Film de Jean-Marc Moutout
Année de sortie : 2004
Pays : France
Scénario : Jean-Marc Moutout
Photographie : Claude Garnier
Montage : Marie-Hélène Mora
Musique : Silvain Vanot
Avec : Jérémie Renier, Laurent Lucas, Cylia Malki, Olivier Perrier, Samir Guesmi, Martine Chevallier, Pierre Cassignard, Dani
Hugo Paradis : Avec une baisse des coûts de 15 à 20%, plus les économies d’échelle, c’est la solution la plus rentable. Donc, la seule.
Violence des échanges en milieu tempéré pose un regard lucide sur l’entreprise moderne et sur la dure loi du marché, à travers un récit admirablement bien construit et dialogué.
Synopsis du film
Philippe Seigner (Jérémie Renier) est un jeune diplômé d’école de commerce, qui quitte sa province natale pour aller travailler à Paris comme consultant au sein d’un cabinet de conseil en management d’entreprises. Hugo Paradis (Laurent Lucas), son supérieur direct, lui confie d’emblée une mission délicate : auditer la société Janson Metal Industrie, sur le point d’être rachetée par un acquéreur. Moins expérimenté que ses collègues, Philippe voit dans ce poste et dans cette tâche bien précise une belle opportunité pour lancer sa carrière.
Lors du trajet en métro qu’il effectue pour se rendre au sein de l’entreprise à auditer (basée à la Défense), Philippe rencontre Eva (Cylia Malki), une jeune mère qui élève seule son enfant, avec laquelle il entame une liaison amoureuse.
Mais cette relation naissante est rapidement parasitée par des soucis liés à la fameuse mission d’audit : Philippe réalise en effet peu à peu qu’il va devoir participer activement au plan de restructuration lié au rachat de Janson (dont pratiquement personne n’est informé), non seulement en proposant une nouvelle organisation de travail mais surtout en poussant l’entreprise à se séparer de plus de 80 salariés.
Entre son supérieur qui lui met la pression, sa petite amie qui désapprouve sa mission et des salariés à qui il doit cacher la terrible vérité, Philippe va éprouver ce qu’on appelle communément un cas de conscience…
Critique de Violence des échanges en milieu tempéré
Une réalité économique et sociale bien réelle (et toujours d’actualité)
Tout sujet de film présente des difficultés spécifiques. En l’occurrence, traiter du monde de l’entreprise au cinéma d’un point de vue critique peut donner lieu à un film caricatural, démagogique, où les difficultés sociales et économiques sont autant de prétextes à verser dans un certain misérabilisme. On a alors un peu l’impression – peut-être trompeuse – que les auteurs sont davantage motivés par la volonté de se donner bonne conscience que par celle de construire un récit intelligent et rigoureux, exempt de clichés.
Si le film Deux jours, une nuit (2014) des frères Dardenne n’échappait pas à ces travers, Violence des échanges en milieu tempéré s’affirme à l’inverse comme une œuvre particulièrement aboutie, qui ne cherche jamais à trop appuyer le discours et privilégie un traitement sobre et nuancé. Cette sobriété, loin d’altérer la dimension critique (bien réelle) du propos, lui donne au contraire davantage de résonance.
En racontant cette histoire de jeune cadre travaillant dans un cabinet d’audit, et en décrivant soigneusement le cas de conscience auquel sa mission va le confronter, le film de Jean-Marc Moutout nous parle bien entendu d’une réalité économique profondément actuelle. À savoir qu’une entreprise, même si elle génère des bénéfices importants (c’est le cas de l’entreprise audité par le protagoniste), va licencier dans une logique d’anticipation permanente, de compétitivité extrême. Le tout dans un contexte où les concentrations et acquisitions ne laissent pas de place pour les « petits » et entraînent dans leur sillage (souvent du moins) des plans sociaux d’une ampleur variable.
Ces phénomènes créent un paradoxe au sein de l’entreprise moderne, quand elle dépasse une certaine taille du moins : là où tous les managers parlent de « donner du sens », « d’impliquer » le salarié (permettre à chacun de devenir autonome, responsable et impliqué
, comme le dit Hugo Paradis dans Violence des échanges en milieu tempéré), ce discours est mis à mal par le fait que l’avenir d’une entreprise est très largement décidé par des responsables et actionnaires physiquement éloignés du terrain, et que les individus les plus impactés par ces décisions sont ceux qui en sont le plus tardivement informés (à l’image des employés de la société dans le film, qui apprennent le rachat de leur entreprise bien après qu’il ait été acté). Difficile, dans ces conditions, de ne pas voir ces derniers comme les pions d’un échiquier à taille mondiale ; allez « trouver du sens » dans un pareil contexte…
Un récit initiatique d’une grande rigueur
Violence des échanges en milieu tempéré dresse ce diagnostic sans forcer le trait, et en illustrant subtilement les différentes conséquences – sociales, humaines, collectives et individuelles – de cet état de fait. Surtout, le message n’écrase jamais le récit, au contraire : en se montrant particulièrement exigeant au niveau des dialogues, de la caractérisation des personnages et de la construction dramatique, Jean-Marc Moutout place le récit au premier plan. Chaque personnage, indépendamment de son temps de présence à l’écran, sonne vrai et apporte un éclairage distinct et utile sur l’histoire ; chaque réplique est dite au bon moment, de la bonne manière ; et les séquences s’enchaînent selon un mécanisme d’une précision admirable. Avec un scénario et une direction d’acteurs aussi solides, il n’y a jamais besoin de surligner quoi que ce soit : c’est dans l’accumulation de petits détails, finement ordonnés, que l’ensemble trouve son sens et sa force.
Les comédiens font honneur à cette écriture sans faille qui donne aux différents personnages une place bien définie, sans pour autant les réduire à leur « fonction » au sein du récit. Par petites touches, l’auteur leur donne une épaisseur qui leur permettent d’échapper à la caricature et de mieux prendre vie à l’écran. L’évolution (professionnelle et intime) du protagoniste, par laquelle s’articule l’une des principales problématiques du film (comment rester fidèle à sa nature, quand on souhaite évoluer dans un contexte qui exige d’y renoncer en partie ?), est jusqu’au bout crédible et cohérente, et Jérémie Renier l’exprime dans toutes ses nuances.
Des répliques lourdes de sens
Violence des échanges en milieu tempéré comporte plusieurs répliques significatives montrant comment la vie professionnelle empiète sur la vie privée. Lors d’une séquence située vers le début du film, le manager de Philippe, ironiquement baptisé « Hugo Paradis » (on songe au tout aussi ironique Paradis pour tous d’Alain Jessua, qui aborde à sa façon des thématiques similaires), suggère au jeune homme de fonder une famille car la famille c’est important pour pas péter les plombs
. Ce conseil (parfaitement déplacé) souligne que le conditionnement du salarié passe aussi par une certaine « normalisation » de sa vie personnelle. On songe au célèbre roman Le Démon, de l’écrivain américain Hubert Selby Junior, dont le protagoniste – un séducteur invétéré – se marie en partie sous la pression de son supérieur hiérarchique.
Si l’on ajoute à tout cela une musique originale très réussie de Silvain Vanot et, cerise sur la gâteau, la présence savoureuse de l’un des meilleurs groupes d’indie pop français de ces vingt dernières années (Holden, qui interprète deux morceaux lors d’une séquence tournée dans un bar parisien), on en conclura logiquement que Jean-Marc Moutout est un homme de goût, et qu’il a signé avec Violence des échanges en milieu tempéré l’un des fleurons du cinéma social hexagonal contemporain.

L’excellent groupe Holden apparaît dans « Violence des échanges en milieu tempéré ». De gauche à droite : Mocke, Armelle Pioline et Richard Cousin.
Servi par une écriture au cordeau, un sens aigu de la construction dramatique et une excellente direction d'acteurs, Violence des échanges en milieu tempéré s'affirme comme une critique sociale intelligente et tout en finesse. C'est aussi un récit initiatique amer, qui ne laisse guère planer d'illusion quant à l'actuel marché du travail. Dans ce contexte, les vacances bretonnes de Philippe et Eva, passées à faire du vélo sur des petites routes de campagne, incarnent une insousciance bien éphémère : le protagoniste aura tôt fait d'emprunter des routes plus rapides, plus froides et encombrées. On suppose néanmoins, comme le suggère la fin du film, que le souvenir des "moments doux" le taraudera longtemps...
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