Film de Chloe Okuno
Année de sortie : 2022
Pays : États-Unis
Scénario : Chloe Okuno
Photographie : Benjamin Kirk Nielsen
Montage : Michael Block
Musique : Nathan Halpern
Avec : Maika Monroe, Karl Glusman, Burn Gorman
Avec Watcher, Chloe Okuno livre un thriller divertissant, dont les idées intéressantes peinent toutefois à s’épanouir, restreintes par un cadre trop figé et un personnage qui manque de consistance.
Synopsis du film
Julia (Maika Monroe) et Francis (Karl Glusman) s’installent à Bucarest, où Francis a trouvé un emploi dans le marketing. La mère de Francis étant roumaine, celui-ci parle couramment la langue, ce qui n’est pas le cas de Julia, qui peine à trouver ses marques, comme à occuper ses journées.
Pour ne rien arranger, elle soupçonne un habitant de l’immeuble d’en face d’être un voyeur. Son inquiétude redouble d’intensité lorsque le couple entend parler d’un tueur de femmes sévissant dans le quartier…
Critique de The Watcher
Depuis Fenêtre sur cour, le voyeurisme est un thème récurrent dans le thriller. Watcher, toutefois, se place du côté de l’observé(e), ce qui change à peu près tout : on ne joue pas avec la tentation de voir ce qu’on ne devrait pas voir, mais avec la peur d’être vu, regardé à son insu. Plusieurs thrillers urbains (les grandes villes se prêtant bien à ce sentiment) ont utilisé ce ressort, avec plus ou moins d’inspiration selon les cas.

À partir de ce point de départ très classique, la réalisatrice et scénariste Chloe Okuno apporte plusieurs idées intéressantes. La protagoniste, Julia, commence une nouvelle vie dans un pays étranger (la Roumanie), dont son compagnon est originaire. Contrairement à lui, elle ne connait ni les lieux, ni la culture, ni la langue. Elle manque donc de points de repères, et la réalisation le souligne fréquemment. On la voit ainsi souvent dans des plans d’ensemble qui exprime très clairement son sentiment de solitude et d’égarement.

Cet état d’esprit bien particulier est voué non pas seulement à augmenter l’inconfort de Julia, qui soupçonne un voisin de l’espionner, mais également à créer chez le spectateur un sentiment d’ambiguïté : le voisin en question est-il vraiment menaçant, ou Julia est-elle victime de son anxiété ? En d’autres termes, le potentiel voyeur serait, dans cette perspective, la métaphore de l’angoisse que peut inspirer un cadre de vie nouveau, et non pas un énième pervers comme on en compte des dizaines dans les thrillers du même genre (dans Le Locataire, Roman Polanski instaurait une ambiguïté de ce type, autour d’un étranger s’installant à Paris).

Le scénario de Watcher comporte une dimension féministe. Les réactions du mari de Julia, Francis, reflètent en effet une vision basée sur des clichés sexistes : sa femme serait la proie de ses émotions ; peu rationnelle ; trop imaginative et sensible… Face à cette attitude paternaliste, Julia se retrouve d’autant plus seule, et son parcours dans le film prend alors une résonance collective (en ce sens qu’il renvoie, en partie, à certains aspects de la condition des femmes).

Le problème, c’est qu’il manque un petit quelque chose à ce personnage pour qu’on puisse véritablement mettre en perspective ce qu’il traverse dans le film avec sa psychologie ou son expérience. Si encore la réalisatrice jouait la carte du mystère, cela aurait aussi pu fonctionner, mais Julia n’est pas non plus particulièrement intrigante ou mystérieuse. Malgré la bonne interprétation de Maika Monroe (vue dans le très attachant Villains), la protagoniste manque donc un peu de consistance, d’aspérités aussi. Or le film est tellement centré sur elle qu’il était pourtant nécessaire de lui apporter suffisamment de dimension pour qu’elle ne soit pas réduite à un symbole (celui d’une femme qui tente de réagir face à l’oppression exercée par un homme).

On a un peu le sentiment qu’Okuno, pour son premier long métrage, a joué la carte de la sécurité, livrant une copie propre (la photographie et les cadrages sont léchés) mais qui peine à marquer la mémoire du spectateur. On verra si le jury de la 48ème édition du festival de Deauville se laissera séduire par ce premier film, qui fait partie de la sélection en compétition ; il se regarde, en tout cas, sans déplaisir.
Watcher parvient à greffer de bonnes idées sur une situation archi-classique, et réserve d'efficaces et "hitchockiens" moments de tension. Mais son ambiguïté première finit par se retrouver sur des voies trop étroitement balisées, que la réalisatrice emprunte avec maîtrise mais sans doute trop sagement. Le film se suit néanmoins agréablement, d'autant que Maika Monroe y livre une composition solide. Si vous appréciez cette comédienne, n'hésitez pas à voir Villains, hélas snobé par les distributeurs français.
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