Suite des chroniques du festival Format Court 2024 au Studio des Ursulines avec le compte-rendu de la séance n°3 des courts métrages en compétition.
Les Rossignols, de Juliette Saint-Sardos
Une jeune fille avance vers la caméra en fixant l’objectif, adressant des paroles cinglantes à un mystérieux interlocuteur hors-champ. C’est par cette scène d’emblée saisissante que commence Les Rossignols, un drame familial sous les ciels romains, où l’on suit trois personnages : Henri (Grégoire Colin, qui a des faux airs d’Alain Bashung), sa fille Isadora (Ana-Lou Castoldi), née d’un amour de jeunesse, et sa nouvelle compagne Anaïs (Constance Rousseau). Le film est habité à la fois par la révolte d’Isadora, en colère contre son père et plus largement contre une société dominée par les hommes, et par la mélancolie sourde d’Anaïs ; le personnage du père, lui, navigue entre ces deux femmes sans paraître vraiment les comprendre (en particulier sa fille).
La caméra de Juliette Saint-Sardos excelle dans l’art subtil d’utiliser les décors et les paysages pour exprimer les états d’âme et sentiments des personnages. La cinéaste procède souvent par suggestion, ne dévoilant que des bribes biographiques, préférant stimuler les sensations, l’intuition et l’émotion qu’une analyse psychologique définitive. Dans une courte séquence (celle tournée près d’un cimetière), elle créé un sentiment d’anxiété et de vertige un peu à la façon d’un David Lynch, un cinéaste qu’elle admire, de son propre aveu. Mais dans son ensemble, Les Rossignols ne ressemble à aucun film du réalisateur de Blue Velvet : il porte la signature d’une autrice avec sa sensibilité propre et douée d’une évidente maîtrise formelle, dont on espère découvrir bientôt de nouvelles oeuvres.
Dolce casa, de Stéphanie Halfon
Je ne lis pas toujours le synopsis d’un film avant de le regarder et au tout début de Dolce casa, je me suis parfois dit : la réalisatrice arrive vraiment à donner l’illusion du documentaire. Or, c’en est un, comme je l’ai compris ensuite…
Il nous fait plonger dans le quotidien d’une femme (Maggy), contrainte (il s’agit d’une injonction du tribunal) de quitter la maison dans laquelle elle a vécu avec son mari, et dont on devine que sa vie de mère et d’épouse ne lui pas donné la possibilité de se créer une indépendance véritable sur le plan économique. On retrouve ici les motifs de la famille et du patriarcat, déjà présents dans Les Rossignols et d’ailleurs, Dolce casa se déroule également à Rome.
Tourné dans l’urgence par l’une des filles de Maggy, la réalisatrice Stéphanie Halfon, Dolce casa interpelle de par la situation assez ubuesque, et finalement très représentative (d’un schéma de domination ancien) qu’il nous présente ; mais il possède aussi de vraies belles idées de cinéma, comme cette scène où la bande son d’une vieille fête d’anniversaire résonne dans la maison vide.
À court de mots, de Lara Pinta
À courts de mots n’est, lui, pas un documentaire, mais il s’inspire directement de la vie de l’un de ses interprètes. Ce film autoproduit (chapeau) de Lara Pinta illustre, d’une manière à la fois touchante et drôle, le fait que les enfants d’immigrés ne parle pas souvent, ou en tout cas pas très bien (et ce n’est évidemment pas un jugement), la langue du pays d’origine de leurs parents ou grands-parents (la Tunisie en l’occurrence). L’idée de donner à une téléopératrice un rôle inattendu d’interprète entre un jeune guide touristique parisien et sa grand-mère n’est pas seulement amusante, elle est juste : pour avoir travaillé dans le télémarketing, je peux témoigner du fait que les salariés, dans ce domaine, ont souvent des origines diverses.
À noter que la grand-mère, dans le film, est la véritable grand-mère de l’acteur, et qu’À courts de mots est le tout premier film qu’elle a vu au cinéma ! C’est plutôt un joli baptême.
Note : À courts de mots a été présenté au Festival du film franco-arabe de Noisy-le-Sec, dont je vous ai parlé cet automne.
Mémoires du bois, de Théo Vincent
C’est un lieu bien précis dans le bois de Vincennes qui a inspiré l’idée du film à son réalisateur, Théo Vincent. Ce lieu, ce sont les ruines d’un jardin tropical créé à l’époque des colonies françaises (qui n’était pas un temps béni
, contrairement à ce que dit une certaine chanson). Le cinéaste imagine dès lors une histoire de deuil intime, et donc une histoire de mémoire, qui vient d’autant plus résonner avec la mémoire collective représentée par les vestiges coloniaux que Moussa, le protagoniste du film, est d’origine sénégalaise.
Par sa façon d’ancrer le fantastique dans le réel, d’injecter des croyances lointaines dans un paysage familier et d’interroger un passé complexe et problématique, le film trace un chemin sinueux entre les arbres du bois de Vincennes, que l’on suit avec un mélange de curiosité et de vague inquiétude.
Notons qu’il existe d’autres fantômes en ce lieu : celui de l’Université de Vincennes, née des idées de mai 68 et dont il ne reste plus la moindre trace aujourd’hui…
Lire Au bois de Vincennes, l’épineux dossier des vestiges coloniaux laissés à l’abandon
Déshabille-moi, de Florent Médina et Maxime Vaudano
Cela commence comme Unfriended: Dark Web par une image d’écran d’ordinateur plein cadre, mais c’est beaucoup plus drôle et fin que le film (divertissant, ceci dit) de Stephen Susco.
Tout est bien amené dans Déshabille-moi : la rédaction (par un jeune étudiant) d’une thèse plutôt féministe abandonnée au profit d’un site de striptease en ligne, puis une inversion des rôles, et donc des codes genrés, dont les deux jeunes cinéastes (qui ont imaginé ce projet pendant le confinement, d’où l’économie de lieux) s’amusent intelligemment. Dans des rôles délicats, les deux interprètes (Thimothée Robart et Lou Roy-Lecollinet) sont hyper convaincants et contribuent grandement à l’efficacité de ce court métrage qui renvoie, avec légèreté, à des thématiques souvent abordées aujourd’hui.
Voir une interview des réalisateurs
Pour conclure
Je garderai de cette troisième séance un excellent souvenir ; j’ai d’ailleurs été incapable de voter pour l’un des films en particulier à la sortie, leur ayant tous trouvé des qualités diverses. Tous, à leur façon, décrivent des trajectoires intimes qui résonnent avec une histoire collective, ou des thématiques sociétales plus globales (la colonisation ; l’immigration ; le patriarcat ; les stéréotypes de genre ; etc.).
(Je préciserai que le couscous merguez de la brasserie Les Ursulines, à quelque pas du cinéma, a ajouté une savoureuse note épicée à cette belle soirée de cinéma.)
Lire la chronique de la séance n°1
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