Film de Claude Chabrol
Année de sortie : 1984
Pays : France, Allemagne
Scénario : Claude Chabrol et Pierre Leccia, d’après The Bridesmaid, de Ruth Rendell
Photographie : Eduardo Serra
Montage : Monique Fardoulis
Musique : Matthieu Chabrol
Avec : Benoît Magimel, Laura Smet, Aurore Clément, Bernard Le Coq, Solène Bouton, Anna Mihalcea, Michel Duchaussoy, Suzanne Flon.
Neuf ans après La Cérémonie – l’un de ses chefs d’œuvre -, Claude Chabrol porte à nouveau à l’écran un roman de Ruth Rendell, La Demoiselle d’honneur. Le résultat est un thriller psychologique d’une remarquable subtilité.
Synopsis de La Demoiselle d’honneur
Philippe (Benoît Magimel) vit avec sa mère Christine (Aurore Clément) et ses sœurs Sophie (Solène Bouton) et Patricia (Anna Mihalcea), dans la banlieue de Nantes – où une jeune femme, selon les informations locales, vient récemment de disparaître.
Le jour du mariage de Sophie, Philippe fait la connaissance de Senta (Laura Smet), une demoiselle d’honneur. Presque immédiatement, ils entament une relation passionnée.
S’il réalise vite que sa maîtresse semble très encline à la mythomanie, Philippe demeure néanmoins sous le charme, et semble prendre avec recul toutes les singularités que reflète le comportement de Senta.
Un jour, cette dernière lui demande un service très particulier…
Critique du film
La découverte, par un individu équilibré et « ordinaire », d’un univers étrange et mystérieux, est une situation qui a été maintes fois explorée par la littérature et le cinéma. Ici, c’est la relation amoureuse qui créé un passage entre deux mondes très différents : celui, clair et plutôt ordonné, d’un jeune cadre prometteur (Magimel) ; et celui, nettement plus obscur, d’une femme insondable et torturée (Smet).
On peut songer à une multitude de films noirs classiques, de thrillers hitchcockiens, et même à Blue Velvet (certes très différent de La Demoiselle d’honneur à bien des égards), dans lequel un jeune homme innocent (interprété par Kyle MacLachlan) découvre le mal à travers sa relation avec une brune mystérieuse (Isabella Rossellini), et éprouve, comme le personnage joué par Magimel, un mélange de peur et d’attirance à l’égard de ce « nouveau monde ». Dans le film de Lynch comme dans celui de Chabrol, un élément bien précis contribue d’ailleurs, en partie du moins, à déclencher l’exploration effectuée par le personnage principal, agissant un peu comme un intermédiaire entre deux univers distincts : il s’agit d’une oreille coupée dans Blue Velvet, et d’une statue représentant le visage d’une femme dans La Demoiselle d’honneur.
Une statue des plus symbolique
Cette statue a une importance fondamentale dans le film, et Claude Chabrol le souligne très bien à travers sa mise en scène. À la base, il s’agit d’un cadeau offert par le mari (disparu) de la mère de Philippe (donc le père du héros, figure à la fois absente et omniprésente). Mère qui, au début du film, décide d’offrir la statue en question à un nouveau compagnon, un bourgeois arrogant et vulgaire interprété par Bernard Le Coq. La réticence de Philippe vis-à-vis de ce généreux don est perceptible, mais il ne la manifeste pas clairement – probablement parce que l’objet en question évoque des choses profondément enfouies en lui.
La statue quitte donc son socle dans le jardin familial. Le vide, le déséquilibre ainsi créé (Chabrol ne manque pas de tourner un plan lourd de sens sur le socle dénué de statue) représente le déclic de l’histoire – le surgissement, dans un quotidien calme et ordonné, d’un premier vertige vers l’inconnu.
Philippe, qui ira la récupérer plus tard, ne remettra pas la statue dans le jardin (comme il aurait pu le faire, vu les circonstances), mais la cachera dans sa chambre, visiblement fasciné par cet objet. Pour des raisons sans doute plus psychologiques qu’esthétiques : la statue représente un père absent, et en particulier sa facette généreuse, positive (puisqu’il s’agit d’un cadeau fait à son épouse), qui apparemment n’était pas la plus visible au quotidien (Philippe le qualifie, dans une scène, de « salaud »).
L’attitude de Philippe dans le film repose donc sur un processus de transmission, d’héritage, qui est probablement en rapport direct avec la compréhension et la patience dont il va faire preuve à l’égard de Santa (parfois en dépit du bon sens). Dans tous le cas, il y a une connexion intime entre cet objet lié au passé (familial) et l’expérience radicalement nouvelle que Philippe va vivre à travers sa relation avec l’inquiétante demoiselle d’honneur interprétée par Laura Smet.
L’attrait de l’inconnu et l’héritage de la culpabilité : les deux moteurs du comportement de Philippe
Toujours raisonnable, tempéré dans ses propos, gendre idéal à bien des égards et plein de bienveillance pour autrui, Philippe est fasciné (par effet de contraste) par l’univers étrange, mystérieux que représente Santa (elle vit dans un sous-sol : tout un symbole). Lors d’une séquence, il s’écrie d’ailleurs cette fille est folle
, mais ce constat semble le ravir. Plusieurs raisons expliquent sa réaction : d’abord, l’étrangeté de Santa est attirante, parce qu’elle représente la nouveauté, l’inconnu – mais aussi, peut-être, parce qu’elle stimule chez Philippe une part plus mystérieuse de sa propre personnalité ; ensuite, il est évident que Philippe veut l’aider, qu’il est ému par la bizarrerie de cette jeune femme marginale.
On notera ici que Philippe se montre patient et attentionné à l’égard de tous les personnages féminins : sa mère, ses sœurs mais aussi les clientes de son entreprise, y compris les plus difficiles (comme celle incarnée par Suzanne Flon). Et pour cause : son rapport aux femmes semble largement conditionné par le fait que son père a abandonné sa mère. Philippe se charge donc, inconsciemment, de réparer l’affront ; de perpétuer non pas l’image du père quittant son épouse, mais l’image du père lui offrant une statue – d’où son attachement à cette dernière (qui revient d’ailleurs, de manière significative, dans la dernière séquence du film).
Si le film s’intitule La Demoiselle d’honneur, c’est donc en réalité surtout le personnage de Philippe qui est au cœur de l’histoire ; Senta est importante avant tout de par les réactions, le processus qu’elle provoque chez lui (ce qui ne signifie en rien que ce personnage n’est pas intéressant) – processus que le film décrit avec la subtilité et la sobriété typiques du cinéma de Claude Chabrol.
Un beau duo de comédiens
La composition des deux comédiens principaux contribuent largement à la réussite de La Demoiselle d’honneur : Laura Smet, à travers ses expressions et sa diction (presque « fausse » par moment, mais c’est tout à fait logique, puisque son personnage ment comme il respire), exprime parfaitement le déséquilibre et les fêlures de son personnage ; tandis que Benoît Magimel, avec son apparence de jeune premier, livre une interprétation juste et nuancée. Parfois mal employé, ce comédien, notamment quand il est sous la direction de réalisateurs comme André Téchiné (Les Voleurs) et Claude Chabrol (La Fleur du Mal et La Demoiselle d’Honneur), livre des compositions très convaincantes. Il est d’ailleurs particulièrement drôle dans la scène où il fait croire à Senta qu’il a cédé à une promesse bien morbide…
La Demoiselle d'honneur est une pièce de choix dans la filmographie de Claude Chabrol, qui témoigne de sa science du cadre, de la direction d'acteurs, et de son goût pour les histoires plus subtiles qu'il n'y paraît - tant elles dissimulent, derrière une trame souvent simple, une fine observation psychologique et sociale.
Aucun commentaire