Film de Ruben Östlund
Titre original : Turist
Année de sortie : 2014
Pays : Suède, France
Scénario : Ruben Östlund
Photographie : Fredrik Wenzel
Montage : Jacob Secher Schulsinger
Musique : Ola Fløttum
Avec : Lisa Loven Kongsli, Johannes Bah Kuhnke, Clara Wettergren, Kristofer Hivju, Brady Corbet, Fanni Metelius, Vincent Wettergren
Snow Therapy porte un regard acide et ironique sur le couple et les stéréotypes culturels liés au genre.
Synopsis du film
Eba (Lisa Loven Kongsli) et Tomas (Johannes Bah Kuhnke), des touristes suédois, passent des vacances dans les Alpes françaises avec leurs enfants. Le deuxième jour, alors qu’ils déjeunent sur la terrasse d’un restaurant panoramique, les responsables de la station déclenchent une avalanche contrôlée à proximité. Les clients du restaurant l’observent d’abord avec intérêt, mais peu à peu l’avalanche prend une ampleur anormale et menace d’atteindre l’établissement. Au moment critique, Tomas panique et part en courant, laissant son épouse et ses deux enfants derrière lui tandis qu’un brouillard neigeux se forme sur la terrasse.
Finalement, la neige s’est écroulée en contrebas et tout le monde est sain et sauf. Tandis que la brume se dissipe, Tomas rejoint sa famille et fait comme si de rien n’était. À partir de ce moment-là, les vacances vont prendre une toute autre tournure…
Critique de Snow Therapy
Un sujet dans l’air du temps
Le moins que l’on puisse dire, c’est que le sujet de Snow Therapy est dans l’air du temps. L’égalité des sexes et la question des genres – qui sont des questions à la fois liées et bien distinctes – ont fait et font toujours l’objet de nombreux débats. La Suède, le pays d’origine du réalisateur Ruben Östlund (qui vient de remporter la Palme d’or au Festival de Cannes 2017 pour son dernier film The Square), va particulièrement loin dans ce domaine, et pas toujours pour le meilleur : on peut légitimement être perplexe vis-à-vis de ces établissements scolaires expérimentaux qui, refusant toute différenciation liée au sexe, ont été jusqu’à inventer un pronom neutre (ni « lui », ni « elle », mais « hen ») pour désigner les élèves (source : Suède. Au pays des enfants sans sexe). Expérimentation à laquelle on pourra opposer l’idée que l’égalité ne repose pas sur la négation des différences…
Ce n’est toutefois pas sur ce terrain-là que s’aventure Snow Therapy. L’idée de base est simple et efficace : une famille ordinaire – « modèle » pourrait-on dire – implose progressivement à partir du moment où le mari, face à la menace d’une avalanche, panique complètement et délaisse femme et enfants avant de s’enfermer dans un profond déni. À partir de là, Östlund dissèque minutieusement les conséquences de l’événement sur l’équilibre du couple (notons qu’on ne connaît jamais leur nom de famille, ce qui est probablement une manière de donner à la situation une résonance plus large).
Au niveau formel et esthétique, le réalisateur suédois utilise intelligemment les paysages et les décors pour créer une atmosphère chargée de silences grinçants, de grands espaces vertigineux (où résonne en vain la détresse du mari fuyard) et traversée d’instants à la fois dramatiques et grotesques au cours desquels les personnages, affublés de lourdes et disgracieuses tenues de ski, pataugent dans une neige indifférente à leurs tourments.
Le sujet constitue évidemment pour l’auteur un moyen de réfléchir autour des clichés associés à la masculinité, et en particulier sur cette image d’homme fort et protecteur que le cinéma a souvent véhiculée et qui est ici balayée dans la scène de l’avalanche. Notons que c’est le naufrage du Costa Concordia (survenu en 2012), et l’attitude de son capitaine (dont la peine de 16 ans de prison a été récemment – en mai 2017 – confirmée en cassation), qui a inspiré à Ruben Östlund l’idée du scénario de Snow Therapy.
Idée intéressante car encore aujourd’hui, tout homme ressent plus ou moins cet « héritage » issu des représentations culturelles. Qu’on le veuille ou non, la fuite face à une situation de danger sera (en général) plus facilement acceptée dans le cas d’une femme que dans celui d’un homme ; d’ailleurs, si l’on inverse les rôles dans le scène clé du film, il n’y a tout simplement pas d’histoire à raconter. Sans compter le fameux mot d’ordre : les femmes et les enfants d’abord
! Un vieil adage que les recherches effectuées par Ruben Östlund pendant la phase de préparation du film tendraient d’ailleurs à malmener (Lire La cruauté est parfois plaisante à regarder
, interview publiée dans Télérama au début de l’année 2015).
Une approche à la fois critique et nuancée
Snow Therapy place le spectateur dans une position propice au rire mais aussi relativement inconfortable. En tant qu’homme, il est impossible de s’identifier au personnage masculin – quand bien même on lui pardonnerait sa lâcheté initiale et le déni qui s’ensuit, sa personnalité peu attachante n’incite guère à la compassion. Cependant le film a l’intelligence, contrairement à ce que certains lui ont reproché, de se garder d’une approche trop manichéenne et stéréotypée. S’il filme avec humour la détresse du mâle contemporain (notamment dans cette séquence symbolique où des hommes se retrouvent dehors pour hurler dans la neige), Östlund montre aussi les paradoxes du comportement « féminin ».
C’est frappant dans la séquence où Ebba et Thomas dînent avec Mats (Kristofer Hivju) et sa jeune maîtresse Fanni (Fanni Metelius). Après avoir entendu le récit du fameux événement, ceux-ci rentrent dans leur chambre où Fanni transfère aussitôt les enjeux de la crise vécue par l’autre couple au sein de sa propre relation, laissant entendre à son compagnon qu’il n’est pas assez protecteur, que sa génération est plus impliquée dans l’éducation des enfants mais moins « forte » que les hommes « d’avant ». En somme, elle renvoie Mats à toute une galerie de stéréotypes sur le genre masculin (et ce alors qu’elle incarne pourtant une génération plus jeune que les autres personnages du film), exprimant des attentes paradoxales où se dessine l’image d’un père attentionné et sensible, doublé d’un homme viril et sécurisant… Quant à Mats, plutôt que de prendre de la hauteur vis-à-vis de ces accusations plutôt injustes, il tombe dans le panneau et se saisira de la première occasion (la scène du bus) pour en faire des tonnes dans le rôle de l’homme protecteur et responsable – tentative comique de retrouver de la crédibilité aux yeux de sa compagne…
En somme, s’il se montre particulièrement grinçant vis-à-vis des personnages masculins, Snow Therapy renvoie les deux sexes dos-à-dos : les hommes n’ont aucune confiance en eux et ne parviennent pas à s’assumer ; tandis que les femmes rivalisent d’attentes contradictoires sur la masculinité.
Un personnage clé et un final significatif
Il y a toutefois un personnage qui est loin de toutes ces considérations dans Snow Therapy : il s’agit de Charlotte (Karin Myrenberg), une amie d’Ebba. Une femme qui vogue d’aventures en aventures et se choisit régulièrement des compagnons différents. Une hédoniste férue de liberté (le film ne nous dit pas si elle est vraiment heureuse, ça c’est une autre histoire) qui symboliquement est la seule vacancière à ne pas descendre du bus à la fin, ne participant ainsi pas à cette scène qui voit se recréer une harmonie trompeuse, basée sur le retour des rôles masculins et féminins dits « traditionnels » (le tout devant la caméra ironique de Ruben Östlund). La libertine reste seule dans le véhicule en compagnie d’un conducteur peu rassurant, signe de son détachement vis-à-vis des schémas culturels sur lesquels le metteur en scène suédois pose un regard amusé et cinglant.
Et dans le même temps, son choix est fondamentalement irrationnel, puisqu’elle reste dans un bus malgré l’incompétence flagrante de son chauffeur – ce qui peut symboliser, d’un certain point de vue, un mépris de la sécurité et des conventions.
Voilà une conclusion assez radicale en un sens – comme s’il n’y avait qu’en dehors du couple que l’on pouvait échapper à des siècles de figures imposées…
Dans cette distance observée à l’égard de la plupart des protagonistes réside d’ailleurs peut-être les limites de Snow Therapy : maîtrisé dans sa forme, le film a tendance à sacrifier les émotions et l’empathie sur l’autel d’une démonstration rhétorique qu’on pourra juger un peu hautaine.
Snow Therapy propose une réflexion pleine d'ironie autour des stéréotypes culturels liés au genre, par le biais d'un récit rigoureusement construit et mis en scène. On pourra en revanche lui reprocher une posture assez froide et distante vis-à-vis des personnages, qui certes contribue à la cohérence de l'ensemble mais limite sa portée sur le plan émotionnel. Reste à savoir si Ruben Östlund adoptera toujours cette position dans ses films - pour un auteur, se croire systématiquement plus malin que ses personnages n'est pas forcément la meilleure des idées...
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