Film de Mike Flanagan
Année de sortie : 2011
Pays : États-Unis
Scénario et montage : Mike Flanagan
Photographie : Rustin Cerveny
Musique : Ryan David Leack
Avec : Katie Parker, Courtney Bell, Dave Levine, Justin Gordon, Morgan Peter
Avec Absentia, Mike Flanagan parvient à créer une atmosphère angoissante en utilisant habilement des ressorts psychologiques et fantastiques.
Synopsis d’Absentia
Sans nouvelles d’un mari disparu depuis 7 ans, Tricia (Courtney Bell) décide de le déclarer « mort par absence », et tente de se reconstruire aux côtés de sa sœur cadette Cassie (Katie Parker), de retour après un long voyage. Rongée par la culpabilité et victime d’effrayantes hallucinations, Tricia a cependant bien du mal à tourner la page, malgré sa relation avec l’inspecteur Mallory (Dave Levine).
Un matin, de retour d’un footing dans le quartier, Cassie fait une rencontre inquiétante dans le tunnel situé près de la maison de Tricia…
Critique du film
Certains films d’épouvante continuent (et c’est souvent bon signe) de provoquer plusieurs jours après leur vision, dans l’esprit du spectateur réceptif, un sentiment d’anxiété qui, pour peu qu’il découle d’un procédé un tant soi peu subtil, vous guide vers une compréhension plus intime de l’œuvre, si du moins l’on consent à suivre ce chemin quelque peu inquiétant – Absentia possède assurément cette « qualité ».
Ce film de genre indépendant a été financé en partie grâce au système du crowdfunding, pour atteindre au final un budget d’environ 70 000 dollars – une somme très modeste mais néanmoins la plus importante dont le réalisateur (également scénariste et monteur) Mike Flanagan avait bénéficié jusqu’alors.
S’il est probablement difficile, pour une équipe de tournage, de composer avec ce type de contraintes financières, il n’est pas rare qu’elles (ces contraintes) entraînent des effets positifs sur le résultat final. C’est en l’occurrence le cas : le nombre limité de décors, l’éclairage cru, le recours à la suggestion (quand des moyens plus conséquents auraient peut-être orienté vers davantage de spectaculaire), et même une bande originale minimaliste (composée pour l’essentiel de deux notes répétitives) sont autant d’éléments qui à leur manière ont contribué à faire d’Absentia ce qu’il est – un film oppressant et singulier qui explore, avec une économie de moyens écartant d’emblée toute digression et surenchère, nos peurs les plus intimes face à un drame personnel particulièrement troublant, à savoir la disparition inexpliquée d’un proche. Et ainsi que le titre – la forme latine du mot absence, employée dans le registre juridique – le suggère, Absentia base l’essentiel de sa construction dramatique sur les différentes peurs, réactions et fantasmes que cette « disparition » suscite chez les personnages.
Dans la première partie du film, l’angoisse repose essentiellement sur des ressorts psychologiques, et plus précisément sur la culpabilité qu’éprouve Tricia (Courtney Bell) après qu’elle ait consenti à déclarer son époux « mort par absence » (death in absentia). Les séquences horrifiques (souffrant de cauchemars et d’hallucinations, Tricia est hantée par les apparitions d’un mari vengeur) servent alors à illustrer les scrupules que le personnage ressent suite à cet acte symbolique, et ses difficultés à aller de l’avant dans sa vie personnelle.
Survient ensuite un événement clé (que nous garderons ici secret) qui précipite le métrage dans un registre fantastique, quoique teinté d’ambiguïté (certains événements sont racontés par un personnage, et non montrés au « moment » où ils sont sensés s’être déroulés – procédé narratif qui fragilise les frontières entre fantasme et réalité). À partir de ce moment-là, Absentia puise ses références dans les folklores monstrueux (on retrouve cette universelle image du monstre agressant et soumettant l’être humain, image évoquée dans une réplique de Cassie, interprétée par Katie Parker) et les mythologies liées à l’idée d’un monde multi-dimensionnel (surreal underworld
), pour se retrouver ainsi à mi-chemin entre Clive Barker (pour l’aspect sexuel, explicité dans une réplique) et H.P. Lovecraft (influence revendiquée par l’auteur dans cette interview). En résumé, le film commence donc par traiter d’un drame humain « ordinaire » et des traumatismes qu’il entraîne, puis il tisse des liens sinueux entre ce drame et les mythologies fréquemment explorées par la littérature et le cinéma fantastique, pour au final multiplier les perspectives sur une même situation.
Le passage au fantastique ne provoque pas de véritable rupture de ton ; le film demeure homogène en termes de rythme et d’atmosphère (quoique celle-ci se fait de plus en plus pesante), comme si la seconde partie (introduite par un long fondu au noir), indépendamment de sa dimension surnaturelle, servait avant tout à développer la réflexion du réalisateur sur le thème central d’Absentia : les réactions de l’être humain confronté à l’inconnu, au mystère, à la peur, à la souffrance – autant d’éléments que le tunnel (un type de lieu éminemment symbolique) situé à proximité de la maison de Tricia incarne de manière particulièrement inquiétante.
Absentia s’inscrit parmi les films de genre qui privilégient la psychologie et le développement des personnages à la multiplication des scènes d’horreur. Flanagan a particulièrement soigné la caractérisation des deux protagonistes, dont les personnalités et points de vue respectifs lui permettent de varier les niveaux de lecture et les registres émotionnels.
Tricia et sa sœur cadette Cassie témoignent en effet d’attitudes et de mécanismes de défense spécifiques, des « rituels » sur lesquels le film s’attarde volontairement : la première, via un recours quotidien à la méditation (et des séances de psychanalyse), tend à expliquer rationnellement les choses et à accepter la vérité
telle qu’elle est (It is easier to imagine the most horrifying fantaisies than to accept the truth […] to accept how simple, how stupid reality is
) ; la seconde prie tous les soirs avant de s’endormir et consomme de la drogue pour apaiser ses angoisses – le premier facteur explique en partie pourquoi Cassie penche plus aisément vers une vision surnaturelle des événements (une croyance en entraîne parfois une autre), le second entretient un doute sur la véracité de ses témoignages et expériences.
Un certain mystère enveloppe également le passé de la jeune femme (au début du film, elle revient après une longue absence), passé que l’on devine tourmenté et que Mike Flanagan évoque subtilement au tout début du film par le biais de deux plans significatifs, l’un sur ses chaussures raccommodées, l’autre sur le sac usé que Cassie laisse tomber en entrant chez sa sœur. Tous ces détails sont importants car en définissant par petites touches la psychologie et le vécu des personnages, le metteur en scène non seulement favorise un sentiment d’empathie chez le spectateur, mais surtout fournit des clés de lecture permettant une interprétation plus fine du récit.
Chacune des sœurs véhicule donc un regard différent sur le film, que l’on peut ainsi choisir d’interpréter selon un angle rationnel ou non – quoique comme souvent, c’est le mélange de ces deux approches davantage que leur stricte opposition qui donne sa richesse à l’histoire. Notons que Katie Parker et Courtney Bell forment un duo crédible, attachant, et parviennent à traduire avec beaucoup justesse les caractéristiques de leur personnage (elles figurent d’ailleurs toutes deux au casting du prochain film de Mike Flanagan, Oculus).

Cassie (Katie Parker) et Tricia (Courtney Bell), deux sœurs attachantes dont la relation sonne juste
Absentia questionne intelligemment nos croyances et nos réactions face à la douleur, au mystère et à nos peurs les plus profondes, symbolisées par le tunnel obscur sur lequel s'ouvre et se clôt le film. N'hésitez pas à y entrer pour l'occasion : pour reprendre une tagline classique du cinéma horrifique, it's only a movie
.
5 commentaires
Film indigent (même avec un commentaire polonais !) découvert grâce à votre article, dépourvu du moindre projet de mise en scène et, pire encore, de la plus infime présence au monde (le fameux « réalisme ontologique » du cinéma dont parlait Bazin, qui représente à la fois un défi et un horizon pour l’horreur filmée). En musique, le financement participatif permit à des « chanteurs » de commettre leur premier album en polluant les ondes « mainstream » – si l’on nous réserve la même chose avec le cinéma dit de genre, cela nous promet de beaux lendemains (et la somme « modeste » de 70 000 paraît encore astronomique au vu du résultat)… Plutôt que de s’étendre sur cette « œuvre » anodine – restons dans la célébration, ne cédons pas aux sirènes contemporaines et nationales de la détestation -, on renverra aux titres de Lynch (cité dès le premier plan en rime à « Eraserhead » ou à l’occasion d’un footing de l’une des héroïnes sur les hauteurs de Mullholland Drive) ou de Lovecraft (malmené de faux hommages en pochades puériles ; seuls « Frayeurs » de Fulci ou « L’Antre de la folie » de Carpenter respirent l’air poétique et vicié de l’ermite de Providence, qui ne connut pas la chance d’une traduction signée Baudelaire ou Mallarmé, contrairement à Poe). Une remarque aussi sur l’horreur contemporaine : dans les années 80, elle sourdait des écrans de cinéma ou de télévision (« Vidéodrome », « Démons » ou les films plus récents de Nakata) ; à présent, la voici logée au cœur des images, avalant littéralement les fantoches qui servent de personnages (« Rec » ou « Absentia »). L’horreur phallique, intrusive, devient vaginale, bouche d’ombre dévorant ses proies les mains tendues : nous retrouvons le motif de la main désespérément dressée vers le spectateur impuissant, celle autrefois de Janet Leigh et Angie Dickinson, celle désormais de Monica Belluci, prisonnière d’un autre tunnel… Ce qui fait penser à Springsteen chantant ses amours funèbres dans le décor de « Carnival of Souls », et prouve que « tout s’harmonise », comme le formulait King dans son opus sur le président assassiné voici cinquante ans, ou auparavant Jung avec le phénomène de « synchronicité ». Moralité : un caméscope HD et des intentions de carrière ne font pas un « bon » film, encore moins dans le domaine impitoyable de l’horreur, qui ne tolère pas la demi-mesure, ni la pénurie d’idées, cinéma de pauvres (moyens) qui ne possède d’autre choix, à chaque fois, que de réinventer la peur, le doute, le malaise et – aussi – la lumière (au bout du tunnel), comme jadis un autre sommet de claustrophobie et du monde comme représentation tragique et ludique : « Body Double », of course.
Je trouve que ce film vaut largement « L’Antre de la folie » (personnellement il m’a moins marqué qu’Absentia) ; ceci dit pour moi la comparaison n’a pas lieu d’être, les sujets abordés dans ses films sont très différents. Aucun rapport avec « Eraserhead » non plus, quel que soient les clins d’œil que l’on peut trouver au détour d’un plan. Je trouve que le thème de la disparition et la culpabilité de l’épouse sont traités intelligemment, que les deux sœurs sont crédibles et attachantes, que plus généralement l’histoire explore habilement différentes sources de peur, sans donner dans le racoleur mais avec la volonté de développer une situation et des personnages, avec juste ce qu’il faut d’ambiguïté.
Je ne comprends pas que vous fassiez un parallèle avec « Rec », ces deux films n’ont aucun rapport ni thématique, ni visuel… « Rec » est un film efficace mais qui exploite sans grande inspiration un style (le found footage) à la mode (du moins il y a quelques années) alors qu’Absentia ne s’inscrit à mon sens dans aucune tendance particulière du cinéma fantastique contemporain, c’est un film assez personnel et inclassable.
Bref, chacun ses goûts, personnellement j’évite de trop revenir sur des « classiques » parfois d’ailleurs surestimés (Vidéodrome et L’Antre de la folie sont des bons films, mais ne méritent pas un tel culte à mon avis) pour mieux apprécier ce que des cinéastes talentueux d’aujourd’hui peuvent proposer de différent – typiquement en sortant d’une séance du PIFFF j’entendais des remarques du type « c’est année 70, c’est Jean Rollin, etc. », j’avais envie de leur dire : êtes-vous capable d’apprécier une œuvre sans lui chercher systématiquement, parfois en dépit du bon sens, des modèles ou des références ?
Je ne reviens pas sur les liens entre les œuvres, sous forme de citations clairement identifiables, qui permettent de tisser la fameuse « intertextualité » de Barthes, le fait qu’un livre, un film, un tableau et le reste, renvoient à d’autres livres, films et tableaux, comme un palimpseste (cf. « Obsession », basé sur ce phénomène très proustien). Le cinéma s’avère aussi « un tissu de citations » – ce qui implique qu’aucun regard ne peut concevoir ni se porter sur un film totalement « vierge », et répond à votre ultime question. Quant au « bon sens », il s’avère aussi subjectif que la critique elle-même, ne croyez-vous pas ? Par ailleurs, je laisse le culte aux croyants et partage avec vous la célébration des talents d’aujourd’hui. Seul problème : on les dénombre sur les doigts d’une main (ou de deux, soyons généreux)… Wait and see l’histoire de miroir du sieur Flanagan, donc, qui semble retravailler la figure du frère et de la sœur en proie à un encombrant héritage familial – au royaume des images, les artisans (les tâcherons, diraient les mauvaises langues) peuvent aussi devenir rois.
Oui sur ce point je suis bien entendu d’accord avec vous, n’importe quel artiste a forcément des références et des sources d’inspiration, conscientes ou non d’ailleurs, que ce soit en musique, en cinéma ou ailleurs, c’est évident. Ce qui me déplait, c’est quand on cherche systématiquement à faire des rapprochements pour étaler sa culture ou afficher une fausse compréhension de l’œuvre. Ici, les références ne sont plus des clés pour mieux comprendre un film, mais des raccourcis faciles qui inversement empêchent une compréhension intime de l’œuvre. Au lieu de réfléchir à ce qu’a voulu dire l’artiste et à ce qu’il apporte d’original, on lance des « ah, ici ça renvoie à un tel », « ici on dirait du machin », etc. Pour moi c’est de la paresse intellectuelle. Je précise que ce n’est absolument pas vous que je cible par ces propos ! Même si effectivement vous citez en parlant d’Absentia des films qui à mon avis n’ont qu’un lien très indirect avec ce film, le même pour ainsi dire que celui qu’on pourrait faire entre la moitié des films fantastiques. Mais encore une fois, l’analyse des citations/références contenues dans une œuvre est passionnante et utile, quand elle ne consiste pas à coller des étiquettes un peu trop rapidement.
Je partage votre défiance envers la « culture » dressée en alibi de la « paresse intellectuelle », péché partagé par (une partie de) la critique et le public « spécialisés ». Ce que je disais du festival parisien comportait aussi cette critique implicite : aller voir des films pour entendre ce chapelet de références et de citations ? Non, merci : je préfère encore l’onanisme individuel à l’orgie des lieux communs collectifs. Et je persiste et je signe : Henry à l’entrée de son tunnel mental, écrasé par la banale et domestique monstruosité de son couple (comme les sœurs après lui) me semble un lointain parent des héroïnes de Flanagan – même si je vous concède que le footing en surplomb de L.A. tient plus du clin d’œil. Quant au rapport avec « Rec », il se situe non pas à un niveau diégétique mais dans la thématique de l’horreur intérieure au plan lui-même, et non plus à sa périphérie (Tourneur ou Carpenter) : l’ultime image du film espagnol résonne avec son pendant narratif et visuel (l’affiche qui présente l’une des jeunes femmes littéralement aspirée par la bouche d’ombre urbaine). Sur l’Absence, motif majeur de l’art contemporain et du cinéma moderne (cf. les disparitions métaphysiques et structurelles de « L’avventura », « La dolce vita » et « Psychose »), je vous recommande l’essai de Gérarg Wajcman, qui aborde notamment « Shoah » et perçoit avec justesse le cinéma d’horreur (« Qu’on le veuille ou non, toute image de l’horreur amène au fond une certaine humanisation de l’horreur, une distance (les films dits d’horreur sont fondés là-dessus), une certaine consolation aussi. »
http://www.editions-verdier.fr/v3/oeuvre-objetdusiecle.html