Si Diane Keaton est l’une des grandes comédiennes du cinéma américain, ce n’est pas tant en raison du nombre impressionnant (une cinquantaine) de films dans lesquels elle a joué que de la grande qualité de plusieurs d’entre eux et bien sûr, des compositions remarquables qu’elle livra à ces occasions. Nous allons ici nous pencher en particulier sur quatre films majeurs qui lui offrirent peut-être les plus beaux rôles de sa carrière : Annie Hall, de Woody Allen ; À la recherche de Mister Goodbar, de Richard Brooks ; Reds, de Warren Beatty et L’Usure du temps d’Alan Parker.
1977 : un tournant dans la carrière de Diane Keaton
La-di-da, la-di-da
… quiconque a vu Annie Hall (1977) se souvient probablement de ce charmant tic de langage propre à la jeune femme incarnée par Diane Keaton dans le 7ème long métrage de Woody Allen. Un film qui représenta un tournant pour elle comme pour lui : succédant à plusieurs comédies à la limite du burlesque, Annie Hall est le premier film dramatique d’Allen (même s’il comporte de nombreuses scènes drôles) ; quant à Diane Keaton, son rôle lui valut une pluie de récompenses (5 au total) – les premières de sa longue carrière d’actrice.
Keaton (qui avait alors une trentaine d’années) n’était ceci dit pas une débutante. Quelques années plus tôt, en 1972 exactement, elle était à l’affiche du fameux Parrain de Coppola, où elle joue l’épouse de Michael Corleone (Al Pacino) – rôle qu’elle reprendra d’ailleurs dans les deux autres films de la trilogie. Ce n’était pas non plus la première collaboration entre Keaton et Woody Allen : tous deux avaient joué dans Tombe les filles et tais-toi, écrit par Woody Allen (réalisé par Herbert Ross), ainsi que dans Woody et les robots et l’excellent Guerre et amour (écrits et réalisés par Allen). Ces rôles successifs avaient bien sûr contribué à la renommée de la comédienne et à sa reconnaissance par la critique ; mais c’est clairement le rôle d’Annie Hall qui la propulsa sur le devant de la scène.
Il faut dire qu’elle est remarquable dans le film. Elle y incarne une femme moderne, indépendante – nous sommes à la fin des années 70, le mouvement de libération des femmes est passé par là -, drôle, touchante et complexe. Sa beauté et son talent d’actrice irradient l’écran. Sa voix délicate, aussi, nous touche : quand elle interprète, avec beaucoup de grâce, deux standards de jazz (It Had to Be You d’Isham Jones et Gus Kahn, et It Seems Like Old Times de Carmen Lombardo et John Jacob Loeb), le personnage d’Alvy Singer (Woody Allen) ne peut que tomber amoureux – et avec lui une partie du public…
La même année, Diane Keaton est à l’affiche de À la recherche de Mister Goodbar (Looking for Mr. Goodbar), de Richard Brooks. Elle y joue aussi une femme très libre, différente toutefois d’Annie Hall ; Theresa Dunn, élevée dans une famille très stricte, collectionne les soirées arrosées et les amants d’un soir (dont un certain Richard Gere). La libération sexuelle est au cœur du roman de Judith Rossner sur lequel le film est basé, et elle n’est pas que synonyme d’épanouissement. La « quête » effrénée de l’héroïne est clairement une manière de fuir une éducation trop sévère et patriarcale, mais elle finit par se heurter à un certain manque de sens, avant qu’un final éprouvant et brutal ne vienne rappeler une réalité terrible : une femme qui choisit ce mode de vie s’expose potentiellement à la violence de certains hommes.
Le film fut un succès commercial, tandis que la presse fut davantage partagée ; il s’agit néanmoins d’une œuvre très intéressante à bien des égards, reflet d’une époque mais dont le propos est encore pertinent aujourd’hui, et dans laquelle Diane Keaton (omniprésente dans le film) témoigna à nouveau d’une présence et d’une justesse remarquables (sa prestation fut d’ailleurs unanimement saluée).
La rencontre avec Warren Beatty
Dans la foulée, Diane Keaton participa à deux autres films de Woody Allen : le très bergmanien Interiors (1978) et Manhattan (1979), qui reste l’un des films les plus cultes de son auteur. En 1979, elle rencontre Warren Beatty et tous deux entament une relation amoureuse qui donna rapidement lieu à une collaboration professionnelle : Beatty confia en effet à Keaton un rôle majeur dans Reds, où l’interprète de Clyde dans le célèbre film d’Arthur Penn a la triple casquette d’acteur, réalisateur et co-scénariste (avec Trevor Griffiths).
Reds est un film ambitieux, une longue fresque de 195 minutes basée sur des personnages et événements historiques. Beatty y incarne en effet le journaliste John Reed, un socialiste activiste américain célèbre notamment pour sa couverture de la révolution bolchevique ; Keaton joue de son côté le rôle de son épouse Louise Bryant, qui n’a rien d’une potiche puisque Bryant était une journaliste et une féministe engagée.

Les véritables John Reed et Louise Bryant, dont le film Reds retrace le parcours (professionnel et intime)
Évidemment, le rôle va comme un gant à Diane Keaton qui, on l’aura remarqué, incarnait souvent alors, à l’écran, des femmes fortes et libres. Le film est à juste titre encensé par la critique. Reds réussit en effet une chose essentielle pour tout film historique, c’est-à-dire de rendre compte de la « petite » et de la grande histoire ; en d’autres termes, d’illustrer des enjeux sociaux, historiques mais aussi individuels, culturels et intimes (le film décrivant longuement la relation amoureuse complexe – et étonnamment moderne – entre Bryant et Reed). Notons au passage la présence de Jack Nicholson dans le rôle de l’auteur de théâtre Eugene O’Neill (auquel Woody Allen a récemment rendu hommage dans Wonder Wheel), qui n’était visiblement pas insensible aux charmes de Louise Bryant (et réciproquement). On ne l’en blâmera pas : c’était une femme apparemment passionnante.
Un duo poignant avec Albert Finney
Tous ces rôles dans des films de premier plan, qui sont le plus souvent des succès publics et critiques, font que Diane Keaton est une star « bankable » au début des années 80, au point que le producteur hollywoodien David Begelman, lorsque le réalisateur Alan Parker lui parle du scénario de L’Usure du temps (Shoot the Moon), aurait (usons par prudence du conditionnel) exigé que Keaton interprète l’un des deux rôles principaux. Parker sélectionna Albert Finney, un célèbre comédien britannique qu’il admirait (et pour cause, quel acteur !), pour le rôle masculin.
L’histoire de L’Usure du temps est très simple : c’est celle d’un couple (George et Faith Dunlap, incarnés respectivement par Finney et Keaton) qui se sépare. Il faut rappeler que les divorces étaient probablement en augmentation à l’époque, et c’est en observant de nombreuses ruptures autour de lui que le scénariste Bo Goldman eut l’idée du sujet, avec l’idée de montrer notamment les conséquences de la séparation du couple sur leurs enfants.
Ici, Keaton incarne une mère au foyer délaissée assez éloignée des personnages évoqués ci-dessus (c’est Karen Allen, dans le rôle de la maîtresse de George, qui incarne la femme libre et indépendante dans le film), tandis qu’Albert Finney compose un homme attachant mais jaloux et impulsif, capable de redoutables accès de violence. Les deux comédiens sont absolument admirables dans le film : leurs scènes communes sont d’une justesse et d’une intensité rares, et il est indéniable que ces compositions se classent parmi les plus mémorables de leurs carrières respectives.
Si l’on ajoute à cela la qualité du texte de Bo Goldman, de la réalisation de Parker (qui avait déjà signé deux films cultes, à savoir Midnight Express et Fame) et de la photographie de Michael Seresin (que Parker retrouvera sur Angel Heart), on en conclura que L’Usure du temps est indéniablement l’un des plus beaux breakup movies qui soit (la célèbre critique américaine Pauline Kaël adorait le film).
Soulignons que Keaton y pousse à nouveau la chansonnette, comme dans Annie Hall, puisqu’elle fredonne (dans son bain) le titre If I Fell des Beatles (écrite par John Lennon et qui figure sur l’album A Hard’s Day Night). Le film comporte d’ailleurs un autre standard des années 60 : le très beau Play with Fire des Rolling Stones, que l’on entend lors d’une scène délicate où figurent Diane Keaton et Peter Weller (futur Robocop).
Pour conclure
Entre 1997 et 1982, Diane Keaton incarna (entre autres) une new-yorkaise aussi charmante qu’indépendante, une fille (un peu perdue) de la libération sexuelle, une journaliste féministe de renom et une femme au foyer meurtrie par un époux infidèle. Bien entendu, on ne peut résumer sa longue carrière à ces rôles, mais il est indéniable que c’est à cette époque qu’elle devint une star de cinéma et que la qualité des projets auxquels elle participa alors, en un laps de temps particulièrement court, force l’admiration.
Il appartient à chacun de choisir, parmi ces quatre films, lequel offrit la plus belle partition à Diane Keaton. Mais ce qui est certain, c’est que la pensée de cette comédienne a tendance à faire resurgir une lointaine (et aérienne) onomatopée, rappelée au début de cet article : La-di-da, la-di-da
…
Aucun commentaire