Film de Jay et Mark Duplass
Année de sortie : 2008
Scénario : Jay et Mark Duplass
Photographie : Jay Duplass
Montage : Jay Deuby
Musique : J. Scott Howard
Avec : Ross Partridge, Steve Zissis, Greta Gerwig, Elise Muller
Baghead mixe avec habileté les particularités du courant mumblecore et les codes du genre horrifique. Le résultat est unique, savoureux et parfaitement maîtrisé.
Synopsis du film
Quatre étudiants en cinéma partent en week-end dans une maison isolée pour tenter d’y écrire un scénario. Mais entre des tensions amoureuses et la présence hypothétique, dans les bois environnants, d’un inconnu avec un sac sur la tête, l’ambiance va s’avérer peu studieuse…
Critique de Baghead
Né au début des années 2000, le courant mumblecore désigne une sous-catégorie du cinéma indépendant américain dont les principales caractéristiques sont les suivantes : des dialogues naturalistes, souvent plus importants que l’intrigue en elle-même ; un (tout) petit budget ; une focalisation sur les relations entre les personnages, en général de jeunes adultes. Comme toutes les étiquettes, le terme est fréquemment rejeté par les artistes associés à ce mouvement, parmi lesquels on citera Greta Gerwig, Andrew Bujalski, la regrettée Lynn Shelton, Joe Swanberg, Lena Duhnam et les frères Duplass, prénommés Jay et Mark.
Le film qui nous intéresse ici est le second long métrage des frères Duplass (qui ont créé leur propre maison de production dès 1996) après The Puffy Chair (2005). La particularité de Baghead est que le film est à la fois très représentatif du mumblecore movie tout en jouant avec les codes de l’horreur, alors qu’en général le mumblecore se situe plutôt dans le registre de la comédie dramatique, de la comédie pure ou du drame. Si le terme mumblegore a été inventé pour désigner les films d’horreur dits mumblecore (on citera notamment les films du tandem Benson/Moorehead), je ne suis pas certain qu’il soit très approprié ici ou en tout cas, il ne suffit pas à caractériser Baghead, objet singulier sur lequel il est difficile de coller une étiquette, ce qui fait d’ailleurs pleinement partie de son charme.
Le pitch est minimaliste : quatre amis, apprentis comédiens et scénaristes, partent dans une petite maison à la campagne pour tenter d’écrire un scénario. La réalisation caméra à l’épaule ; le jeu hyper naturaliste des comédiens ; l’abondance de dialogues simples (sans doute en partie improvisés) ; l’importance accordée à l’étude des personnages et des dynamiques relationnelles ; le ton plutôt léger dans l’ensemble ; l’âge des protagonistes (la trentaine) : tout ces ingrédients sont typiques du mumblecore, même si on peut évidemment les retrouver dans des films qui ne sont en rien associés à ce courant (d’où l’agacement, sans doute, de certains artistes face à ce terme forcément réducteur). Mais rapidement, une tension horrifique plus inhabituelle s’installe. Elle découle d’un cadre évocateur surexploité dans le cinéma d’horreur (la maison isolée dans la forêt) et surtout d’un supposé cinquième personnage qui rôderait dans les environs et porterait un sac sur la tête…
Là ou les frères Duplass sont malins, c’est qu’ils se gardent bien de faire basculer Baghead dans le pur film d’horreur « classique », et continuent de rester concentré sur les dynamiques entre les personnages, s’amusant à faire passer la tension au premier ou à l’arrière plan selon les séquences (sans suivre la logique classique du crescendo), voire à la faire volontairement retomber (pour autant, certaines scènes sont vraiment stressantes !), et créant constamment la confusion dans l’esprit du spectateur autour d’une question simple : y a-t-il vraiment un fou dans les environs ou non ? Ce qui revient à se dire : quel genre de films suis-je vraiment en train de regarder ?
Ce jeu autour de deux registres distincts (la comédie dramatique intimiste et le survival horrifique) est particulièrement bien mené dans la mesure où il ne se fait jamais au détriment de la cohérence de l’ensemble et de la caractérisation des personnages. Cela parait simple, mais l’équilibre et le dosage dont témoigne Baghead est en réalité rare et délicat. Par ailleurs, le film suinte l’amour de faire du cinéma avec trois dollars, ce qui correspond d’ailleurs exactement aux aspirations de ses personnages.
Notons que Greta Gerwig, qui trouvait là son troisième rôle au cinéma (à 25 ans environ), sera l’année suivante à l’affiche de The House of the Devil, un petit film d’horreur indépendant (un mumblegore ?) qui à ce jour est peut-être le meilleur de son réalisateur (Ti West), tandis que Mark Duplass retrouvera le cinéma d’horreur à travers trois bons films : Black Rock, un survival féministe efficace écrit par Duplass et réalisé par son épouse Katie Aselton ; ainsi que Creep et sa suite Creep 2, deux found footage particulièrement originaux où Duplass a la double casquette de co-scénariste et de comédien.
Baghead propose un savoureux dosage de comédie intimiste et de survival horrifique, entretenant savamment le doute dans l'esprit du spectateur quant au genre "véritable" auquel il appartient. Au final, on ne cherchera d'ailleurs guère de réponse définitive à cette question pour profiter de ce drôle d'objet cinématographique, à la fois très singulier et représentatif à sa façon d'une génération de cinéastes indépendants américains regroupés, à tort ou à raison, dans le courant appelé mumblegore. Merci à MUBI d'avoir proposé ce film dans sa sélection Halloween ! Le film est également disponible sur la plateforme Shadowz.
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