Aaron Moorhead et Justin Benson forment un duo de cinéastes atypique, dont les trois premiers longs métrages se classent parmi ce que le cinéma fantastique a proposé de plus singulier au cours des dix dernières années.
Des auteurs dans la marge
Aaron Scott Moorhead et Justin Benson ont chacun une trentaine d’années lorsqu’ils tournent Resolution au début des années 2010. Bien que sa réputation, aux États-Unis comme ailleurs, soit restée des plus confidentielles, ce premier long métrage suscita des bonnes critiques à sa sortie en 2011, à l’occasion de sa projection dans plusieurs festivals de cinéma (il récolta d’ailleurs 4 prix au Toronto After Dark Film Festival). Le tandem a signé depuis deux autres films, Spring (2014) et le récent The Endless (2017), tous deux projetés au PIFFF, qui ne leur ont pas fait gagner beaucoup plus de notoriété mais qui bénéficièrent d’un accueil également positif chez une partie de la critique et du milieu du cinéma (Guillermo del Toro exprima son admiration pour Spring), de même qu’ils confirmèrent le talent indéniable de leurs auteurs.
Les raisons de cette distribution extrêmement restreinte (aucun de ces trois films n’est sorti au cinéma en France) ne sont pas difficiles à comprendre. Tout d’abord, nous sommes là face à du pur cinéma indépendant, à la limite du do it yourself : Moorhead et Benson disposent de budgets très réduits et assurent eux même la réalisation et le montage (tous les deux), l’écriture (Benson), la photographie (Moorhead) et même l’interprétation des deux rôles principaux dans The Endless. Ensuite, leur cinéma n’est pas de ceux que l’on classe facilement ; or il n’y a rien que les distributeurs craignent le plus que des films difficiles à vendre car échappant à des étiquettes précises.
Resolution, Spring et The Endless appartiennent certes au genre fantastique, mais ils n’en reprennent que peu de codes et l’abordent avant tout pour développer un récit intime et original – et non pour en décliner les recettes comme le font, avec plus ou moins d’inspiration, les récentes franchises à succès du genre. En clair, les films de Moorhead et Justin Benson dérouteront les amateurs d’un fantastique spectaculaire à base de jump scares ou ceux friands d’une horreur graphique dont ils sont dépourvus ; tandis qu’une partie du public restant demeurera perplexe devant l’étrangeté de leurs histoires, dont les clés sont rarement explicitées.
Tentons ici de voir ce qui distingue le cinéma de ces deux artistes en dégageant les principales caractéristiques et thématiques propres à leurs trois premiers films.
Des récits formés autour de deux personnages
Moorhead et Benson sont deux derrière la caméra et, hasard ou non, leurs films mettent systématiquement en scène un duo central de personnages, qui sont toujours unis par des liens très forts : il s’agit de deux vieux amis dans Resolution ; de deux amants dans Spring ; et de deux frères dans The Endless.
À chaque fois, le film puise une grande partie de ses enjeux dramatiques dans cette relation autour de laquelle le récit se construit. Au fil des événements, les deux personnages tentent de gérer une situation problématique donnée (ce qui est classique en soi), et évoluent aussi bien à titre individuel qu’au niveau du rapport (amical, amoureux ou fraternel) qui les unit (chose que l’on voit déjà moins souvent, dans le cinéma fantastique commercial du moins). Il y a donc une dimension initiatique et intime qui donne à leur cinéma un relief indéniable sur le plan de l’émotion et de l’empathie (le spectateur s’attache aux protagonistes et s’intéresse à leur relation).
Des niveaux de lecture multiples
Alors que Spring emprunte, après une introduction et une mise en place particulièrement soignées (présentant le background familial du protagoniste), la voie d’un fantastique romantique inattendu évoquant l’univers du conte et en particulier le mythe (d’origine orientale) de la goule (auquel Jacques Finné a consacré récemment une anthologie), Resolution et The Endless convoquent de leur côté la figure (toujours hors-champ) d’une entité mystérieuse qui n’est pas sans rappeler l’univers de H.P. Lovecraft (directement cité dans The Endless), et proposent des récits où la réalité telle qu’elle nous est présentée au début du film subit des altérations à la fois subtiles et vertigineuses, concernant aussi bien la temporalité que l’espace.
Tout l’intérêt du processus est que les auteurs ne se contentent pas d’utiliser ces effets comme autant de gadgets ou de références littéraires : ils les mettent en perspective avec les personnages et leur donnent des significations diverses, dont certaines évoquent le principe même du cinéma (ce pourquoi on pourrait parler de méta-cinéma). Ainsi les boucles temporelles auxquelles sont confrontés les héros de Resolution et The Endless renvoient non seulement à la démarche des deux auteurs – qui sont revenus, après Spring, à des thématiques et situation déjà explorées dans leur premier long métrage – mais aussi à la « condition » des personnages d’un film, qui par définition sont « enfermés » dans l’espace « virtuel » créé par la pellicule (ou encore, dans l’imagination de leurs créateurs).
Mais comme indiqué plus haut, ce jeu avec les repères temporels est également un moyen, en particulier dans The Endless, d’aborder des thématiques existentielles et philosophiques, les personnages du film précité s’interrogeant face à la perspective d’une vie sans risques, confortable mais totalement prédéterminée, ou celle d’un quotidien plus chaotique ou tout (mais aussi rien) peut arriver. Évidemment, ces questionnements s’appliquent à la vie intime mais également aux choix artistiques : doit-on aller dans des directions que l’on connaît (et qui peuvent être soldées d’un certain succès) ou au contraire tenter des choses différentes, plus stimulantes mais avec des résultats incertains ?
Pour conclure
Aaron Moorhead et Justin Benson proposent un cinéma de genre atypique et personnel, ces deux caractéristiques étant aussi bien des qualités du point de vue artistique que – malheureusement – des freins sur le plan de la réussite commerciale. Espérons qu’ils conserveront leur liberté créatrice tout en parvenant à financer leurs futurs films, que l’on souhaite nombreux et aussi inspirés que les trois premiers.
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