Film de Ti West
Année de sortie : 2009
Pays : États-Unis
Scénario et montage : Ti West
Photographie : Eliot Rockett
Musique : Jeff Grace
Avec : Jocelin Donahue, Tom Noonan, Mary Woronov, Greta Gerwig, Dee Wallace
The House of the Devil est un film d’épouvante élégant et maîtrisé techniquement, qui privilégie intelligemment, excepté dans un final en demi-teinte, la suggestion et le hors-champ.
Synopsis de The House of the Devil
Samantha Hugues (Jocelin Donahue), étudiante sans le sous, vient de trouver un appartement à louer. Désireuse de pouvoir assumer elle-même le premier règlement, elle répond à une petite annonce de baby-sitting diffusée sur le campus de l’université.
Après lui avoir posé un lapin, l’employeur, Mr. Ulman (Tom Noonan), la recontacte et lui propose de garder son fils le soir-même. Accompagnée de son amie Megan (Greta Gerwig), Samantha se rend donc chez les Ulman. Ces derniers vivent dans une grande maison totalement isolée…
Critique du film
The House of the Devil marque le retour du metteur en scène américain Ti West au cinéma indépendant après Cabin Fever 2, suite dispensable du fameux – et plutôt honnête – film d’horreur réalisé par Eli Roth en 2004. C’est donc le studio indépendant Glass Eye Pix, lequel avait déjà financé The Roost (du même Ti West) en 2005, qui a produit The House of the Devil (avec Dark Sky Films), film dont le réalisateur signa également, comme à son habitude (exception faite pour Cabin Fever), le scénario et le montage.
Dès l’excellent générique (rétro à souhait) de début, on comprend que le film s’inscrit dans l’héritage du cinéma de genre des années 70/début 80, ce qui est d’emblée prometteur tant cette période est une véritable mine d’or pour les cinéphiles, y compris en matière de films d’épouvante. Comme son titre l’indique, The House of the Devil s’affirme plus spécifiquement comme un satanic film, au rang desquels on citera notamment Rosemary’s Baby, La Sentinelle des maudits, La Neuvième porte, Amityville et L’Exorciste, tandis que son cadre et son atmosphère (la majeure partie du film se déroule à l’intérieur d’une maison inquiétante à souhait) le classe également parmi les haunted house movies.
Les années 80 ne sont pas ici qu’un clin d’œil stylistique, puisque l’action même du film se déroule au cours de cette décennie ; un choix qui n’a rien hasardeux dans la mesure où les années 80 ont été notamment le cadre du phénomène Satanic ritual abuse, une « panique morale » (cette expression est utilisée en Amérique du Nord ; elle n’a pas vraiment d’équivalent français) au cours de laquelle des rumeurs de rituels diaboliques et pervers prirent une ampleur particulièrement importante. The House of the Devil puise largement dans ce phénomène social et dans le folklore auquel il renvoie.
L’une des grandes qualités du film réside dans sa sobriété et dans sa manière, élégante, d’éviter les poncifs dans lesquels s’égarent beaucoup de films de genre actuels (violence gratuite ; montage « clippesque » illisible ; abus du fake scare ; etc.). Ti West utilise des recettes plus old school (mais ô combien toujours efficaces) avec toutefois suffisamment de style pour que son film soit bien davantage qu’un catalogue de références.
Après une demi-heure de film au cours de laquelle nous faisons connaissance avec des personnages attachants et crédibles (l’héroïne Samantha Hughes et sa copine Megan, respectivement interprétées par Jocelin Donahue et Greta Gerwig), tandis qu’habilement le réalisateur instille ça et là juste ce qu’il faut d’étrangeté et de bizarrerie, nous voilà face à une situation hautement conventionnelle et typique du genre : une jeune femme sans défense se retrouve seule dans une maison inquiétante, perdue au milieu de nulle part.
Dans ce pur exercice de mise en scène, le réalisateur fait preuve d’un sens du cadre et du rythme tels qu’il parvient à maintenir une tension constante alors qu’il ne se passe pour ainsi dire rien, jouant uniquement sur l’appréhension et l’imagination du spectateur. Il utilise l’espace, la bande son et les différents éléments du décor – comme l’escalier qui mène au premier étage – d’une manière qui évoque la technique de quelques grands maîtres du suspense, dont un certain Alfred Hitchcock (lequel avait d’ailleurs filmé dans Psychose une scène mémorable avec un escalier), même si Ti West cite plus volontiers Roman Polanski parmi ses influences ; un réalisateur avec lequel il partage un goût prononcé pour la suggestion et le hors-champ (The House of the Devil cite d’ailleurs implicitement Rosemary’s Baby, que nous mentionnions précédemment).
Ti West est conscient que le suspense exige du temps et de l’espace pour dévoiler toutes ses nuances et ses différents degrés d’intensité. Il fait donc habilement durer les séquences, se reposant sur une utilisation ingénieuse du décor et de ses perspectives. Il se montre également intelligent en matière de caractérisation des personnages ; son héroïne, incarnée par une jeune comédienne (Jocelin Donahue) convaincante, possède une vraie personnalité (elle ne correspond en rien à l’archétype de la scream queen) et suscite de fait aisément l’empathie du spectateur, ce qui contribue à renforcer les qualités immersives du métrage.

L’escalier vers l’inconnu, ingrédient efficace du cinéma d’épouvante, que Ti West utilise très bien.
Malheureusement, quand The House of the Devil bascule dans l’horreur pure, on assiste à un enchaînement de scènes moins convaincantes que les séquences virtuoses qui les ont introduites et qui, au lieu de créer le paroxysme attendu, ont tendance à libérer le spectateur de l’emprise constante que le film exerçait jusque-là sur ses nerfs. Le dénouement, assez téléphoné, est en tous cas moins prenant que la première heure du film et cette baisse d’intensité n’est pas contrebalancée par des idées particulièrement intéressantes, ou encore par une touche d’ambiguïté souvent salutaire en pareils cas. Pas impossible que Ti West soit meilleur dans la suggestion et dans l’attente que dans l’action plus explicite – c’est quelque chose dont nous pourrons mieux juger à l’occasion de ses prochains films.
Pour autant, il serait totalement injuste d’oublier que pendant une bonne heure Ti West a su maintenir une atmosphère oppressante grâce à une réalisation et un montage au cordeau, et en s’appropriant avec élégance une grammaire cinématographique trop souvent négligée par les films d’horreur actuels (au profit de recettes plus faciles et plus commerciales). Une raison amplement suffisante pour découvrir The House of the Devil et pour aller voir le nouveau Ti West, The Innkeepers, projeté au marché du film du Festival de Cannes 2011.
Anecdotes
L’acteur Tom Noonan, qui interprète Mr. Ulman dans The House of the Devil, incarne le tueur Francis Dolarhyde (The Tooth-Fairy
) dans Sixième sens (Manhunter, 1986), la première adaptation – par Michael Mann – du roman Red Dragon de Thomas Harris. Noonan y joue aux côtés de William Petersen (Police fédérale, Los Angeles).

L’acteur Tom Noonan, employeur peu fiable dans « The House of the Devil », tueur psychopathe dans « Sixième sens » de Michael Mann.
Mary Woronov, l’épouse de Tom Noonan dans The House of the Devil, tient des rôles secondaires dans plusieurs films célèbres, dont La Course à la mort de l’an 2000, La Veuve noire et The Devil’s Rejects.
L’actrice, scénariste et réalisatrice Greta Gerwig – qui joue Megan, la sympathique copine de Samantha – tient l’un des rôles principaux dans Greenberg (2010), aux côtés de Ben Stiller, et dans le réjouissant Damsels in Distress (2011), de Whit Stillman. Devenue entre temps une icône du cinéma indépendant américain, Gerwig a depuis joué (entre autres) dans l’excellent Frances Ha, de Noah Baumbach, dont elle a également coécrit le scénario.
À lire autour de The House of the Devil
Cinemablend a publié une interview de Ti West, Greta Gerwig et Tom Noonan à l’occasion de la sortie de The House of the Devil.
En dépit d'un final qui ne convainc pas autant que le reste du film, The House of the Devil prouve que Ti West est un auteur qui va compter dans le cinéma horrifique actuel. Et puis, les réalisateurs capables de nous tenir en haleine avec un (bon) personnage et un unique décor pendant près d'une heure ne sont pas si nombreux...
3 commentaires
Oh, je ne connaissais pas du tout (mais comment suis-je passée à côté?) mais ça me tente quand même un peu, je vais voir si je sais mettre la main dessus.
ça vaut le coup je trouve, c’est vraiment bien mis en scène et les persos sont bons. Le générique de début est un régal ! On pense vraiment à tous ces films de genre des années 70-début 80. La façon dont il entretient le suspense est vraiment assez remarquable… Après la fin déçoit, c’est mon avis en tous cas, mais on passe globalement un très bon moment.
Critique très indulgente d’un fil très ennuyeux, qui lasse bien avant sa dernière demi-heure.