Film de Justin Benson et Aaron Moorhead
Pays : États-unis
Année de sortie : 2017
Scénario : Justin Benson et Aaron Moorhead
Photographie : Aaron Moorhead
Montage : Justin Benson, Michael Felker
Musique : Jimmy Lavalle
Avec : Justin Benson, Aaron Moorhead, Callie Hernandez, Tate Ellington, Lew Temple, James Jordan
Avec The Endless, Justin Benson et Aaron Moorhead témoignent une nouvelle fois de leur approche intelligente et personnelle du cinéma fantastique.
Synopsis du film
Justin Smith (Justin Benson) et Aaron Smith (Aaron Moorhead) sont deux frères trentenaires qui ont longuement vécu dans une secte quand ils étaient plus jeunes. Aujourd’hui, ils partagent un appartement et vivent de petits boulots ennuyeux.
Aaron, le frère cadet, goûte peu ce quotidien amer, qui contraste avec les souvenirs harmonieux que lui ont laissé les années passées au sein du culte. Un jour ils reçoivent une curieuse vidéo, visiblement envoyée par l’un de ses membres ; Aaron saute sur l’occasion et demande à son frère s’ils ne pourraient pas revenir sur place, le temps d’un ou deux jours maximum.
Justin, peu enthousiaste, cède et les deux frères prennent la route ensemble. Ils sont plutôt bien accueillis au sein de la communauté, qui cultive des légumes frais et vit paisiblement dans un bel environnement naturel. Mais peu à peu, Justin et Aaron se demandent si les croyances obscures que nourrissent les membres de la secte n’auraient pas des fondements insoupçonnés – et vertigineux…
Critique de The Endless
The Endless, le troisième long métrage de Justin Benson et Aaron Moorhead (projeté au PIFFF 2017), confirme que nous avons affaire à deux cinéastes indépendants qui parviennent à raconter, dans chacun de leur film, quelque chose de différent tout en construisant une oeuvre cohérente, au sein de laquelle se dégagent des caractéristiques, des références et des thématiques communes.
Le premier point qui interpelle est la manière toute personnelle dont ils abordent le cinéma fantastique, c’est-à-dire avec la volonté évidente de développer des récits exigeants, singuliers, et non celle de décliner les recettes toutes faites à partir desquelles sont élaborés un grand nombre de films appartenant au genre. Deuxièmement, on retrouve dans The Endless un élément scénaristique également présent dans Resolution et dans Spring (encensé par Guillermo del Toro), à savoir que le récit s’articule autour de la relation propre à deux personnages principaux (deux amis dans Resolution ; deux amants dans Spring et deux frères dans The Endless), relation qui constitue la colonne vertébrale du film et cristallise l’essentiel de ses enjeux dramatiques (chose que l’on peut dire également du très réussi They Look Like People, autre film de genre indépendant qui mérite le coup d’œil).
Ce duo central (incarné dans The Endless par Justin Benson et Aaron Moorhead eux-mêmes), toujours particulièrement soigné en termes de caractérisation, évolue dans un univers où l’étrange, le fantastique ébrèchent subtilement la réalité : le démonstratif et le spectaculaire sont rarement de mise ici. Manifestement, Justin Benson et Aaron Moorhead préfèrent intriguer, interroger le public que se contenter de le faire bondir dans son fauteuil. Ils ne répondent d’ailleurs pas explicitement à ces interrogations, ce qui rend la vision de leurs films d’autant plus stimulante pour l’imagination.
On retrouve dans The Endless l’idée de boucle temporelle déjà présente dans Resolution (le lien entre les deux longs métrages est direct et explicite). Boucle qui renvoie à plusieurs choses : au principe même du cinéma qui « enregistre » des moments que l’on peut voir et revoir ; et à la démarche de Justin Benson et Aaron Moorhead lorsqu’ils reviennent, comme ici, à des personnages et des sujets déjà explorés dans leurs précédents films. Mais la boucle temporelle est également un moyen d’articuler des questionnements existentiels, philosophiques que l’on pourrait résumer, du moins simplifier par l’interrogation suivante : est-il préférable de vivre une existence prédéterminée et confortable ou d’affronter un quotidien incertain mais potentiellement douloureux, ennuyeux, tout aussi répétitif à sa manière et ponctué par une mort certaine ? Ce dilemme permet entre autres aux auteurs de creuser la personnalité des protagonistes et leur relation relativement complexe, avec une empathie palpable mais aussi un humour savamment dosé, qui l’altère jamais la dimension inquiétante – bien réelle – du film.
Au niveau des références, celle de H.P. Lovecraft, déjà perceptible dans Resolution, est explicitée par une citation pré-générique et une réplique du film. En soi c’est assez banal, la « patte » du célèbre écrivain fantastique étant perceptible dans un grand nombre de films, bandes dessinées et romans contemporains ; en revanche, The Endless fait partie – aux côtés de films comme Absentia – des assez rares longs métrages qui parviennent à s’inspirer de l’univers de l’auteur de Celui qui murmurait dans les ténèbres sans le caricaturer ou l’illustrer platement, mais au contraire en l’utilisant de manière créative et originale.
The Endless plaira à tous les amateurs d'un cinéma fantastique personnel, atypique et exigeant dans son écriture. Le plaisir de vision est d'autant plus grand qu'à la qualité du récit se conjuguent le talent des comédiens (tous excellents) et une indéniable maîtrise sur le plan formel. Dommage que les chances de voir ce film d'auteur à la fois inquiétant, drôle et intéressant dans les salles françaises soient infimes, voire nulles, tandis que les franchises prévisibles comme Annabelle n'ont pas de quoi s'inquiéter. Les parti pris discutables des distributeurs, eux aussi, se répètent en boucle...
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