Les légendes urbaines sont à bien des égards passionnantes et révélatrices des peurs, des préjugés, des mœurs propres aux sociétés dans lesquelles elles se développent. Le cinéma de genre s’en est plusieurs fois inspiré, avec plus ou moins de réussite selon les cas.
Un folklore riche de sens
Alligators dans le métro new-yorkais ; seringues contaminées par le VIH dans les salles de cinéma ; auto-stoppeur fantôme… les légendes urbaines (expression apparue dans les années 60) représentent potentiellement pour les scénaristes de films d’horreur et fantastique un véritable coffre à idées. La plupart du temps, les réalisateurs se contentent d’en proposer une lecture au premier degré ce qui, en soi, n’est pas critiquable, mais on conseillera donc aux personnes véritablement intéressées par ce sujet la lecture d’ouvrages de référence tels que Rumeurs et légendes urbaines de l’universitaire Jean-Bruno Renard, publié chez Que sais-je.
L’auteur y explique que les légendes urbaines sont, pour certaines d’entre elles, des variantes de légendes anciennes, mais surtout qu’elles témoignent de phénomènes sociaux et culturels significatifs. Si elles reflètent souvent des peurs collectives, toutes ne sont pas effrayantes ; par exemple, l’anecdote de l’élève écrivant simplement « ça » sur sa copie en réponse au sujet de philosophie « qu’est-ce que l’audace » est bel et bien une légende urbaine colportée depuis des générations, mais elle prête davantage à sourire qu’à trembler.
Évidemment, le cinéma de genre s’intéresse surtout aux légendes qui font froid dans le dos et ce sont donc ces dernières que nous allons évoquer dans ce texte, qui n’a d’autre ambition que de proposer quelques exemples dont certains feront sourire ceux qui, comme l’auteur de ces lignes, ont été adolescent pendant la décennie 90, assez riche en matière de légendes urbaines au cinéma – probablement parce que ce champ de recherches, toujours selon Jean-Bruno Renard, a eu le vent en poupe au cours des années 80-90, cadres de plusieurs conférences et essais sur la question.
Candyman : une réflexion passionnante sur les légendes urbaines
Commençons par un film qui fait un peu figure d’exception ici en ce sens qu’il n’est pas basé sur une légende urbaine existante, mais aborde directement cette thématique à travers son scénario, basé sur la nouvelle The Forbidden du célèbre écrivain britannique Clive Barker (à qui l’on doit entre autres Hellraiser). Candyman (1992) de Bernard Rose met en effet en scène une étudiante (jouée par Virginia Madsen, la sœur de Michael) qui écrit une thèse sur les légendes urbaines. Elle se rend pour cette raison dans un quartier de Chicago appelée Cabrini Green, cadre d’une inquiétante légende selon laquelle un tueur armé d’un crochet apparaîtrait lorsque son nom est prononcé cinq fois devant un miroir.
L’idée du miroir est intéressante, si l’on considère qu’une légende est le reflet de quelque chose – souvent d’une réalité culturelle et sociale, comme indiqué plus haut. En l’occurrence, le personnage de Candyman est aussi bien le reflet du passé esclavagiste du sud des États-Unis (son histoire est clairement racontée dans le film, ce qui n’est pas le cas dans la nouvelle) que celui des peurs et inégalités sociales liés à la cité sensible (qui existe réellement) dans laquelle il évolue. Candyman a également une fonction morale, si l’on se fie à ce que Clive Barker écrit dans The Forbidden : que savent les gens du bien, excepté ce que le mal leur enseigne par ses excès ?
; ou encore votre mort sera un conte pour effrayer les enfants, pour que les amoureux se rapprochent dans leur extase
. Ce sont la peur et les croyances des hommes qui lui donnent vie (without these things, I am nothing
), ce qui rejoint la définition même d’une légende : les êtres et événements qu’elle met en scène n’ont pas de réalité concrète, ils n’existent que dans un fantasme collectif – même si ce fantasme a des connections profondes avec la réalité, ou s’inspire plus ou moins de faits réels.
Le film de Bernard Rose n’est donc pas l’illustration cinématographique d’une légende urbaine, mais bien une réflexion pertinente sur ce phénomène et les différentes réalités sociologiques, historiques mais aussi psychologiques qu’il recoupe. C’est ce qui le rend particulièrement intéressant d’autant plus que les comédiens, la réalisation de Bernard Rose et la remarquable bande originale du compositeur de musique contemporaine Philip Glass font honneur à l’intelligence du scénario.
Souviens-toi l’été dernier et la légende du Hookman
Sorti en octobre 1997 aux États-Unis, Souviens-toi l’été dernier (I Know What You Did Last Summer) est le parfait prototype du teen horror movie, c’est-à-dire du film d’horreur destiné en premier lieu à un public d’adolescents. Son casting comprend les actrices Sara Michelle Gellar, qui était déjà une star à l’époque pour son rôle dans la série culte Buffy contre les vampires, et Jennifer Love Hewitt, qui en devint rapidement une après la sortie du film de Jim Gillespie.
On est loin de l’ambition de Candyman mais Souviens-toi l’été dernier est un honnête divertissement si on est amateur du genre ou attaché à un certain cinéma populaire des années 90. Sa présence dans cet article découle du fait que le scénario de Kevin Williamson (basé sur un roman de Lois Duncan) comporte une référence directe à une légende urbaine apparue dans les années 50 aux États-Unis, sous le nom de The Hook (ou The Hookman, qui signifie « l’homme au crochet »). Selon la légende, un couple de jeunes gens en train de se bécoter dans une voiture aurait soudain entendu à la radio une annonce mentionnant l’évasion d’un serial killer, échappé d’un asile à proximité. Petit détail non négligeable, l’homme porterait un crochet à la place de l’une de ses mains. Les amoureux prirent peur et quittèrent les lieux, mais découvrirent plus tard un crochet suspendu à la poignée de la porte de leur voiture…
Cette histoire (évidemment fausse, mais qui comme toute légende urbaine est présentée comme véridique), dont il existe d’ailleurs plusieurs variantes, s’est répandue en particulier chez les adolescents américains, connaissant un pic de notoriété en 1959. Les folkloristes en font plusieurs interprétations, d’ailleurs compatibles : certains considèrent le crochet comme un symbole phallique, et la fin de l’histoire (le crochet arraché) serait donc la métaphore d’une castration ; d’autres lui donnent une portée morale puisque dans la légende, les jeunes qui sont menacés sont plus ou moins en train de faire l’amour.
Souviens-toi l’été dernier développe une trame qui n’a rien de commun avec la légende The Hook, excepté le motif de l’homme au crochet (lequel avait d’ailleurs été cité dans plusieurs films antérieurs). Un an plus tard (en septembre 1998), l’anthologie horrifique Campfire Tales y fera de nouveau référence – cette fois de manière plus fidèle – par le biais d’un segment intitulé The Hook.
Urban Legend, la foire aux légendes urbaines
Sorti environ un an après Souviens-toi l’été dernier et appartenant au même sous-genre (le teen horror movie), Urban Legend est l’exemple le plus évident – comme le souligne son titre ! – de l’exploitation des légendes urbaines au cinéma. L’idée de base est un prétexte ingénieux pour puiser dans ce folklore : un tueur mystérieux assassine des étudiants en s’inspirant d’authentiques légendes urbaines. Le film reproduit pas moins de 11 légendes urbaines, parmi lesquelles l’histoire du tueur sur le siège arrière ; celle des gangs aux phares éteints ; le supposé cri d’agonie enregistré sur le morceau Love Rollercoaster ; etc. On retrouve également l’idée absurde que le fait de manger du Pop Rocks en buvant du soda causerait une mort brutale… D’autres légendes sont simplement citées au détour d’une réplique ; c’est le cas par exemple de The Baby sitter and the man upstairs.
C’est donc un véritable catalogue de légendes urbaines que le film de Jamie Blanks propose, et c’est d’ailleurs ce qui fait son principal intérêt. Il remporta un grand succès commercial (les recettes du premier week-end d’exploitation étaient presque équivalentes au budget total du film) en dépit de critiques plutôt négatives, et donna lieu à deux suites, sorties en 2000 et 2005.
Les années 2000
Les exemples de films inspirés de légendes urbaines sont moins notoires dans les années 2000 que dans la décennie précédente. On citera d’abord La Prophétie des ombres (The Mothman Prophecies, 2002) de Mark Pellington, avec Richard Gere dans le rôle principal. Le film est adapté du roman éponyme publié par l’écrivain et ufologiste John Keel en 1976. Keel avait lui-même basé son récit sur des témoignages mentionnant l’apparition d’une créature humanoïde ailée à Point Pleasant (Virginie occidentale), entre 1966 et 1967. Les témoignages se succédèrent à l’époque et quand, le 15 décembre 1967, un accident grave eut lieu sur le pont de Silver Bridge (causant la mort de 46 personnes), la tragédie fut associée (par certains) aux apparitions de celui qu’on baptisa Mothman
(« moth » signifiant « papillon de nuit »). L’enquête officielle aboutit à une conclusion plus scientifique, attribuant l’effondrement du pont à un phénomène de corrosion sous contrainte.
L’affaire du Mothman se situe quelque part entre la légende urbaine et l’ufologie (pour ceux qui prêtent à la supposée créature une origine extraterrestre). Le caractère hautement improbable des témoignages peut prêter à sourire, mais la présence d’une statue du Mothman à Point Pleasant est révélatrice du fait qu’il tient une place de choix dans le folklore local. Le film de Pellington n’occupe quant à lui guère une place comparable dans le cinéma de genre et comme il se prend davantage au sérieux que Souviens-toi l’été dernier et Urban Legend, il n’est pas même sauvé par une pointe de dérision souvent salvatrice en pareil cas.
Un an plus tard, en 2003, sortit le film Dead End, réalisé par un duo de cinéastes français (Jean-Baptiste Andrea et Fabrice Canepa) mais tourné à Los Angeles avec un casting exclusivement américain. Le scénario, dont l’idée principale évoque celui de Carnival of Souls, s’inspire en partie de la légende de la dame blanche, en particulier de la version moderne dans laquelle une auto-stoppeuse fantôme hante une route isolée. Le film comporte des fautes de goût (volontaires ?), mais on soulignera cependant le talent des comédiens (dont Ray Wise, qui joue Leland Palmer dans la série Twin Peaks, Lin Shaye – vue dans Insidious – et Alexandra Holden) ainsi qu’un sens du second degré qui suggère que les auteurs ne cherchaient pas à en imposer particulièrement.
When a Stranger Calls (Simon West, 2006) reprend quant à lui la légende de the Baby sitter and the man upstairs, comme le film de 1979 dont il est le remake (visiblement malheureux, à en croire le public et les critiques qui lui préfèrent largement la version originale).
On pourrait citer The Barrens (Darren Lynn Bousman, 2012) avec Stephen Moyer (connu pour le rôle du vampire Bill dans la série True Blood) mais cela serait prendre des libertés avec la thématique initiale de cet article : le Diable de Jersey relève de la légende, du folklore du New Jersey mais pas de la légende urbaine.
Channel Zero et le phénomène des Creepypastas
Channel Zero est une anthologie horrifique télévisuelle lancée par Nick Antosca dont les différentes saisons (il y en a trois pour l’instant) sont basées sur ce qu’on appelle outre-Atlantique des creepypastas. Or une creepypasta est dans les grandes lignes une légende urbaine, dont la spécificité est d’être créée et répandue via Internet.
Un peu inégale mais néanmoins singulière et souvent intrigante, la série vaut le coup d’œil et a le mérite de puiser dans un folklore moderne intéressant. On ne serait pas étonné que le cinéma s’intéresse de près aux creepypastas. Le jeu vidéo s’est d’ailleurs déjà emparé de cette matière, à l’image du survival indépendant Slender: The Arrival, où le joueur doit tenter d’échapper au Slender Man (un célèbre exemple de creepypasta).
Pour conclure
Le folklore en général et les légendes urbaines en particulier représentent une source d’inspiration inépuisable pour le cinéma et la littérature de genre. En ce qui concerne les légendes urbaines, le cinéma s’en est particulièrement inspiré au cours des années 90, probablement parce que la recherche consacrée à ce sujet avait connu un élan notable à partir des années 80. Aujourd’hui, les creepypastas représentent une nouvelle forme de légende urbaine, même si un chercheur pointu relèverait probablement d’autres différences que le simple mode de diffusion entre ces deux phénomènes. En tous cas, ces sortes de légendes urbaines 2.0 devraient probablement donner quelques idées aux scénaristes en quête d’inspiration au cours des années à venir…
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