Film de Perry Blackshear
Pays : États-Unis
Année de sortie : 2016
Scénario, photographie, montage, sound design : Perry Blackshear
Avec : MacLeod Andrews, Evan Dumouchel, Margaret Ying Drake, Mick Casale, Elena Greenlee
Wyatt: Wake up, this is real! Do you have any idea what they can do to you?
Loin des convenances du genre horrifique, They Look Like People est avant tout une belle histoire d’amitié, servie par un traitement réaliste et empathique.
Synopsis du film
Wyatt (MacLeod Andrews), récemment séparé et sans emploi, s’installe temporairement dans l’appartement new-yorkais de son vieil ami Christian (Evan Dumouchel). Tous deux passent de bons moments ensemble mais régulièrement, Wyatt est rattrapé par une angoisse vertigineuse : il pense que des extra-terrestres sont en train d’envahir la planète en prenant l’apparence des êtres humains qu’ils ont pris pour cible.
Secrètement, Wyatt se prépare pour une bataille qu’il juge inévitable, tandis que Christian commence à se douter que quelque chose ne tourne pas rond chez son ami…
Critique de They Look Like People
Le traitement de la schizophrénie et/ou de la paranoïa au cinéma ne s’accompagne pas toujours d’une grande finesse. Dans les thrillers et les films d’horreur, le personnage concerné manifeste régulièrement sa folie de façon caricaturale, au sein d’un récit qui privilégie le suspense et l’effroi à la crédibilité. Bien entendu, cette démarche n’est pas en soi mauvaise – le réalisme n’est (heureusement) nullement obligatoire au cinéma -, et elle n’est pas davantage systématique. On se souvient, par exemple, du fameux « étrangleur de Boston » auquel Tony Curtis donna tant d’humanité dans le film éponyme ; ou encore du « boucher » à la fois terrifiant, pathétique et émouvant filmé par Claude Chabrol – les exemples sont innombrables. Mais dans l’absolu, lorsque que l’on regarde un film qui, bien qu’au final assez inclassable, appartient au genre horrifique, on ne s’attend pas particulièrement à l’approche intelligente, sensible et crédible dont témoigne le cinéaste Perry Blackshear dans son tout premier long métrage.
Je pense vraiment que c’était de travailler avec des amis
, a répondu le réalisateur lorsqu’on lui demanda, à l’occasion d’une interview, quelle motivation l’avait porté au moment d’écrire et de tourner They Look Like People (dont les principaux interprètes sont en effet des proches de Blackshear). Cette réponse ne surprend pas une fois que l’on a vu le film : l’amitié est ici le maître mot.

On la ressent dans le regard porté sur les personnages et notamment sur Wyatt, jeune homme tourmenté qui redoute une invasion extraterrestre sournoise, que l’auteur a imaginé en s’inspirant des difficultés qu’une personne issue de son entourage a réellement traversées. La pathologie de Wyatt est décrite avec une sobriété et une justesse qui sont le fruit de l’expérience personnelle évoquée à l’instant, mais aussi de recherches approfondies consacrées à ce sujet (J’ai fait beaucoup de recherches sur la schizophrénie
, a déclaré Blackshear).

Guidé par cette approche toute personnelle, They Look Like People s’éloigne naturellement des codes récurrents dans les films d’horreur, comme le font souvent les œuvres qui cherchent avant tout à raconter une histoire, à développer des personnages, et pas forcément à respecter un quelconque cahier des charges. Perry Blackshear cite d’ailleurs parmi ses références le sous-estimé Absentia, de Mike Flanagan, un film d’épouvante qui à l’instar de They Look Like People (bien que les deux films soient très différents) met en scène des protagonistes attachants, consistants, dont la relation est intelligemment décrite.

L’ensemble des personnages bénéficient d’une caractérisation soignée, qu’il s’agisse de Mara (Margaret Ying Drake) et bien sûr de Christian (Evan Dumouchel). Sans souffrir des mêmes maux que Wyatt, Christian a un sérieux problème de confiance en lui, et cet aspect du scénario est astucieux : la relation entre Christian et Wyatt aurait été beaucoup moins intéressante si le premier avait été un personnage plus lisse (l’état d’esprit de Christian permet en outre d’expliquer son attitude à l’égard de son ami, notamment dans la dernière partie du film).
Nous avons tous nos démons, semble nous dire l’auteur – ceux de Wyatt étant simplement plus acharnés et encombrants que d’autres. Il faut dire que la vie n’épargne personne, que chacun évolue dans un monde trouble, complexe, ambigu, qui a largement de quoi pousser très haut les curseurs de la sensibilité et de l’anxiété. Les séquences montrant Christian à son travail illustrent d’ailleurs, à leur façon, les cruautés quotidiennes du monde de l’entreprise, que le metteur en scène épingle au passage en se gardant bien de surligner quoi que ce soit (comme tout cinéaste précieux, Perry Blackshear ne cherche nullement à marteler un propos sur la tête du spectateur).

Blackshear a filmé ce duo fragile, touchant et vulnérable en faisant de leur amitié le fil rouge qui relie toutes les séquences, cette force que la mise en scène et les comédiens expriment de concert, et qui parvient à émouvoir sans nul recours au pathos et à la surenchère émotionnelle.
Les compositions de MacLeod Andrews, Evan Dumouchel et Margaret Ying Drake font honneur à la qualité du script. Leur talent, conjugué à celui du réalisateur, permet à toutes les scènes de fonctionner, y compris ces moments de vie ordinaires, simples, lumineux parfois, qui contrastent avec les crises nocturnes de Wyatt, et les complexes tenaces de Christian.

La bonne maîtrise des variations d’intensité (soulignées par le travail sur la photographie, tantôt claire et automnale, tantôt sombre et oppressante) contribue à l’équilibre de l’ensemble, tandis que le final, éprouvant pour les nerfs, est un moment de cinéma à la fois beau, intense et effrayant.
D’un point de vue formel, la réussite de They Look Like People est d’autant plus admirable que le budget du film était dérisoire, et qu’il y avait sans doute sur le plateau moins d’une dizaine de personnes. Blackshear signe d’ailleurs, en plus du scénario et de la mise en scène, le montage, la photographie et le sound design. En constatant la précision du rythme, volontairement lent et posé, la beauté de certains plans et les qualités immersive de la bande sonore, on conclut logiquement qu’il maîtrise parfaitement tous ces aspects du cinéma et surtout, qu’il sait comment les mettre au service d’une histoire, d’une émotion, d’une idée. Ce qui est bien la seule chose à garder en tête quand on saisit une caméra, ou un stylo.
They Look Like People en Blu-ray
Quelle ne fut pas ma joie en découvrant, alors que je visitais la boutique Metaluna rue Dante, à Paris, que They Look Like People avait, contre toute attente, fait l’objet d’une édition Blu-ray, quelques années après sa sortie (et bien longtemps après son tournage, qui autant que j’aie pu le comprendre, a eu lieu bien avant la sortie du film en 2016, probablement vers le début des années 2010).
Il s’agit d’une édition américaine multirégions, que vous pouvez donc lire sur n’importe quel lecteur Blu-ray. La copie est impeccable, il y a des sous-titres en français et plusieurs suppléments intéressants. Que demande le peuple ?
Pour le commander, je vous invite à passer par le site Metaluna Store ; s’ils n’ont plus de copies disponibles, vous pourrez sans doute le trouver sur d’autres sites en faisant une recherche Google.
Bande-annonce
Rien d'étonnant à ce que They Look Like People ait été bien reçu lors de ses projections au Slamdance et au FrightFest : il s'agit là d'un vrai film d'auteur, qui joue sa propre partition au sein d'un genre passionnant mais trop souvent formaté. C'est hélas sans doute pour cette raison précise qu'il n'a pas été distribué dans les salles françaises ; mais c'est aussi pour cela qu'il faudra suivre de près les prochaines réalisations de Perry Blackshear.
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