Film de Larry Fessenden
Année de sortie : 2001
Pays : États-Unis
Scénario : Larry Fessenden
Photographie : Terry Stacey
Montage : Larry Fessenden
Musique : Michelle DiBucci
Avec : Patricia Clarkson, Jake Weber, Erik Per Sullivan, John Speredakos
Wendigo fait partie de ces films fantastique indépendants qui cherchent davantage à développer une histoire et des personnages qu’à appliquer aveuglément les recettes du genre.
Synopsis de Wendigo
George (Jake Weber), un photographe professionnel, et sa femme Kim (Patricia Clarkson), psychanalyste, décident de quitter New York pour la campagne pendant quelques jours, en compagnie de leur fils Miles (Erik Per Sullivan). Sur la route, leur voiture renverse malencontreusement un cerf. L’un des chasseurs qui traquaient l’animal, Otis (John Speredakos), se montre plutôt hostile à l’égard de George et de sa famille.
Arrivée enfin à destination, dans une maison isolée, la famille tente d’oublier cette pénible entrée en matière ; mais les nuits du jeune Miles sont peuplées de cauchemars, et George se sent nerveux suite au début d’altercation qui l’a opposé à Otis.
Le lendemain, tandis qu’il se rend avec sa mère dans un magasin, Miles fait la connaissance d’un indien qui lui donne une statuette représentant le Wendigo, une créature née du folklore amérindien. De retour à la maison, Miles se montre de plus en plus préoccupé…
Critique et analyse du film
Un générique significatif
Il y a des génériques de début qui en disent beaucoup sur le film qu’ils introduisent – et pas seulement sur son atmosphère, mais sur sa signification. C’est clairement le cas de celui de Wendigo.
Sur fond noir apparaissent successivement deux jouets miniatures ; l’un représente une créature, l’autre une sorte de héros de l’espace, équipé d’une armure et d’un casque futuristes. Soudain, la caméra filme l’intérieur d’une voiture et les deux figurines s’affrontent, projetées l’une contre l’autre par leur jeune propriétaire – un petit garçon, prénommé Miles (voir le générique du film et lire l’analyse détaillée).
En ces quelques images, Larry Fessenden livre une illustration assez saisissante de l’histoire de Wendigo. D’abord, le point de vue adopté est d’emblée celui du petit garçon ; or il s’agit clairement du personnage central du film, puisque les événements nous sont montrés essentiellement à travers le prisme de ses différentes émotions. Ensuite, le « combat » fictif qu’il met en scène est prémonitoire, puisqu’il s’agit d’une lutte entre deux personnages dont l’un fait référence à la nature et l’autre à la technologie, à la modernité – or le film nous donnera à voir plusieurs conflits comparables : la voiture conduite par la famille de Miles percute un cerf, lequel était poursuivi par des chasseurs ; le père de Miles, qui est un citadin, entre rapidement en confrontation avec l’un de ces chasseurs, Otis, un stéréotype du « campagnard » rude et brutal ; la petite ville dans laquelle se rend la famille était auparavant un territoire indien ; leur propre maison appartenait, à l’origine, à la famille d’Otis ; enfin un réservoir construit essentiellement pour fournir de l’eau potable aux habitants de New York a entraîné le « déplacement » des locaux, au début du vingtième siècle.
Même la scène où la famille joue aux cartes est introduite par une succession très rapide de plans montrant les différentes cartes se superposer les unes aux autres (avec des gros plans significatifs sur les armes) – une « bataille » qui renvoie indéniablement à toutes les autres. Et quelques instants après, Miles feuillette dans son lit un livre sur l’histoire des indiens, illustré par diverses images de guerres.

La bataille, le célèbre jeu de cartes, est ici un moyen pour le réalisateur de souligner le propos du film.
Wendigo explore donc des luttes qui sont souvent des luttes de territoire, et qui ont lieu entre des forces radicalement opposées – qu’elles soient animales, humaines, naturelles (la nature est omniprésente) ou surnaturelles, à l’image de la créature mythique qui donne son titre au film.
Le Wendigo, un sujet phare dans le cinéma de Fessenden
Le Wendigo est une figure issue de la mythologie des Amérindiens du Canada (lire Wendigo, sur Wikipédia EN) et Fessenden lui témoigne un intérêt manifeste, puisqu’il tournera en 2002 (soit un an après Wendigo) un documentaire intitulé Searching for the Wendigo, et en 2008 un épisode de la série Fear Itself (Skin and Bones) qui tourne également autour de ce mythe. Même The Last Winter, un film d’horreur écologique sorti en 2006, y fait référence au détour d’une réplique ; ce long métrage partage d’ailleurs avec Wendigo cette même idée d’une nature puissante, mystérieuse et habitée.
Dans Wendigo, c’est sous la forme d’une statuette que l’on voit la créature apparaître pour la première fois à l’écran ; on notera d’ailleurs ici que Fessenden la filme de la même manière que les jouets que l’enfant manipule au tout début du film. L’intention est claire : la colère et la violence que Miles, comme n’importe quel autre enfant, met en scène dans ses jeux, se retrouve brusquement incarnée dans le Wendigo – mais dans des proportions beaucoup plus grandes, incontrôlables et inquiétantes.
La dimension initiatique de l’histoire
L’un des aspects intéressants de Wendigo est qu’il se concentre presque exclusivement sur la perception de Miles. Face aux différents conflits, à ces luttes qu’il ressent autour de lui, Miles découvre une violence et plus généralement des énergies qui n’existaient jusque-là que dans ces jeux solitaires, sous une forme beaucoup plus docile ; et le film, assez habilement, nous plonge au cœur de cet éveil vertigineux à une dimension du monde que le garçon ignorait totalement et qui va contribuer à son apprentissage et à sa construction.
Il y a une relation intéressante et significative entre deux scènes distinctes : celle où George fait épeler des mots à son fils Miles, et celle où l’indien raconte à celui-ci le mythe du Wendigo. A cette occasion, Miles ré-entend l’un des termes dont son père essayait de lui apprendre l’orthographe : il s’agit du mot « appetite« . Dans la première scène, ce terme est une simple suite de lettres ; dans la seconde, il devient un concept à part entière. Ce parallèle souligne la dimension initiatique du récit.
Un film d’horreur atypique
Wendigo emprunte un chemin dont on ne soupçonne pas de prime abord la destination : face aux événements qui ont lieu au début du film, on suppose un « home invasion » ou encore une confrontation entre citadins et campagnards façon Chiens de paille, le remarquable film de Sam Peckinpah ; puis on songe au film de monstre, avec l’apparition de cet indien mystérieux racontant au jeune protagoniste l’histoire du Wendigo. Or, tout en empruntant à ces différents registres, le long métrage de Fessenden ne s’inscrit véritablement dans aucun d’entre eux, au risque de dérouter les spectateurs adeptes des sentiers plus balisés que suivent (trop) fidèlement certains films d’horreur. Ici, le genre est avant tout un moyen de raconter une histoire, de développer un sujet – d’où le soin accordé aux différents personnages qui composent la famille « nucléaire » dont le film nous relate les mésaventures.

Miles (Erik Per Sullivan) et son père George (Jake Weber) : « … you got to be flexible to make it in this old world ».
Les parents forment un couple crédible ; leur personnalité et leurs différentes réactions sonnent juste et servent intelligemment le propos. La mère, psychologue, et le père, photographe, tentent chacun à leur manière de guider leur enfant dans un parcours psychologique et émotionnel dont ils ne soupçonnent d’ailleurs pas l’ampleur. La mère témoigne d’une approche rationnelle, psychologique, tandis que le père agit de manière plus instinctive, émotionnelle, moins réfléchie – un schéma que l’on retrouve dans la toute première séquence du film : tandis que Kim tente de trouver leur chemin en lisant une carte, George affirme (par fierté) être sur la bonne route, bien que rien ne lui permette d’en être certain.
Le casting
Le casting du film inclue la talentueuse Patricia Clarkson, vue notamment dans Les Incorruptibles (de Brian De Palma, qui lui offrait ici son premier rôle au cinéma), Dogville (Lars Von Trier, 2003), The Woods (Lucky McKee, 2006), Whatever Works (Woody Allen, 2009), Shutter Island (Martin Scorsese, 2010) et dans la remarquable série TV Six Feet Under.
A ses côtés, le jeune Erik Per Sullivan et Jake Weber sont tout aussi convaincants.
Une production Glass Eye Pix
Parce qu’il développe de façon originale un sujet intéressant – sans faire de compromis commercial (le rythme est plutôt lent) -, Wendigo s’affirme donc comme une production de qualité du studio indépendant Glass Eye Pix, dont Larry Fessenden est d’ailleurs le directeur. On notera cependant un dénouement un peu inégal, notamment lorsque le film délaisse la suggestion pour une approche plus explicite qui, en plus d’être discutable (était-elle vraiment nécessaire ?), est desservie par des effets spéciaux peu concluants ; un défaut que l’on retrouve d’ailleurs dans The Last Winter, qui perd clairement en intensité lorsque les créatures deviennent trop visibles à l’écran.
Glass Eye Pix a eu récemment le mérite de contribuer à l’émergence de Ti West, l’un des auteurs les plus intéressants du cinéma d’horreur actuel, en produisant trois de ses films : The Roost (2005), The House of the Devil (2009) et The Innkeepers (2011).
Wendigo nous raconte, avec un indéniable sens du récit, le parcours initiatique d'un enfant qui découvre la complexité, la violence et les ambiguïtés du monde qui l'entoure. Un vrai film d'auteur, qui témoigne de l'intelligence et de la sensibilité de son metteur en scène et scénariste, Larry Fessenden.
2 commentaires
Curieux de voir ce film aussi…
Notez l’usage de la même figure indienne dans « Simetierre » de King.