Film d’Andrew Traucki
Année de sortie : 2010
Pays : Australie
Scénario : Andrew Goods
Photographie : Daniel Ardillery
Montage : Peter Crombie
Musique : Rafael Ma
Avec : Damian Walshe-Howling, Zoe Naylor, Gyton Grantley, Adrienne Pickering, Kieran Darcy-Smith
Luke: OK, it’s a shark. It’s big.
À l’approche de la sortie du shark movie de l’été 2016 (The Shallows – Instinct de survie, sur les écrans le 17 août prochain), penchons-nous sur l’une des dernières réussites du genre, le sobre et maîtrisé The Reef, réalisé par l’australien Andrew Traucki.
Synopsis du film
Alors qu’il s’apprête à livrer un bateau à un client en Indonésie, Luke (Damian Walshe-Howling) invite à bord son ami Matt (Gyton Grantley) ainsi que la sœur et la petite amie de ce dernier, prénommées Suzie (Adrienne Pickering) et Kate (Zoe Naylor). Le marin Warren (Kieran Darcy-Smith) fait également partie de l’équipage.
Mais le bateau heurte un récif corallien qui endommage gravement la coque. Convaincu que le navire va couler, Luke estime que leur seule chance de survie est de regagner la côte à la nage. Matt, Suzie et Kate décident de partir avec lui, tandis que Warren, jugeant cette solution beaucoup trop dangereuse, reste seul à bord.
Les quatre amis commencent alors un long périple, qui prend une tournure particulièrement inquiétante lorsque Luke repère la présence d’un requin blanc nageant à une vingtaine de mètres d’eux…
Critique de The Reef
The Reef est le second long métrage d’Andrew Traucki, le premier étant Black Water (2007). Ces deux films présentent des points communs évidents : tous deux racontent l’histoire d’être humains attaqués par un animal (un crocodile dans Black Water ; un requin blanc dans The Reef), sont tournés avec d’authentiques animaux et sont basés sur des histoires véridiques.
La véritable histoire derrière The Reef
La mention « tiré d’une histoire vraie » est parfois à prendre avec des pincettes ; dans le genre horrifique notamment, cette baseline peut être utilisée y compris quand le scénario prend de très grandes libertés avec les événements dont il prétend s’inspirer, ceci afin d’exciter la curiosité du public.
Dans le cas de The Reef, le scénariste Andrew Goods a certes étoffé et développé à sa manière la situation initiale mais au final, le déroulement est assez proche du drame vécu par Ray Boundy, qui a servi de point de départ au scénario et qui peut être résumé ainsi : en juillet 1983, suite au naufrage de leur chalutier au nord-ouest de Towns-ville (Australie), le dénommé Ray Boundy, une cuisinière et un marin tentèrent de regagner la côte, située à plusieurs kilomètres, à l’aide d’une planche de surf ; malheureusement un requin tigre commença à leur tourner autour, et finit par attaquer mortellement d’abord le marin puis, deux heures plus tard, la cuisinière, avant que Boundy, toujours sous la menace du squale, ne parvienne à s’abriter sur un récif. Sans révéler bien sûr ce qui se passe exactement dans The Reef, la trame est dans l’ensemble assez proche. On relèvera parmi les différences notables celle qui concerne l’espèce du requin : Traucki et son scénariste ont préféré mettre en scène un requin blanc – devenu mythique depuis Les Dents de la mer – plutôt qu’un requin tigre, qui correspondait pourtant à la description que Boundy livra aux autorités à l’époque des faits.
Voici une photo des articles du Sun et du Daily Telegraph qui couvrirent cet événement :
De The Reef à Open Water, ou comment irriter l’industrie du tourisme australien
Outre Black Water, on peut rapprocher The Reef d’un autre film, le fameux Open Water/En eaux profondes (2003), de Chris Kentis, qui lui aussi a été tourné avec de vrais squales, met en scène des personnages livrés à eux-mêmes en pleine mer et qui s’inspire d’un autre fait divers, à savoir la disparition de Tom et Eileen Lonergan, un couple d’américains, survenue en janvier 1998. D’ailleurs, le directeur général du tourisme d’Australie du Sud de l’époque – Rob Gaison – n’a pas vu d’un très bon œil la sortie de The Reef qui, quelques années après Open Water, présentait à nouveau les eaux australiennes sous un jour peu rassurant. À noter que Open Water livre une version purement hypothétique de ce qui a pu arriver aux véritables Tom et Eileen Lonergan, dont on n’a jamais retrouvé la trace (plusieurs scénarios cohabitent, aucun ne pouvant être vérifié) – à la différence de Ray Boundy qui, lui, a donc pu raconter son histoire.
Une sobriété rare dans les « films de requins »
Le film de requin et plus généralement les monster movies est un exercice dont peu de réalisateurs se sortent avec les honneurs. Niveau chef d’œuvre, on ne compte que Les Dents de la mer dans ce sous-genre (terme en aucun cas péjoratif) bien particulier (on citera aussi Orca, de Michael Anderson, pas aussi brillant que le classique de Spielberg mais néanmoins intéressant). Si on ne peut exiger systématiquement un tel niveau de qualité, force est de constater que la plupart des films mettant en scène un requin déconcertent les spectateurs les plus indulgents (même s’ils peuvent offrir un bon moment de détente), à la fois de par leur scénario souvent inepte, leur mise en scène approximative et leurs effets spéciaux rarement convaincants. Sur ce dernier point, The Reef tire son épingle du jeu dans la mesure où il a été tourné avec de véritables requins, il n’a pas eu recours aux effets numériques – lesquels prêtent régulièrement aux squales une allure et des mouvement totalement irréalistes. Mais si c’est ici un atout fondamental, qui rend les apparitions du requin très efficaces, il – cet atout – n’aurait eu que peu d’impact sans une mise en scène intelligente et un scénario suffisamment progressif, or The Reef conjugue ces deux qualités.
Le film prend en effet le temps de bien poser la situation et de nous faire ressentir tout ce que celle-ci a d’oppressant, avant même que l’animal n’entre en scène : livrés à eux-mêmes en pleine mer, les protagonistes évoluent en effet dans un contexte stressant, épuisant et déstabilisant, et la réalisation rend très bien compte de cet aspect, au même titre que le jeu des différents comédiens. Si la première apparition du requin (à la 48ème minute du film, c’est dire que celui-ci soigne la mise en place) fait monter la tension de plusieurs paliers, le processus est donc d’autant plus efficace que cette tension était déjà palpable auparavant.
Ensuite, The Reef affiche une approche réaliste qui fait mouche ; le requin ne se rue pas immédiatement sur les nageurs, loin de là, et son comportement, plutôt similaire à celui décrit par Ray Boundy, est sans doute assez proche de ce que l’on pourrait observer en pareille situation (même si, rappelons-le, cette situation reste peu commune). La manière que l’animal a de s’éloigner, de se rapprocher, de tourner autour des personnages sonne vrai, et permet du même coup d’entretenir un suspense redoutablement efficace.
Bande-annonce
Tendu, réaliste et bien rythmé, The Reef est un « film de requin » qui se distingue par son approche sobre, son sens de la progression et sa mise en scène habile. Les défenseurs des requins, qui ont bien raison de militer pour leur protection, s'offusqueront peut-être d'un énième film susceptible d'entretenir la paranoïa vis-à-vis de ce poisson très prisé des cinéastes ; mais il n'en reste pas moins que The Reef fera passer un bon moment à celles et ceux qui aiment frémir devant un divertissement bien réalisé et sans faute de goûts. Depuis The Reef, Andrew Trawki a réalisé l'un des segments de l'anthologie horrifique The ABCs of Death (2012) ainsi qu'un troisième long métrage, The Jungle (2013).
Un commentaire
Le film de requin, sous genre du monster movie… très fine typologie 🙂 Remarquable en tout cas qu’il s’agisse vrais squales. J’avais adoré Open water (étonnant huis clos dans un espace immense), je vais donc me faire ce Reef rapidement.