Film de Jim Mickle
Année de sortie : 2013
Pays : États-Unis
Scénario : Nick Damici, Jim Mickle.
Remake du film mexicain Somos lo que hay (We Are What We Are, en France : Ne nous jugez pas), de Jorge Michel Grau
Photographie : Ryan Samul
Montage : Jim Mickle
Musique : Jeff Grace, Darren Morris, Phil Mossman
Avec : Bill Sage, Julia Garner, Ambyr Childers, Kelly McGillis, Odeya Rush, Michael Parks, Wyatt Russell
It is with love that I do this.
God’s will be done.
Dans We Are What We Are, Jim Mickle traite des dérives religieuses et des héritages empoisonnés avec intelligence et sobriété. Une œuvre élégante qui ne cède jamais aux facilités auxquelles le genre horrifique est trop souvent réduit.
Synopsis de We Are What We Are
Les Parker habitent à l’écart d’une petite ville située dans les montagnes Catskill, n’entretenant qu’un minimum de rapports sociaux avec autrui. Le jour où Emma Parker (Kassie DePaiva) décède accidentellement, une suite de circonstances vont peu à peu conduire le docteur Barrow (Michael Parks), responsable de l’autopsie du corps, à s’intéresser au mystérieux quotidien de cette famille singulière…
Critique du film
Il y a en général de bonnes raisons d’être sceptique à l’égard des remakes américains de films relativement récents ; assez souvent, le processus consiste à adapter un succès étranger aux critères du marché, sans que le résultat obtenu n’apporte grand chose à son modèle. Il y a bien entendu des exceptions, mais on comprend les réticences dont Jim Mickle a dans un premier temps témoigné quand on lui a proposé de tourner un remake de Ne nous jugez pas (Somos lo que hay), un film d’horreur mexicain sorti en 2010. Il faut dire que Mickle, à en juger par sa filmographie et par ses références (Martha Marcy May Marlene, Blue Velvet, Pique-nique à Hanging Rock…), semble davantage friand d’un cinéma exigeant (c’est un proche de Larry Fessenden, qui a signé notamment Wendigo et The Last Winter) que de remakes opportunistes. Mais la vision du film ainsi que des échanges avec Nick Damici (qui a travaillé comme co-scénariste sur tous les films de Jim Mickle, et qui interprète l’un des rôles principaux dans Stake Land, le second long métrage du cinéaste) et Jorge Michel Grau, auteur de l’œuvre originale (et de l’un des 26 segments de The ABCs of Death), lui ont fait entrevoir la perspective d’une relecture plus ambitieuse qu’une banale transposition.

Julia Garner dans « We Are What We Are ». Cette comédienne figure notamment au générique de « Martha Marcy May Marlene », un film que Jim Mickle cite volontiers parmi ses références.
We Are What We Are témoigne d’un soin tout particulier accordé à l’atmosphère – une atmosphère grave et feutrée qui doit beaucoup à la photographie inspirée du chef opérateur Ryan Samul, fidèle collaborateur de Jim Mickle, et aussi à un cadre naturel bien exploité par la mise en scène, à savoir les Montagnes Catskill. Les images, se suivant à un rythme mesuré, dessinent peu à peu un récit empreint d’une fatalité calme, immuable, que les premiers plans – montrant un cours d’eau s’écouler, des nuages sombres, puis une femme regardant fixement la pluie tomber – suggéraient déjà.
La méticulosité propre à la réalisation se retrouve dans la peinture des personnages ; les Parker (interprétés par Bill Sage, Ambyr Childers, Julia Garner et Odeya Rush) sont autant de figures hantées par ce que le film révèle progressivement, figures que le jeu des comédiens, la lumière et les cadrages millimétrés définissent par des touches subtiles. Leur aimable voisine est incarnée par une comédienne que Mickle avait déjà dirigée dans Stake Land, à savoir Kelly McGillis, autrement dit la jeune Amish qui danse avec Harrison Ford sur Wonderful World de Sam Cooke dans Witness, la petite amie de Tom « Maverick » Cruise dans Top Gun et plus récemment une prestigieuse cliente dans l’hôtel hanté de The Innkeepers.
Quant au docteur Barrow, c’est le talentueux Michael Parks (vu dans Twin Peaks, dans Kill Bill 1 & 2, dans le diptyque Grindhouse et dans Red State, où il campe un pasteur inquiétant) qui lui prête ses traits.

Michael Parks dans « We Are What We Are ». Ce comédien sera bientôt à l’affiche de « Tusk », le nouveau film de Kevin Smith, avec lequel il a tourné « Red State ».
Alors que l’histoire aurait pu justifier, chez un réalisateur moins rigoureux, une surenchère de violence, Mickle privilégie un ton sobre, davantage intéressé par son sujet et ses personnages que par la volonté de choquer ou de faire sursauter le spectateur. Ce parti pris lui permet de bien développer les deux thématiques principales du film. On retrouve ainsi, comme par exemple dans La Féline, l’idée d’une malédiction ancestrale, la famille Parker endurant les conséquences aliénantes d’une faute commise par de lointains parents. A leur manière – particulièrement sordide et tragique -, les Parker reflètent donc cette réalité à laquelle une communauté ou un individu peut être confronté à des degrés divers : un héritage (historique, culturel, familial, génétique…) contraignant et difficile à gérer (doux euphémisme en l’occurrence). Dans We Are What We Are, cet héritage est symbolisé par le livre dans lequel Rose (Julia Garner) et Iris (Ambyr Childers) découvrent les origines de leur condition peu enviable. Le mal n’a donc pas ici d’origine sociale ou psychologique ; il n’est pas inhérent à la personnalité ou aux désirs de celles et ceux qui le commettent, mais à leur histoire et à leur patrimoine. De ce point de vue, le scénario livre donc une réflexion sur le poids que le passé et les traditions exercent sur le libre arbitre – un sujet intemporel déclinable dans une multitude de contextes.

Ambyr Childers dans « We Are What We Are ». Cette actrice a joué entre autres dans « The Master », de Paul Thomas Anderson, un film qui offrit au regretté Philip Seymour Hoffman l’un de ses derniers grands rôles.
La religion et ses travers sont également au cœur d’un récit qui illustre comment la rhétorique religieuse peut affubler les pires actes d’une signification mystique trompeuse. Même si en l’occurrence, on peut comprendre (sans bien sûr l’approuver) cette volonté qu’ont les personnages (et notamment le père) de se décharger d’une culpabilité insupportable en évoquant une volonté supérieure, il n’en reste pas moins que la foi est ici source d’un aveuglement criminel (l’expression blind faith
est d’ailleurs utilisée par Mickle lui-même dans cette interview) et qu’elle présente une dimension manipulatoire, notamment sur les filles Parker. La religion et en particulier l’extrémisme religieux étaient d’ailleurs déjà présents dans le précédent long métrage de Jim Mickle, le maîtrisé Stake Land, un film de vampires apocalyptique dont les protagonistes croisent la route de chrétiens fanatiques.
We Are What We Are met en scène, avec beaucoup d'élégance et de précision, un récit où l'innocence et l'horreur dansent ensemble une valse lente et contrainte, réglée par la fatalité que suggère le titre du film. Une excellente raison de s'intéresser de près au prochain long métrage de Jim Mickle, Juillet de sang (Cold in July).
3 commentaires
Tout ceci donne envie, jusque dans l’interprétation littérale de l’eucharistie…
Les entretiens révèlent deux ou trois choses : la thèse faite sur « Blue Velvet », le projet sur les Amérindiens aux prises avec « une créature des bois » (« Wendigo » ?) et l’influence du cinéma sud-coréen – découvert grâce au fils de Kurt Russell ! – dans le mélange des genres, surtout le « Mother » de Bong Joon-ho, que nous célébrons ici :
http://lemiroirdesfantomes.blogspot.fr/2014/07/mother-ma-mere.html?view=classic
L’adaptation du Lansdale, avec son casting trois étoiles, intrigue aussi. De l’auteur, on recommande l’excellent « Les Marécages », conte initiatique sur le Mal, au croisement de « La Nuit du chasseur » et « Du silence et des ombres » (les romans et les films).
J’envisage de visionner « Mulberry Street » – votre avis ?
Bonne remarque sur l’eucharistie !
Je n’ai pas vu Mulberry Street mais les échos sont plutôt bons ; je pense qu’il faut le classer dans les premiers films un peu bancal mais prometteurs et avec des bonnes idées. Stake Land suit une route assez balisée mais c’est plutôt bien mené et intelligemment fait. J’ai l’impression que Mickle a passé un palier avec We Are What We Are et que Cold in July est au moins aussi réussi, si j’en crois les premières critiques que j’ai lues à son sujet (par exemple ici : http://en.wikipedia.org/wiki/Cold_in_July_(film)#Reception). Je note pour « Les Marécages », je viens de constater que Lansdale a déjà été pas mal adapté au cinéma (Bubba Ho-Tep et un segment de Masters of Horror).
Belle critique, au sujet d’un film qui l’est tout autant. Et remarque pertinente, en effet, sur l’eucharistie.
Critique croisée: http://seriousmovies.com/thrillers/we-are-what-we-are/
Amitiés cinéphiles.