées à l’intimité, d’autres à une société, une histoire et une culture qui d’ailleurs, influent forcément sur la sphère intime.
Les Filles d’Olfa, de Mani Haghighi, basé sur une authentique histoire, propose de réfléchir à ce phénomène complexe à travers un procédé étonnant faisant appel à des comédiennes et aux véritables actrices du drame à la fois familial et collectif dont il est question ici. C’est émouvant, enrichissant et intelligent du premier au dernier plan.
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Anatomie d’une chute
On pourra trouver ce choix téléphoné, le dernier film de Justine Triet se trouvant sans doute dans le TOP 2023 d’une majorité de critiques cinéma, mais c’est pour sa finesse d’écriture, l’intelligence de sa mise en scène et sa qualité d’interprétation qu’il est présent ici, et non du fait d’un quelconque effet de mode ou d’influence.
Anatomie d’une chute est malin dès son titre, qui cite l’un des meilleurs films de procès de l’histoire (Anatomy of a Murder, d’Otto Preminger), tout en utilisant un terme (chute) pouvant avoir un sens propre comme figuré.
Le film montre comme rarement ce qu’un procès peut avoir d’ambigu, ainsi que la façon dont il met en scène des éléments dont la relation avec l’événement principal (la mort d’un homme, en l’occurrence) est parfois très indirecte. En l’absence de preuves matérielles accablantes, d’aveux ou de témoins, la justice se doit en effet de composer, en partie, avec de la psychologie, des sentiments, des schémas relationnels, par définition troubles et insaisissables. Tout ou presque, ici, peut s’interpréter d’au moins deux manières différentes, et c’est un plaisir pour le spectateur-juré que de se saisir de cette matière mouvante, riche, à une époque où les points de vue binaires et les films didactiques ont le vent en poupe.
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Le Procès Goldman
Les parcours de certains hommes, indépendamment de leurs qualités et de leurs défauts, renvoient sans cesse aux différents contextes historiques dans lesquels ils se sont inscrits. Pierre Goldman illustre bien cette correspondance. Son procès, dans les années 1970, convoque la Seconde Guerre mondiale, la révolution cubaine, mai 68, la France des années 1960-70, le racisme systémique sous toutes ses formes – contre les juifs, les arabes, les noirs… Même l’ombre de Dreyfus plane dans la salle d’audience, bien que le parallèle relève davantage du fantasme, du réflexe inconscient que d’une réelle similarité (Dreyfus, innocent, a été condamné parce que juif ; le cas Goldman est plus ambigu).
Les images en format 4/3, cadrées au millimètre par Cédric Kahn, nous enferment littéralement dans une salle où théâtralité, maux d’une société, contradictions humaines et recherche d’une vérité quasi impossible se mêlent pour former un ensemble aux multiples strates, qui continue d’interroger notre intelligence bien après le générique de fin.
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Killers of the Flower Moon
À titre personnel, la filmographie de Martin Scorsese depuis 2000 ne me passionne pas particulièrement, tandis que ses célèbres films sur la mafia (Les Affranchis ; Casino), si maîtrisés soient-ils, ont fini par me lasser, peut-être parce qu’ils dépeignent un milieu ultra matérialiste et toxique avec une forme d’esthétisation un peu problématique à mon sens. Ses grands chefs d’oeuvre dataient donc selon moi essentiellement des années 1970-80, même si je porte une certaine affection à sa version des Nerfs à vif, sorte de série B rutilante à la fois grotesque et séduisante, comme peut l’être le cinéma de Brian de Palma.
En adaptant le nonfiction novel du journaliste et auteur David Grann intitulé Killers of the Flower Moon, basé sur une page aussi sombre que méconnue de l’histoire des États-Unis au 20ème siècle, Scorsese non seulement rend hommage à des amérindiens si souvent méprisés, oubliés et violentés, mais il signe également l’un de ses meilleurs longs métrages, adoptant un style sobre à la hauteur des enjeux du récit et de la tragédie qu’il raconte.
Malgré sa longueur, le film n’ennuie jamais tant il provoque, chez le spectateur, un perpétuel sentiment d’indignation, et tant la narration s’y montre rigoureuse. Sans parler d’un trio d’acteurs exceptionnel : dans le rôle d’un salopard cynique, Robert de Niro rappelle au monde entier qu’il est l’un des meilleurs acteurs de l’histoire du cinéma ; DiCaprio prend des risques assumés et finalement cohérents à travers un jeu audacieux ; tandis que Lily Gladstone illumine l’écran de son aura, elle qui nous avait déjà tant émus dans le superbe Certaines femmes de Kelly Reichardt.
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Vengeance is Mine
Certes, Vengeance is Mine est un téléfilm de Michael Roemer daté de 1984, mais il aura fallu attendre 2023 pour le voir sur des écrans français, aussi sa présence dans ce TOP cinéma est d’autant plus justifiée qu’il s’agit d’une oeuvre dont la construction dramatique impressionne de bout en bout. On y suit un personnage féminin complexe qui va se retrouver confronté, à travers sa rencontre avec une inconnue, à un passé familial venimeux.
Prenant parfois presque des allures de thriller, Vengance is Mine est avant tout un remarquable portrait de femme, d’une subtilité exceptionnelle, que la composition de Brooke Adams rend d’autant plus vivant et émouvant. Un chef d’oeuvre.
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Vermines
Un spider movie français ? Voilà une proposition que l’on n’attendait pas et pourtant, c’est celle de Sébastien Vanicek, le jeune réalisateur autodidacte de Vermines. Alors que le cinéma d’horreur hexagonal se sent souvent obligé d’afficher un auteurisme ronflant pour s’attirer une sorte de respectabilité aux yeux de certains journalistes snobs et gavés d’idées reçues, Vanicek joue la carte du divertissement popcorn et il la joue très bien, d’autant plus qu’il la combine avec des cartes sociales et politiques, retournées habilement en cours de route.
On peut faire du cinéma d’horreur intelligent et conscient tout en se donnant pour mission première de divertir et de procurer des émotions fortes. Vermines (toujours au cinéma à l’heure où j’écris ces lignes) en fait brillamment la démonstration.
Les Rascals
Début 2023, Jimmy Laporal-Trésor nous souhaitait une bonne année en nous envoyant un coup de poing américain dans le ventre, les lettres R-A-S-C-A-L-S inscrites sur l’acier glacé.
Empruntant entre autres aux Warriors de Walter Hill, Les Rascals ne sent pour autant pas le réchauffé, parvenant à affirmer une identité propre tout en assumant ses références (West Side Story ; The Outsiders…). Le récit, inscrit dans le contexte de la guerre
entre jeunes de banlieue et skinheads dans les années 1980, est particulièrement tendu et d’une violence plus sèche et réaliste que celle, volontairement très bande dessinée
, des Warriors.
Illustrant l’engrenage de la vengeance, le scénario évite d’être trop manichéen, tout en s’aventurant sur des sentiers rarement empruntés par le cinéma français (le film de bande urbain) et en décrivant à sa manière (volontairement non naturaliste) un racisme d’extrême-droite encore très présent aujourd’hui. La campagne virale contre le film Avant que les flammes ne s’éteignent, et surtout l’expédition d’un groupe d’ultradroite à Romans-sur-Isère cet automne, sont autant d’échos contemporains à ce que raconte le réalisateur des Rascals, avec talent et parfois un peu de maladresse (sur la toute fin notamment).
Chien de la casse
Des trios amoureux, on en a vu beaucoup au cinéma, avec une dynamique toute trouvée. Dans Chien de la casse, ce schéma dramatique est une fausse piste, le film explorant avant tout une amitié masculine aux ressorts complexes, sur fond d’une province rarement montrée ainsi au cinéma. L’environnement géographique et social du récit est finement décrit, de même que les personnages, incarnés par trois des comédiens les plus prometteurs de leur génération : Anthony Bajon, Raphaël Quenard et Galatéa Bellugi (vue également en 2023 dans La Fille d’Albino Rodrigue).
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8 autres films recommandés
Cette année, j’ai aussi été séduit par Rue des Dames, une chronique sociale et urbaine concoctée par Hamé et Ekoué (issus du groupe de hip-hop La Rumeur, et qui se montrent aussi habiles derrière une caméra que derrière un micro) ; par L’Enfant du paradis, où l’on suit un jeune comédien tiraillé entre passé et avenir, entre les codes de la banlieue et ceux du milieu du cinéma, incarné avec brio par le réalisateur lui-même (Salim Kechiouche) ; par le chaleureux et bienveillant Winter Break, d’Alexander Payne ; par Le Syndrôme des amours passés, comédie romantique belge plus moderne et plus amusante que bien d’autres films du genre ; par How to Have Sex, qui traite avec justesse de la notion de consentement, dont le point fort est selon moi le jeu émouvant et sobre de Mia McKenna-Bruce ; par Les Âmes soeurs, dans lequel André Téchiné aborde avec grâce et sans jugement un sujet éminemment sensible ; par Pour la France, oeuvre très personnelle de Rachid Hami puisque basée sur la tragique expérience de son propre frère, dont le cinéate tire un beau récit familial ; et enfin par Les Ombres persanes, envoutant et tragique jeu de miroirs orchestré par le réalisateur iranien Mani Haghighi.
Chacun des films ci-dessus aurait pu figurer dans le TOP cinéma, mais il a bien fallu faire des choix… J’ajouterais que la campagne virale d’extrême droite orchestrée contre le film Avant que les flammes ne s’éteignent, certes imparfait mais intéressant et très honnête, m’a particulièrement indigné par sa mauvaise foi et son racisme à peine voilé.
J’ai également vécu de belles émotions en me rendant au festival rennois Court-Métrange, objet de plusieurs chroniques sur ce site dont voici la première, à L’Étrange festival 2023 et au festival du film franco-arabe de Noisy-le-Sec, où j’ai pu voir le très beau Bye Bye Tibériade de Lina Soualem, qui sortira en 2024.
Il me reste à vous souhaiter à toutes et tous une belle année cinéma 2024. Guettez les sorties et fiez-vous avant tout à votre instinct, quitte à aller voir des films dont on parle peu. Et n’hésitez pas à commenter et à enrichir ce TOP cinéma bien sûr !
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