Film d’Andrew Semans
Année de sortie : 2022
Pays : États-Unis
Scénario : Andrew Semans
Photographie : Wyatt Garfield
Montage : Ron Dulin
Musique : Jim Williams
Avec : Rebecca Hall, Tim Roth, Grace Kaufman, Michael Esper, Angela Wong Carbone
Is this some kind of joke, or is it a test for me? Because that’s horrible.
Gwyn (Angela Carbone) dans Resurrection
Resurrection n’est pas un énième thriller autour de la notion d’emprise : c’est sans doute l’un des plus saisissants et terrifiants sur le sujet.
Synopsis du film
Margaret (Rebecca Hall) est une femme d’affaires pleine d’assurance vivant à Albany, dans l’Etat de New York. Mère célibataire, elle élève seule sa fille Abbie (Grace Kaufman) tout en entretenant une liaison avec Peter (Michael Esper), l’un de ses collègues.
Margaret donne l’impression de quelqu’un qui contrôle son quotidien et d’ailleurs, elle donne des conseils à l’une de ses collègues pour mieux s’affirmer dans sa vie amoureuse.
Un jour, Abbie retrouve une dent humaine dans son portefeuille. Peu de temps après, Margaret aperçoit au cours d’une conférence un homme qui visiblement, lui inspire une terreur absolue…
Critique de Resurrection
Les relations toxiques et le phénomène d’emprise, qui sont parfois (pas toujours) des notions liées entre elles, inspirent de nombreux scénaristes ces temps-ci. Tout simplement parce qu’il s’agit d’un sujet très présent dans l’actualité. Il n’y a qu’à regarder les tendances de recherche sur Google depuis 2004 : des expressions comme « relation toxique » ou encore « pervers narcissique » ont très nettement progressé en volume au cours des dernières années.
Évidemment, les relations toxiques (de même que les pervers !) ont toujours existé ; elles ne sont sans doute pas plus nombreuses qu’auparavant. On en parle simplement davantage (ce qui est une bonne chose), comme on parle davantage, plus généralement, des différentes formes de violence subies par les femmes (si la toxicité d’une relation n’est pas toujours due à un homme, ce thème est plus souvent évoqué sous l’angle de la domination masculine ; au cinéma, c’est ce choix qui est fait dans la majorité des cas).
Le scénario de Resurrection, s’il aborde clairement ce phénomène, est loin de se contenter, comme le font beaucoup d’autres, de surfer sur sa notoriété. L’approche est ici tout à fait originale et d’ailleurs, le scénario de Resurrection a fait partie de la « Black List » de l’année 2019 – la Black List désignant une « liste noire » établie chaque année sur la base d’un sondage effectué auprès de studios et de compagnies de production, et qui recense les meilleurs scénarios non produits. Un peu moins de la moitié (440 sur 1000) des scénarios figurant sur cette liste depuis 2005 ont fini par faire l’objet d’un film, et celui de Resurrection compte parmi les heureux élus ; sinon, vous ne seriez pas en train de lire cet article.

Il y a quelques temps, j’avais proposé sur le site une sélection des meilleurs films d’horreur des années 2010 ; à cette occasion, j’avais proposé, en toute modestie bien sûr, une définition du genre en me basant tout simplement sur le sens du mot « horreur » tel qu’il est défini par le dictionnaire Larousse. J’en concluais que l’horreur au cinéma, ce n’est pas forcément une question de peur : l’horreur est censée avant toute chose, du moins quand elle n’est pas allégée par le second degré, provoquer un vif sentiment de malaise et de « réprobation », ce terme me semblant particulièrement important. Eh bien, Resurrection est un des exemples récents les plus convaincants qu’on pourrait citer pour illustrer ce type de réaction.
Le film d’Andrew Semans éprouve en effet les nerfs et le sens moral du spectateur en lui contant un récit qui indigne, révolte sans jamais recourir à des procédés faciles. Pas ou peu de violence graphique ; aucun jump-scare mais au contraire, une réalisation volontairement froide et posée (rien de tel qu’une mise en scène sobre pour mieux exprimer une horreur sous-jacente), composée de plans fixes soigneusement cadrés et éclairés (par Wyatt Garfield) en clair-obscur. Des plans hantés par une tension sourde et progressive, laquelle doit beaucoup à la bande-son et à la musique originale de Jim Williams (qui a signé les BO de Kill List et de Grave) mais aussi à la précision du texte et aux compositions des comédiens.
Rebecca Hall, qui retrouve le cinéma de genre après The Night House, est d’une intensité saisissante. D’ailleurs, la scène la plus mémorable du film est un monologue d’environ 5 minutes filmé en plan rapproché sur le visage de la comédienne (sans coupure ; il s’agit donc d’un plan séquence). On retient deux choses de la force de cette scène : d’abord que Hall est une actrice très au-dessus de la moyenne, mais aussi que l’horreur est souvent bien plus effrayante quand elle est stimule l’imagination (en passant, en l’occurrence, uniquement par des mots, et par la manière dont ils sont dits) que lorsqu’elle est visible, explicite. Cette scène est par ailleurs un modèle de mise en scène, montrant comment la force d’un texte et le talent d’une comédienne peuvent avoir un impact mille fois supérieur à de superflus effets de caméra et de montage.
Face à elle, Tim Roth (vu récemment dans Sundown, où il est remarquable), qui a loué en interview le talent de sa partenaire (en indiquant notamment qu’elle propose quelque chose de différent à chaque prise), n’a jamais été aussi effrayant. Son personnage, sur le papier, est tout à fait monstrueux, et un comédien peu subtil aurait pu le rendre grotesque, peu crédible, en multipliant les tics du manipulateur narcissique (un peu comme a eu tendance à le faire Tahar Rahim sur la mini-série Le Serpent, sans vouloir dénigrer ce bon comédien). La finesse d’interprétation de Roth (I didn’t want to play him in a particularly obvious way
) produit l’effet inverse : on est glacé par chacune des apparitions de son personnage, ce qui permet de mieux comprendre la terreur éprouvée par Margaret ; or cette compréhension était essentielle, puisque tout le film est basé sur son seul point de vue. D’ailleurs, Margaret est présente dans chaque scène : à aucun moment, il nous est proposé un point de vue extérieur au sien, ce qui contribue à rendre le climat d’autant plus étouffant et aliénant.

Autour du duo vedette, la jeune Grace Kaufman, Michael Esper (vu dans deux épisodes de la géniale série BrainDead) et Angela Wong Carbone se montrent également très convaincants.
On ne sait pas trop si on doit conseiller Resurrection, tant sa vision procure un sentiment d’oppression et de rejet. On est aussi en droit de se demander pourquoi, au fond, s’infliger un récit aussi difficile, dont la limite est, sans doute, qu’il n’offre au fond pas grand-chose à méditer. Mais indéniablement, il s’agit de l’une des propositions les plus fortes et les plus techniquement maîtrisées que le cinéma d’horreur nous ait offert en cette année 2022. Smile peut aller se rhabiller. Malheureusement, Resurrection ne sera pas projeté dans le salles obscures mais directement en VOD (à partir du 21 novembre 2022), conformément à un phénomène navrant dont je vous parlais dans cet article.
Bande annonce de Resurrection
Variation particulièrement extrême sur le thème de l'emprise et de la manipulation, Resurrection déroule un récit bien structuré (exposition du personnage ; changement de situation d'abord mal compris par le spectateur ; révélation ; réaction du protagoniste puis conclusion), mis en scène avec une sophistication froide qui exacerbe l'idée d'une horreur enfouie, informulée, hors-champ, et donc d'autant plus éprouvante. Le film fonctionne aussi grâce à la précision des mots et du jeu des comédiens : rares sont les films d'horreur dont les moments les plus terrifiants sont des monologues face caméra ! Tout juste peut-on reprocher à cette œuvre parfaitement bien exécutée de procurer une expérience intense sur le moment, mais dont on ne garde pas forcément grand-chose, à part le souvenir d'un moment de malaise ; d'ailleurs, âmes sensibles s’abstenir !
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