Film de Michael Cimino
Titre original : Year of the Dragon
Année de sortie : 1985
Pays : États-Unis
Scénario : Oliver Stone et Michael Cimino, d’après le roman de Robert Daley Year of the Dragon
Photographie : Alex Thomson
Montage : Noëlle Boisson, Françoise Bonnot
Musique : David Mansfield
Avec : Mickey Rourke, Caroline Kava, John Lone, Ariane Koizumi, Raymond J.Barry
Louis Bukowski: You care too much, Stanley.
Stanley White: How can anybody care too much?
L’Année du dragon est un polar épique et lyrique, porté par une mise en scène grandiose, un scénario bien construit (co-écrit par Oliver Stone) et la composition habitée de Mickey Rourke.
Synopsis de L’Année du dragon
L’inspecteur Stanley White (Mickey Rourke), vétéran du Vietnam, est muté dans le quartier de Chinatown, à New-York, où il va rapidement se lancer dans une croisade vertigineuse contre la mafia chinoise locale. Sa détermination va être source de conflits entre White et ses supérieurs hiérarchiques, mais aussi ses proches.
Critique du film
Stanley White: The next cop… that I hear about…who’s taking money in this precinct, I’m gonna personally bust their mouth. Are there any questions?
A policewoman: What if it’s a woman?
Stanley White: She better bend over.
L’Année du dragon n’est pas à proprement parler un projet personnel de Michael Cimino, comme ses précédents films pouvaient l’être. C’était sans doute davantage pour lui l’opportunité de se remettre sur les rails après La Porte du paradis, chef d’œuvre dont l’échec commercial a causé la faillite de United Artists, et dont les conséquences sur la carrière de Cimino – mais plus généralement sur la manière de produire un film aux États-Unis – allaient s’avérer définitives.

Il serait néanmoins faux d’affirmer que L’Année du dragon est un simple film de commande. Certes, l’idée d’adapter le roman de Robert Daley – écrivain et ancien policier au NYPD à qui l’on doit également Le Prince de New York, adapté au cinéma par Sidney Lumet – n’est pas de lui, et il s’est fait largement aider pour l’écriture du scénario par Oliver Stone, qui travaillait à l’époque sur son fameux Platoon. Cimino s’est cependant largement impliqué dans ce projet et le film, à bien des égards, porte sa signature, révélant même des correspondances importantes avec les précédentes œuvres de son auteur, notamment La Porte du paradis et surtout Voyage au bout de l’enfer.

Cette correspondance, ce lien thématique existe à travers le passé militaire de Stanley White, le protagoniste de L’Année du dragon, qui est un vétéran de la guerre du Vietnam ; cette même guerre qui bouleversa les destinées de Michael (Robert de Niro) et ses amis dans Voyage au bout de l’enfer. Dans L’Année du dragon, ce background (qui fait également écho, il faut le souligner, au vécu de Robert Daley, membre de l’US Air Force pendant la guerre de Corée) a une importance déterminante puisqu’il explique en grande partie le comportement de White et donne une épaisseur dramatique supplémentaire à l’histoire.

Stanley White replace en effet plus ou moins consciemment les enjeux du conflit vietnamien au cœur de sa lutte contre la mafia chinoise à Chinatown. Certains gros plans soulignent presque explicitement cette association ; notamment celui où, filmé dans un nuage de fumée qui noircit son visage, White fait clairement songer à un soldat au combat (impression renforcée par la veste kaki qu’il porte).

Il existe un autre aspect qui rapproche L’Année du dragon des autres films de son réalisateur : le traitement des scènes d’intimité. Voyage au bout de l’enfer et La Porte du paradis comportent en effet de nombreuses séquences dépeignant les relations homme/femme avec une délicatesse et une justesse rares, et c’est une qualité que l’on retrouve ici, par exemple lorsque White échange avec son épouse (Caroline Kava) ou avec sa maîtresse, la journaliste Tracy Tzu (Ariane Koizumi). On notera la belle musique composée par David Mansfield (dont c’était la seconde collaboration avec Cimino après La Porte du paradis), qui renforce l’émotion propre à ces différentes séquences. Séquences fondamentales d’ailleurs, dont la fonction n’est pas seulement de créer un équilibre avec les scènes d’action, mais surtout de nous éclairer sur la personnalité de White et sur son rapport aux autres ; chose que Cimino s’applique à faire avec cette approche lyrique et romanesque qu’on lui connaît.
Le film, s’il est servi par une réalisation virtuose qui souligne son caractère épique, bénéficie également de la composition sensible et nuancée de Mickey Rourke. L’acteur parvient à exprimer les différentes facettes d’un personnage tantôt impulsif et égoïste, tantôt désemparé et mélancolique (I don’t know anybody else in this town. Isn’t that a real laugh? I feel like such an asshole
), pour au final lui donner un relief et une humanité qui dépassent le cliché du cow-boy raciste et du flic réac auquel certains l’ont réduit à l’époque.

Possible que Stanley White ait touché, chez l’interprète culte du Motorcycle Boy (dans Rusty James), quelques cordes sensibles, comme le fera bien plus tard le catcheur du film d’Aronofski. En effet, Rourke a souvent déclaré s’être mal comporté à certains moments de sa vie, confiant au passage son désir de devenir quelqu’un de meilleur ; or Stanley White prononce, à la fin de L’Année du dragon, une phrase qui n’est pas sans évoquer ces propos : I’d like to be a nice guy. I would. I just don’t know how to be nice.
L'Année du dragon est un grand polar des années 80, qui possède ce qu'il est si difficile d'insuffler à un film : du souffle
, une épaisseur dramatique et un lyrisme qui tient le spectateur en haleine. En arrière plan, on retrouve la guerre du Vietnam que Michael Cimino avait déjà traitée dans l'un de ses films les plus célèbres (Voyage au bout de l'enfer). Dans le rôle d'un policier traumatisé à la fois bourru, égoïste et désespéré, Mickey Rourke livre l'une des compositions les plus poignantes de sa carrière, tandis que la musique de David Mansfield exprime à merveille la mélancolie et la solitude du personnage.
3 commentaires
C’est une très belle analyse ! Un chef d’oeuvre encore trop méconnu de ce cinéaste de talent et le plus grand rôle de Mickey Rourke.
Sur le brillant scénario d’Oliver Stone et accompagné de la magnifique musique de David Mansfield, Michael Cimino transcende les codes du polar pour nous livrer un film d’anthologie que tout cinéphile devrait avoir.
Merci ! Je suis d’accord avec vous. C’est un film parfois un peu sous-estimé dans la carrière de Cimino (il faut dire que « Voyage au bout de l’enfer » et « La Porte du paradis » sont de tels chefs d’œuvre !) alors qu’il possède un souffle, une force émotionnelle qui manque à beaucoup de polars actuels. C’est vrai que Rourke est extraordinaire, ceci dit je mets ses prestations dans « Rusty James » et dans « Angel Heart » au même niveau.
Superbe film tant au niveau de la réalisation que de la photographie. Mickey Rourke est impérial, capable de transmettre beaucoup d’émotions. Enfin, la musique de David Mansfield sonne juste, tout comme l’introduction de « Ressurection », oeuvre magistrale de Gustave Mahler.