Film de Kevin Smith
Année de sortie : 2011
Pays : États-Unis
Scénario et montage : Kevin Smith
Photographie : Dave Klein
Avec : Michael Parks, Michael Angarano, John Goodman, Kerry Bishé, Nicholas Braun, Kyle Gallner
Le pasteur Abin Cooper : I fear God. You better believe I fear God.
Critique du fondamentalisme religieux et des dérives propres à l’Amérique post-11 septembre, Red State, en oscillant entre horreur, action et comédie noire, parvient à trouver un équilibre et une justesse de ton, et épingle avec justesse certains extrêmes américains.
Synopsis de Red State
Sur le chemin de l’école, Travis (Michael Angarano) et sa mère observent des membres de la « Five Points Church » – un groupuscule de fondamentalistes religieux mené par le pasteur Abin Cooper (Michael Parks) – scander des slogans homophobes lors de l’enterrement d’un jeune gay du quartier.
Plus tard, au lycée, Jared (Kyle Gallner) propose à Travis et à Billy Ray (Nicholas Braun) une partie à quatre avec une femme dont il a eu les coordonnées sur un site de rencontres.
Le soir venu, les trois jeunes amis se rendent avec la voiture des parents de Travis chez la mystérieuse Sarah (Melissa Leo). Mais rien ne se passe comme prévu…
Critique du film
Kevin Smith s’est fait connaître avec Clerks, un film indépendant sorti en 1994 au succès inattendu, et qui encore aujourd’hui demeure une référence du genre.
Depuis le réalisateur a exploré différents registres, de la comédie romantique – avec Chasing Amy, plutôt bien reçu par la critique, et Jersey Girl – à la comédie fantastique, avec le célèbre Dogma. Il réalisa également Clerks 2, la suite de son premier succès.
Red State est clairement à ce jour son film le plus violent et choquant, même si l’on y retrouve l’humour et la dérision propres à son cinéma. Il s’agit d’une production indépendante qui coûta moins de 5 millions de dollars et dont Kevin Smith décida d’assurer lui-même la distribution (ce qui provoqua d’ailleurs une polémique) après sa projection au Festival de Sundance, où Red State fut plutôt bien accueilli. Le réalisateur organisa alors des projections au cours du « Red State Tour » avant de proposer le film directement en VOD. Parallèlement le film fut programmé dans d’autres festivals de cinéma, dont le Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg.

Michael Angarano, Kevin Smith, Kerry Bishé et Nicholas Braun au Festival de Sundance.
A la vision du film, on comprend aisément pourquoi il fut financé par The Harvey Boys, la société de production indépendante de Kevin Smith (dont le nom est un hommage au producteur Harvey Weinstein, qui distribua Clerks), et également le choix de le distribuer hors des circuits classiques. Red State, qui n’est ni une comédie, ni un film d’horreur, ni un film d’action, et qui en plus pose un regard extrêmement critique sur une certaine facette de l’Amérique, n’est pas facile à vendre, et il est dès lors assez cohérent d’avoir refusé de le confier à des distributeurs souvent enclins à coller des étiquettes sur les films dont ils assurent la promotion.
Dans sa première partie, Red State s’affirme comme une critique virulente du fondamentalisme religieux aux États-Unis, critique qui s’articule autour du pasteur Abin Cooper, leader de la « Five Points Church« . On pourrait trouver la peinture des fondamentalistes outrancière (elle l’est, à bien des égards), elle n’en est pas moins très ancrée dans la réalité : Cooper, de l’aveu même de Kevin Smith, est largement inspiré par le révérend Fred Phelps, qui existe bel et bien (hélas). C’est flagrant dans plusieurs répliques, très proches des propos les plus violents de Phelps, auteur d’un site internet au nom évocateur : God hates fags
(source : Fred Phelps, sur Wikipdia EN). Au début du film, la séquence montrant des fondamentalistes brandir des pancartes haineuses pendant l’enterrement d’un jeune homosexuel fait directement référence au défilé organisé par Phelps le jour des funérailles de Matthew Shepard, assassiné en 1998 en raison de son homosexualité.
Si Abin Cooper a sa personnalité propre, et s’il use de moyens évidemment différents, son discours et sa rhétorique sont donc sensiblement les mêmes que ceux du révérend Phelps. L’acteur Michael Parks, avec une voix rauque à la Tom Waits, un regard inquisiteur et une présence inquiétante, compose parfaitement le personnage. Parks est connu notamment pour son rôle de Jean, l’un des redoutables frères Renault, dans la série culte Twin Peaks, et pour ses apparitions dans des films de Tarantino (Kill Bill 1 et 2) et Robert Rodriguez (Une Nuit en enfer).

Kevin Smith sur le tournage de « Red State »
Dans la seconde partie du film, Red State dévoile l’autre cible du regard critique de son metteur en scène, à savoir les méthodes et politiques expéditives et répressives qui furent mises en place au sein de l’Amérique post-11 septembre. Ici, plus qu’un groupuscule fondamentaliste, c’est carrément le gouvernement et la justice qui en prennent pour leur grade, ce qui achève de positionner Red State au sein d’un discours radical et politiquement incorrect que le film assène dans un mélange de violence, d’humour cinglant et de dérision, où le drame a des reflets d’absurde et le rire un arrière goût amer. Cette dérision n’est pas une figure de style, mais bien une prise de position qui traduit un pessimisme profond ; dans Red State, la dérision naît en effet de la prise de conscience progressive qu’on ne peut compter sur personne : aux extrêmes religieux et aux terroristes répondent une politique et une justice aveugles et presque aussi démentes ; les personnages que l’on juge les plus intègres prennent nos espoirs à contrepied ; et les rares individus vraiment « innocents » (les trois adolescents) n’ont absolument aucune prise sur les événements. Bien que prenant soin de ne jamais généraliser un propos qui n’englobe absolument pas l’Amérique dans son ensemble, ce que Smith nous donne à voir est donc une situation dont les issues possibles s’écroulent une à une sur elles-mêmes.
La manière dont le film est raconté et les différents partis pris du scénario appuient très clairement le propos désillusionné et acerbe du film. L’écriture est audacieuse, s’affranchissant très vite de plusieurs règles narratives pour mieux enfoncer le clou et déstabiliser le spectateur : Smith nous embarque avec des personnages pour mieux les laisser à leur sort en cours de route et porter brusquement notre attention sur d’autres ; il nous présente un potentiel « héros », l’agent fédéral Keenan (excellent John Goodman), avant de faire voler en éclats les attentes qu’il suscite en nous, en l’espace de quelques secondes seulement. Le même mécanisme sera appliqué pour l’agent Harry (Kevin Alejandro). Red State malmène donc le spectateur en le prenant systématiquement à contrepied et en faisant s’écrouler tout ce à quoi il est susceptible de s’accrocher. Évidemment, la démarche n’est pas gratuite puisqu’elle sert le discours du film : à travers ces différents partis pris scénaristiques volontairement inconfortables pour le public, Smith nous fait directement éprouver l’absence de repères, le cynisme et l’injustice auxquels il associe un certain versant de l’Amérique.

L’agent spécial Joseph Keenan (John Goodman)
D’autres aspects font que le scénario est assez audacieux et original. Il aborde ainsi plusieurs genres (le survival, l’action) sans jamais en suivre vraiment les codes, instaurant des ruptures de rythme et de ton là ou ne les attend pas, par exemple en plantant une longue scène de dialogues lors d’une séquence où l’action, contre toute attente, est soudain hors-champ.
La définition des personnages est plutôt réussie ; outre Abin Cooper, déjà évoqué, tous ont un minimum de consistance, de crédibilité et d’épaisseur. L’agent fédéral Keenan, campé par Goodman, est nuancé ; on ne peut ni le louer ni le condamner totalement.
Smith aime visiblement écrire de longs dialogues et dans l’ensemble, ses lignes sont précises et rigoureuses. Parfois, ses diverses prises de risque sont moins payantes et à vouloir jouer avec les attentes du public et casser le rythme, Red State baisse par moments en intensité. Mais globalement, l’exercice d’équilibriste auquel s’est livré Kevin Smith tient largement la route, maintenu par une réalisation maîtrisée où l’on comprend ce qui se passe à l’écran même quand la caméra bouge beaucoup (lors de certaines scènes d’action), qui a le bon goût de ne pas systématiquement devenir hystérique et ultra-découpée dès que des coups de feu retentissent (un travers que l’on observe dans pas mal de films actuels), et qui par ailleurs sert très bien le jeu des acteurs et les dialogues quand il le faut.
Pari osé qui n’a pas son pareil dans la carrière de son réalisateur, Red State est un film grinçant qui bouscule le spectateur et le plante au beau milieu d’un paysage aride, entre des extrémistes religieux et les représentants cyniques ou dépassés d’une justice déréglée. Devant ce manque de perspectives, on finit par hausser les épaules de dépit ; ce qui est aussi le signe que le réalisateur a su nous embarquer dans son histoire. A découvrir.
Le casting
Le casting du film est excellent. Aux côtés de Michael Parks (Jean Renault dans la série Twin Peaks), oppressant à souhait, on retrouve John Goodman, comédien à la fois attachant et charismatique à la filmographie plus que respectable (Panic sur Florida beach, The Big Lebowski, A tombeau ouvert), et Melissa Leo, dont l’interprétation dans l’excellent thriller Frozen River (2008) avait été saluée à juste titre, tout comme son second rôle dans le récent Fighter (2010). Kyle Gallner, Michael Angarano et Nicholas Braun s’en sortent très bien dans le rôle des trois adolescents, tout comme Kerry Bishé, qui incarne la fille du personnage interprété par Melissa Leo.
Au sein des forces spéciales, aux côtés de John Goodman, on retrouve avec plaisir le comédien Kevin Alejandro, qui joue dans la série True Blood le rôle de Jesus Velasquez, le petit ami de Lafayette. Patrick Fischler, qui interprète dans Mulholland Drive le rôle de l’homme qui raconte un cauchemar prémonitoire à un ami dans un café, est excellent dans la peau d’un agent particulièrement caustique et cynique.
Smith, visiblement enthousiasmé par les comédiens, devrait engager plusieurs d’entre eux pour son prochain film, intitulé Hit somebody.
A lire sur le web
Le marketing et la distribution de Red State, sur Wikipedia EN
S'il souffre de problèmes de rythme, Red State compte néanmoins parmi les réussites de son auteur, de par sa manière habile de mélanger les styles, ses personnages hauts en couleur et ses résonances dans l'histoire contemporaine.
2 commentaires
Le Kevin Smith, vaut mieux qu’il retourne à ses petites comédies romantiques. Pas d’accord du tout avec votre enthousiasme donc.
J’ai trouvé ce film très frustrant. Ca essaie de partir dans tous les sens pour ne rien donner finalement à part quelques bonnes morts. Y a bcp moins bien comme film de genre mais ne vous attendez pas à grand-chose non plus ici sous peine d’être très déçu comme je l’ai été.
Kevin Smith veut nous vendre un film fourre-tout, thriller d’action contestataire avec une touche d’horreur/torture. De tout ces genres, Smith ne fait que les effleurer.
La critique envers l’église est plutôt inexistante, on voit même tellement le pasteur que c’est à se demander si le réalisateur n’est pas plus fasciné qu’horrifié par ce genre de persos. D’autant que la plupart des personnages un peu corrects/humains du métrage ne sont pas mieux lotis car ils ont aussi commis des péchés, même si bien moins graves que le pasteur et ses fanatiques…Si c’est de l’ironie, c’est mal placé d’après moi.
Côte horreur/torture, il n’y pas presque rien à manger dans ce film, seule reste un peu d’action pas trop mal foutue dont quelques bonnes morts. Un certain humour peut-être, mais après tous les films très politiquement correct de Kevin Smith, je pense qu’on a affaire à un hypocrite essayant de se relancer par tous les moyens et je ne suis pas du tout convaincu par l’ironie et le côté contestataire du film. Bref, ça sonne faux.
Merci pour votre commentaire ! De mon côté je trouve que le mélange des genres fonctionne plutôt bien. Kevin Smith joue clairement avec les attentes du spectateur et il parvient malgré tout à maintenir une unité et une narration cohérente. Je ne dirai pas que le film se veut une critique envers l’église, mais plutôt envers l’extrémisme religieux et bien sûr certaines dérives de la justice américaine post 11 septembre. Là ou je vous rejoins, c’est que la critique n’est pas très approfondie, mais en même ce n’est pas non plus l’objet d’un film qui à mon avis a surtout pour but de nous bousculer en nous plaçant au beau milieu d’une situation ou les seules personnes vraiment sympathiques et plutôt innocentes meurent très vite. Du coup on se retrouve entre une justice cynique et des fanatiques dangereux, et c’est ça que j’ai trouvé plutôt intéressant. Sinon quand vous dites « Côte horreur/torture, il n’y pas presque rien à manger dans ce film » perso je trouve ça aussi bien, tant de films jouent la carte du voyeurisme et du « torture porn » que Smith pour le coup a eu raison de ne pas tomber dans la complaisance, alors que son scénario lui en donnait l’occasion.
Après ce n’est que mon avis ! Je comprends très bien que « Red State » puisse déplaire, de mon côté j’ai passé un assez bon moment et j’ai été surpris, ce qui est souvent agréable au cinéma !