Film de Ruben Östlund
Année de sortie : 2017
Pays : Suède, Danemark, France
Scénario : Ruben Östlund
Photographie : Fredrik Wenzel
Montage : Ruben Östlund, Jacob Secher Schulsinger
Avec : Claes Bang, Elisabeth Moss, Dominic West, Terry Notary
Dans The Square, Ruben Östlund donne libre cours à son humour satirique pour un résultat d’abord réjouissant, mais trop long et finalement assez redondant.
Synopsis du film
Christian (Claes Bang) est conservateur dans un musée d’art contemporain à Stockholm. Il prépare une exposition intitulée The Square et dans ce cadre, fait appel à une agence de communication pour en assurer la promotion.
Un matin, en allant au travail, il se fait dérober son portable et son portefeuille par des voleurs particulièrement habiles. C’est le début des ennuis pour Christian, qui va rapidement se retrouver confronté à ses propres contradictions, mais aussi aux exigences farfelues de la communication moderne…
Critique de The Square
On se souvient encore de l’enthousiasme, bien compréhensible, de Ruben Östlund allant chercher la Palme d’or pour son cinquième long métrage de fiction, The Square, lors de l’édition 2017 du Festival de Cannes. Un festival qui réussit d’ailleurs bien au cinéaste suédois, puisque son précédent film, Snow Therapy (2014), y avait remporté le Prix du Jury, dans le cadre de la sélection Un Certain Regard.
Si l’interprète principal de The Square – l’acteur danois Claes Bang – est peu connu dans l’hexagone, le casting comprend néanmoins des visages plus familiers, puisqu’on y retrouve Elisabeth Moss et Dominic West, d’excellents comédiens vus notamment dans de brillantes séries TV telles que The Wire et The Affair (pour West), Top of the Lake et The Handmaid’s Tale (pour Elisabeth Moss). La promotion met d’ailleurs largement en avant ces deux noms prestigieux, alors que le temps de présence de West à l’écran est en réalité très (trop ?) réduit.
Le film, comme Snow Therapy, est une satire acide, dans laquelle Östlund étrille plusieurs facettes de notre époque. Il y a d’abord une critique évidente du milieu de l’art contemporain, dépeint comme particulièrement poseur, snob et élitiste (ce qu’il est, effectivement, parfois), et qui encense ou inversement rejette des œuvres selon des critères qui découlent davantage d’une posture (pseudo) intellectuelle (soumise aux modes et aux tendances) que d’un jugement esthétique honnête.
Mais à partir de ce point central, le réalisateur et scénariste élargit peu à peu son champ de tir, pointant du doigt tour à tour l’individualisme exacerbé des sociétés occidentales modernes (en dépit des valeurs humanistes défendues par l’exposition qui donne son titre au film, et c’est toute l’ironie de l’histoire) ; les sociétés de conseil en communication et leur quête aveugle et décérébrée du « buzz » dans le contexte actuel de surdose d’informations ; le citoyen lambda happé par son portable, incapable de se concentrer plus de 30 secondes et dépourvu de sens civique ; ou encore l’hypocrisie voire l’incompétence des journalistes.

Anne (Elisabeth Moss) dans « The Square ». Derrière elle, l’installation de l’artiste
Julian (Dominic West)
À ce réjouissant tableau s’ajoute une peinture de la lâcheté et de l’égoïsme humains ordinaires, tandis qu’hommes et femmes en prennent au passage pour leur grade (les premiers sont lâches, fiers et coureurs de jupons ; les secondes sont pleines de paradoxes), d’une manière qui évoque d’ailleurs Snow Therapy (qui s’intéressait tout particulièrement aux archétypes liés au genre). Enfin, Östlund cible également les préjugés liés aux classes sociales, à travers la mésaventure dans laquelle s’engouffre le protagoniste suite au vol de son téléphone portable (mésaventure qui le met face à ses contradictions, puisqu’il défend une exposition humaniste mais se montre méfiant voire craintif vis-à-vis des classes populaires).
La mise en scène précise de Ruben Östlund, ainsi que des personnages et répliques bien sentis, placent d’emblée The Square sur de bons rails. Le cinéaste excelle dans l’art de concevoir des plans précis, épurés et expressifs, qui soulignent – par un détail quelconque ou par leur composition globale – le caractère absurde et/ou ridicule des situations décrites. Les comédiens lui facilitent la tâche : Claes Bang compose parfaitement son personnage tandis que les acteurs secondaires ne sont pas moins talentueux, à commencer par la saisissante Elisabeth Moss (quel regard !). On rit souvent, et la satire (sans être d’une subtilité à toute épreuve) fonctionne efficacement pendant une bonne heure ; puis les choses, progressivement, se gâtent.
D’abord, le film est excessivement long (2h22), alors que l’on voit très rapidement où le cinéaste veut en venir et qu’il enfonce, au final, plusieurs portes ouvertes – et pas toujours très finement : par exemple, le côté « fable sociale » du film, avec l’histoire du jeune garçon de condition modeste demandant des comptes au « héros », est gentillet mais pas des plus subtils. De plus, peu d’éléments justifient cette longueur, dans la mesure où le scénario se concentre presque exclusivement sur le personnage principal et développe étonnamment peu ceux qui gravitent autour. Par exemple, celui incarné par Dominic West est carrément délaissé (deux scènes à peine, et encore), alors que son rôle d’artiste aurait justement permis d’apporter un éclairage supplémentaire sur le propos central du film.
Propos qui devient d’ailleurs redondant, dans la mesure où les unes après les autres, les séquences illustrent finalement plus ou moins la même chose. Et du fait que, comme dans Snow Therapy, Östlund se place à une certaine distance de ses personnages (il ne semble pas déborder d’empathie à leur égard), le film finit par s’enfermer dans une démonstration certes bien exécutée techniquement, mais assez froide, plutôt prétentieuse et, dans sa dernière demi-heure, franchement ennuyeuse.
Bande-annonce de The Square
Réjouissant et dynamique dans sa première partie, The Square, à force de se répéter, de ne pas développer suffisamment ses personnages secondaires et d'étirer inutilement un propos pertinent mais redondant, finit par s'enliser dans sa posture initiale. Il reproduit en cela des défauts déjà présents dans Snow Therapy. Pour les éviter à l'avenir, Östlund devrait peut-être considérer davantage ses personnages, mettre plus de nuances dans son écriture et aussi se souvenir que parfois, plus c'est court, plus c'est efficace (The Party en a fait brillamment la démonstration récemment).
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