Film de Julia Ducourneau
Pays : France, Belgique
Année de sortie : 2016
Scénario : Julia Ducourneau
Photographie : Ruben Impens
Montage : Jean-Christophe Bouzy
Musique : Jim Williams
Avec : Garance Marillier, Ella Rumpf, Rabah Nait Oufella, Laurent Lucas, Joana Preiss, Marion Vernoux, Jean-Louis Sbille
Auréolé d’une réputation sulfureuse – et primé par plusieurs festivals prestigieux -, Grave utilise habilement le thème du cannibalisme pour livrer un récit initiatique dérangeant et radical.
Synopsis du film
Justine (Garance Marillier), une jeune femme issue d’une famille de vétérinaires végétariens, débute sa première année post-bac dans une école vétérinaire, où étudie sa sœur aînée Alexia (Ella Rumpf).
D’emblée confrontée aux « joies » du bizutage, Justine se voit plus ou moins contrainte de manger de la viande pour mieux s’intégrer. Rapidement, des changements inquiétants s’opèrent en elle…
Critique de Grave
Apparu selon les scientifiques et historiens dès la préhistoire, le cannibalisme représente une facette particulièrement effrayante et dérangeante de l’histoire de l’humanité ; on ne s’étonnera pas, dès lors, que la littérature et le cinéma d’épouvante (qui n’ont pas particulièrement vocation à illustrer le monde sous son plus beau jour) l’aient abordé à maintes reprises. Le folklore s’est également emparé de ce phénomène, l’un des plus célèbres exemples étant le fameux conte allemand Hansel et Gretel ; le Wendigo, une créature légendaire algonquienne, est également – en partie – lié au cannibalisme (le cinéaste Larry Fessenden a d’ailleurs intelligemment utilisé cette figure dans le film éponyme).
Au cinéma, les exemples sont nombreux. De Cannibal Holocaust (1980) au plus récent We Are What We Are (2013), en passant par Parents (1989), Vorace (1999) ou encore Trouble Every Day (2001), plusieurs films nous montrent des mangeurs (ou mangeuses) de chair humaine, dans un contexte et avec un point de vue bien distincts (We Are What We Are, par exemple, comporte des références religieuses très marquées).
Dans Grave, ce point de vue est d’emblée particulièrement lisible : en filmant une toute jeune femme quitter pour la première fois le foyer familial et subir un rite de passage (un bizutage dans une école vétérinaire) mouvementé, la scénariste et réalisatrice Julia Ducourneau traite essentiellement de la découverte de soi, c’est-à-dire de ses pulsions, de son corps, de ses désirs mais aussi de ses origines et de son histoire.
Ces différents aspects prennent évidemment ici une dimension bizarre, extrême et violente, puisque nous sommes dans un pur film de genre – qui a d’ailleurs provoqué des évanouissements lors de sa projection au Festival du film international de Toronto, en septembre 2016 (formidable coup de projecteur pour un film d’horreur…).
Ici, le cannibalisme est traité sous un angle métaphorique – comme symbole (radical) de la transgression mais aussi de l’éveil de la sensualité, que le cinéma de genre aime bien représenter sous un angle effrayant (dans certains films de vampire par exemple, auxquels certains plans de Grave font songer) – mais aussi comme une façon d’articuler un récit d’initiation et de transmission. Récit assez bien construit (à une ou deux maladresses près) qui fait surgir l’horreur dans un cadre intime (la relation entre les deux soeurs – fondamentale dans le film – est remarquablement bien traitée) et réaliste, la rendant de fait beaucoup plus troublante.
La mise en scène, cohérente (en ce sens qu’elle sert le sujet) et maîtrisée, est soutenue par une photographie inspirée (Ruben Impens souligne judicieusement, par son travail sur la lumière et les couleurs, les sensations de la protagoniste) et une bande originale redoutablement efficace signée Jim Williams (talentueux compositeur britannique qui a travaillé notamment avec Ben Wheatley sur le terrifiant Kill List ainsi que sur Touristes).
Le casting contribue largement à la réussite de Grave. La jeune Garance Marillier convainc dans sa manière de composer une adolescente tour à tour « anormale », inquiétante, sensible, ordinaire et fragile. Non seulement ces nuances dans la caractérisation du personnage soulignent l’un des thèmes du film (l’adolescence et les découvertes vertigineuses qui la ponctuent), mais il permet d’ancrer l’horreur dans un contexte profondément humain (d’où son aspect dérangeant). Autour de cette « héroïne » tourmentée, les seconds rôles – d’Ella Rumpf à Rabah Nait Oufella en passant par Marion Vernoux (qui a co-écrit le scénario de Pacific Palisades) – livrent tous une partition sans fausses notes. On a également le plaisir de retrouver Laurent Lucas, ce qui n’est guère surprenant quand on connaît l’attirance de ce dernier pour le cinéma d’auteur et les films de genre (tels que Harry, un ami qui vous veut du bien ; Calvaire ; Lemming et Alleluia).
Bande-annonce
Grave est un vrai bon film de genre car son aspect horrifique est au service d'un récit cohérent et structuré, qui aborde à sa façon des thématiques intemporelles (l'adolescence ; la transmission ; la découverte de soi ; la transgression ; la sexualité ; le rapport à sa famille et à son histoire). Après avoir séduit la critique et les jury de nombreux festivals (notamment à Londres, Strasbourg, Paris et Gérardmer), espérons que le film de Julia Ducourneau connaisse un beau parcours en salles. Déjà parce qu'il le mérite, ensuite parce que son succès pourrait donner des idées aux producteurs français, souvent bien trop frileux vis-à-vis du cinéma fantastique et d'horreur.
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