Hier soir, j’assistais, avec pas mal d’autres spectateurs, à une séance spéciale au Pathé Wepler, combinant la cérémonie d’ouverture du festival de Cannes 2024 et l’avant-première du nouveau film de Quentin Dupieux, Le Deuxième acte, projeté hors compétition. Retour sur la soirée.
La cérémonie
Je ne suis pas particulièrement friand du festival de Cannes, même si je ne nie pas son aura et son importance. Deux Palmes d’or remises à l’un des réalisateurs les plus donneurs de leçons et arrogants de sa génération avaient achevé de m’éloigner de cet événement paradoxal, déchiré entre son aspect légendaire, ses origines finalement sociales et politiques (certains défenseurs du gouvernement actuel devraient s’en rappeler, avant de condamner bêtement le discours anti réforme des retraites de Justine Triet en 2023) et son luxe superficiel, souvent à milles lieux des valeurs portées par les films en compétition. Quant à la cérémonie d’ouverture, je la juge souvent plutôt verbeuse, même si je me garderais bien de généraliser ce constat.
Celle de l’édition 2024 m’a néanmoins conquis, et ce, très rapidement. Le discours de la maitresse de cérémonie, la comédienne Camille Cottin, parfaitement calé sur un fond musical inspiré (composé par Worakls), s’est avéré percutant ; tantôt drôle, tantôt grave, tantôt les deux en même temps (la référence attendue à MeeToo, habilement glissée), il a produit d’autant plus d’effet que l’actrice l’a prononcé avec une aisance et une précision bluffantes, tout en occupant l’espace avec brio.
Le discours de la présidente du jury, Greta Gerwig (The House of the Devil ; Baghead ; Frances Ha), s’est démarqué d’une autre façon : une sincérité et une spontanéité désarmantes, l’actrice-réalisatrice ayant simplement confié son émotion et sa reconnaissance sans chercher à placer des grandes phrases sur le cinéma, tandis que son expression réflétait l’authenticité de ses propos.
Deux autres temps forts ont ponctué la cérémonie : la reprise, par une Zaho de Sagazan à la fois habitée et très juste, de la chanson Modern Love de David Bowie, en hommage à l’un des rôles mythiques de Gerwig et plus particulièrement à une scène inoubliable de Frances Ha ; puis la remise, par une Juliette Binoche admirative et parfois bouleversée, d’une Palme d’or d’honneur à Meryl Streep.
Bref, ce fut une belle entrée en matière, marquée par des personnalités féminines fortes et inspirantes.
Avant de passer à une rapide chronique du film d’ouverture, rappelons que le festival se déroule cette année sur fond de revendications sociales : le collectif Sous les écrans, la dèche réunit les travailleurs mobilisés sur les festivals de cinéma, qui ont été exclus, en 2003, du régime de l’assurance chomage des intermittents du spectacle, et qui souffrent donc directement des réformes récentes, et brutales, menées par le gouvernement Macron (dont une réduction des indemnités chomage). Plus d’informations à ce sujet dans cet article.
Le Deuxième acte : critique express
Quentin Dupieux s’est montré particulièrement insistant dans sa volonté d’éviter toute fuite et tout spoilers avant la présentation de son nouveau film, son treizième, intitulé Le Deuxième acte. Précaution qui me semble rétrospectivement un peu superflue, le film reposant sur une mécanique à laquelle il nous a habitué et plus généralement sur un effet de mise en abyme assez classique, mais passons.
Il y a quelques bonnes choses ici, et ce n’est pas un fan de ce réalisateur qui le dit. Déjà, la plupart des plans séquence fonctionnent bien, les quatre comédiens principaux (Quenard Lindon Seydoux Garrel) se montrant tous précis dans leur jeu. On connaît la méthode Dupieux : il répète beaucoup en amont, puis tourne très vite. Assurément, c’est un procédé qu’il maîtrise. Niveau texte, c’est parfois drôle, parfois franchement potache, mais comme c’est réglé à la seconde près, on rit parfois, notamment au cours de la première partie.
Le film aborde plusieurs thèmes, certains récurrents chez Dupieux (le narcissisme des artistes opposé à la condition du citoyen lambda, ici incarné, avec talent, par Manuel Guillot – mais c’est une figure qu’on retrouve dans Yannick et aussi dans Daaaaaali), d’autres dans l’air du temps (l’intelligence artificielle et son impact sur la création artistique ; la cancel culture).
Le problème, c’est que comme à son habitude, le cinéaste est davantage soucieux de surprendre la galerie par des pirouettes narratives que de développer un véritable point de vue, allant même jusqu’à faire des choix qui contredisent son (supposé) propos (je n’en dirai pas plus, volontairement). Personnellement, du fait de ce travers systématique chez Dupieux, j’ai trouvé les vingt dernières minutes très plates, voire assez idiotes (sachant que le film dure 1h20), et me suis dit une nouvelle fois qu’un certain savoir faire est ici tantôt bien exploité, tantôt gaché par de vains effets de manche.
Le film est à l’affiche depuis ce jour dans les salles. Allez vous faire votre propre avis ! Et pour découvrir la liste des films en compétion à Cannes cette année (dont le très attendu nouveau long métrage de Francis Ford Coppola, le premier depuis Twixt), c’est par ici.
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