Film d’Alan Parker
Année de sortie : 1987
Pays : États-Unis, Royaume Uni
Scénario : Alan Parker, d’après le roman Falling Angel, de William Hjortsberg
Photographie : Michael Seresin
Montage : Gerry Hambling
Musique : Trevor Jones
Avec : Mickey Rourke, Robert de Niro, Charlotte Rampling, Lisa Bonet.
Louis Cyphre: Are you an atheist?
Harry Angel: Yeah, I’m from Brooklyn.
À la croisée du polar et du fantastique, Angel Heart est un film moite et vénéneux, qui permit à Mickey Rourke de livrer l’une de ses meilleures performances.
Synopsis d’Angel Heart
Brooklyn, années 50. Harry Angel (Mickey Rourke) est un détective privé spécialisé dans les affaires de divorce et d’assurances. Un dénommé Louis Cyphre (Robert de Niro) l’engage pour retrouver la trace d’un crooner d’avant guerre, Johnny Favorite, avec lequel il serait lié par un mystérieux contrat. L’enquête d’Harry va rapidement s’avérer particulièrement complexe et dangereuse…
Critique du film
Réalisé entre Birdy (1984) et Mississipi Burning (1988), Angel Heart occupe une place un peu à part dans la filmographie d’Alan Parker, dans la mesure où il s’agit de son unique incursion dans l’univers du polar. Le film n’a pas trouvé son public lors de sa sortie, peut-être parce qu’il était trop étrange, trop inclassable, trop dérangeant ; au fil du temps, il a cependant acquis une réputation flatteuse qu’il est loin de démériter.
Alan Parker et Michael Seresin
Le scénario d’Angel Heart a été écrit par Alan Parker lui-même, d’après un roman intitulé Falling Angel (1978) de l’écrivain et scénariste américain William Hjortsberg (à qui l’on doit notamment le scénario du film Legend, de Ridley Scott).
L’évolution de l’intrigue et de l’atmosphère, à mesure que l’on suit le personnage principal (campé par Mickey Rourke) de Brooklyn jusqu’à la Nouvelle-Orléans, s’opère de manière particulièrement habile. Angel Heart commence ainsi comme un film noir, dans lequel Parler instille peu à peu une dimension étrange et fantastique, par le biais entre autres du travail sur la lumière et d’une musique originale inquiétante signée Trevor Jones (sur laquelle nous reviendrons). Le récit emprunte des chemins particulièrement sinueux, et l’ensemble se distingue assez nettement non seulement des autres polars des années 80, mais de tous les films du genre en général : Angel Heart possède une vraie singularité, qui résiste fort bien au passage du temps.
Une histoire, c’est (entre autres) un lieu et une époque – du moins dans un grand nombre de cas. Faire ressentir ces différents éléments contextuels au spectateur est souvent l’une des conditions de la réussite d’un film (et d’un roman), de ce caractère immersif qui fait qu’une œuvre cinématographique devient une expérience à part entière. De ce point de vue, Angel Heart est une réussite : on ressent parfaitement l’ambiance du Brooklyn des années 50 puis celle de la Louisiane, cadres successifs de l’enquête tortueuse menée par le protagoniste.
Il faut dire qu’Alan Parker bénéficia d’un collaborateur de luxe en la personne de Michael Seresin, chef opérateur talentueux avec lequel il travailla également sur Bugsy Malone, Midnight Express, L’Usure du temps, Birdy et plus récemment The Life of David Gale, son dernier film à ce jour. La photographie de Seresin baigne le film dans une brume moite, fiévreuse par moment. Il y a une certaine élégance, un raffinement dans le grain de l’image, et en même temps elle a quelque chose de sale, de poisseux – un alliage qui évoque le mystérieux crooner recherché par Harry Angel… Ce lien entre l’esthétique du film et son histoire témoigne d’un travail particulièrement cohérent et subtil.
La musique d’Angel Heart
La contribution du célèbre compositeur sud-africain Trevor Jones est ici loin d’être négligeable. Les différents thèmes qu’il a signés pour Angel Heart renforcent l’atmosphère dérangeante voulue par Alan Parker. Il utilise intelligemment la chanson Girl of my Dreams, de Glen Gray – que l’on entend d’ailleurs à plusieurs reprises dans le film -, en reprenant note à note la mélodie au piano, transformant ainsi une ballade jazzy en une ritournelle inquiétante.
La trouvaille est représentative de la démarche d’un film inconfortable qui ne cesse d’explorer les failles et les parts d’ombre des personnages et des lieux dans lesquels ils évoluent : le médecin interrogé par Harry au début est un héroïnomane ; certains musiciens de jazz de la Nouvelle-Orléans côtoient de sanglants rites vaudou ; le prêcheur noir de Brooklyn exploite ses fidèles ; les flics de Louisiane sont racistes et violents ; Charlotte Rampling campe une femme glaciale et presque inquiétante (un registre qu’elle explorera davantage encore dans Lemming, de Dominik Moll) ; des plans montrant des enfants jouer du jazz dans la rue introduisent l’une des images les plus violentes du film… Et une simple chanson de crooner devient une rengaine entêtante et étrange. Tout, dans Angel Heart, déroute le spectateur en le guidant à travers des ambiances et des émotions étranges et troublantes.
En plus de la musique composée pour le film, Alan Parker utilise plusieurs morceaux tantôt célèbres, tantôt méconnus, que quiconque ayant vu Angel Heart peut difficilement écouter sans les associer à l’atmosphère du film. Outre Girl of my Dreams, totalement détournée, on retrouve un blues lancinant de Brownie McGhee (Rainy, Rainy Day), célèbre bluesman qui d’ailleurs joue dans le film le rôle de Toots Sweet, ancien guitariste de Johnny Favorite (le crooner traqué par Harry Angel).
La découverte du rite vaudou est introduite par le morceau évocateur Zu Zu Mamou, de Dr. John. Enfin, on entend une superbe chanson de rhythm and blues, Soul on Fire (chantée par Lavern Baker), en prélude à l’une des scènes les plus dérangeantes du film. Sans compter de nombreux standards de jazz dont I Cried for You et Basin Street Blues, qu’immortalisèrent respectivement Billie Holiday et Louis Armstrong.
Le casting
Mickey Rourke (interviewé publié dans L’Optimum, en mars 2009) : Je me souviens du tournage d’Angel Heart avec Robert de Niro en 1987 ; il avait ce que je n’avais pas, cette incroyable capacité à se concentrer alors que je me répandais partout.
Angel Heart bénéficie d’un casting de haut vol, réunissant Mickey Rourke et Robert de Niro, soit deux des plus grands comédiens de l’histoire du cinéma américain. Rourke venait de tourner 9 semaines et demie, qui lui valut le statut de sex symbol et le consacra star du cinéma ; mais c’est surtout dans des films remarquables comme L’Année du dragon de Michael Cimino et Rusty James de Francis Ford Coppola qu’il avait pu témoigner d’une aura et d’un talent hors normes.
De sa rencontre avec Robert de Niro, Rourke retiendra cette capacité admirable de l’acteur à se concentrer pour une scène – capacité que lui, selon ses propres dires, n’avait pas à l’époque. Parker dira d’ailleurs que c’est dans leurs scènes communes que Mickey Rourke est le plus brillant. De mon point de vue, il l’est de la première à la dernière scène : sa gestuelle, ses expressions et sa diction expriment avec une grande justesse le caractère instable, insondable et tourmenté de son personnage. Peut-être même que cette fameuse agitation évoquée par l’acteur a servi son jeu, puisqu’il compose justement un homme agité, perdu, remué par des doutes profonds et obscurs. Tour à tour désinvolte, cynique, séducteur, anxieux ou totalement paniqué, il excelle dans chaque type d’émotion et d’attitude.
Robert de Niro, est-ce la peine de le souligner, est irréprochable dans le rôle du mystérieux Louis Cyphre, dont il renforce l’aspect inquiétant à travers des mimiques, des regards et des intonations d’une précision millimétrée.
On retrouve également au casting Charlotte Rampling, à la présence si particulière, la jolie et talentueuse Lisa Bonet (révélée par Cosby Show) ainsi que le musicien de blues déjà évoqué, Brownie McGhee.
Un récit tortueux dont la progression est remarquablement bien maîtrisée ; un sens brillant de l'atmosphère et de la contextualisation (Parker nous fait pleinement ressentir l'ambiance de Brooklyn puis de la Nouvelle-Orléans) ; des acteurs au sommet et une bande son envoutante : Angel Heart est bel et bien un thriller qui au-delà de ses qualités artistiques et techniques témoigne d'un véritable cachet, d'une aura aussi inquiétante et sombre que résolument unique.
12 commentaires
Un de mes films préférés, avec un Mickey Rourke, en privé minable et suintant, à la recherche d’un chanteur disparu, un certain Johnny Favourite, prétexte à une quête ambigue sur l’identité. On y retrouve la luminosité diaphane de Parker et l’atmosphère saturée d’humidité des bayous de Louisiane. Sophistiqué et inquiétant !
film « spécial », dérangeant, de niro est comme d’hab, (très bon acteur). bien que je n’aime pas trop rourke il est ici très bon dans un rôle de gars « borderline ». le côté schizo se devine (comme dans fight club) ce film ne m’a pas marqué, il est bon dans son genre c’est sûr. les standards de jazz font passer le tout. de Parker, je préfère midnight express ou birdy.
Si vous aimez bien Alan Parker, je vous conseille aussi L’Usure du temps, avec Albert Finney et Diane Keaton ! Sans doute un de ses films les moins connus, mais à mon sens peut-être son plus beau. J’en ai fait une critique ici : https://www.citizenpoulpe.com/l-usure-du-temps-shoot-the-moon-alan-parker/
merci je vais le regarder avant de lire la critique et je vous dirais 🙂
Angel Heart est un rès bon film, que je conseille.
Par ailleurs: j’ai une question qui reste définitivement sans réponse: quel est le rôle exact, dans Angel Heart, de l’homme habillé en noir, avec un chapeau, qui tantôt peint du sang sur les murs, tantôt est assis sur une chaise avec une cuvette de sang à ses pieds, et épie Harry Angel partout où il va? Je me suis toujours posé cette question. Car partout où il y a cet homme, il y a des scènes horribles qui s’annoncent… Est-ce un démon ou quelconque créature malfaisante?
l’homme habillé en noir c’est la mort qui rôde autour d’Harry Angel, comme elle rôde autour de nous également..
Un critique de « Starfix » (Gans, me semble-t-il) relevait justement que tous les clichés abandonnés par Hitchcock dans « La Mort aux trousses » se retrouvaient dans le premier plan de ce film… Cinéma publicitaire exécuté par des transfuges de l’image commerciale – mieux vaut relire le roman original dont le titre français pourrait servir de sous-titre à « Rosemary’s Baby ».
« Cinéma publicitaire » convient à bien des films actuels mais certainement pas à « Angel Heart », très loin de cet univers aussi bien sur le plan du rythme que de l’esthétique. L’expression vaut mieux pour les propres films de Gans, apparemment aussi mauvais critique que cinéaste, si du moins il est bien l’auteur de ces lignes.
Que vaudra sa version de « La Belle et la Bête », surtout après « Legend », brillante relecture de Ridley Scott, issu lui aussi de la publicité (et de l’architecture) et très à l’aise dans le maniement des archétypes enluminés, d’après un scénario du toujours fréquentable William Hjortsberg, dont « Le Sabbat dans Central Park » surpasse aisément la mise en images de Parker ? Au cinéma comme ailleurs, les règles vont de pair avec les exceptions et les capiteuses surprises…
C’est étonnant ce regard très critique sur Angel Heart ! Je n’ai pas lu le roman d’origine, mais entre la photo (remarquable), la musique (originale mais aussi les morceaux de Dr John, Billie Holiday et j’en passe…), l’atmosphère (unique et inquiétante à souhait), la qualité des décors (Brooklyn, La Louisiane, on voyage littéralement avec le « héros »), l’interprétation habitée de Rourke (et De Niro, c’est quand même deux énormes acteurs qu’on retrouve ici face à face) et un scénario bien construit et progressif, je ne vois pas bien quelles faiblesses importantes peut-on trouver au film, mais bon, tout est affaire de goût… Bref pour moi c’est le meilleur Parker avec L’Usure du temps, un des grands polars des années 80 et l’une des meilleures compositions de Mickey Rourke, ce qui n’est pas peu dire étant donné que je le considère comme l’un des plus grands acteurs de sa génération.
Merci et bravo pour cette très belle « présentation » de ce qui reste à ce jour mon film préféré. Et comme vous, je pense qu’Angel Heart et L’usure du temps sont les deux meilleurs films de Parker.
Un excellent film qui pourtant m’avait traumatisé à sa sortie (j’avais 8 ans en 1987) et j’en avais fait des cauchemars ! Je l’ai revu 20 ans plus tard en le redécouvrant littéralement. Du grand art !