Film de Danielle Arbid
Année de sortie : 2015
Pays : France
Scénario : Danielle Arbid, Julie Peyr, Philippe Schoeller
Photographie : Hélène Louvart
Montage : Mathilde Muyard
Musique : Elise Luguern
Avec : Manal Issa, Paul Hamy, Damien Chapelle, Dominique Blanc, Clara Ponsot, India Hair, Vincent Lacoste
Peur de rien chronique à la fois l’éveil sentimental d’une jeune femme, les difficultés liées à l’émigration et la France des années 90, à travers un récit délicatement mené.
Synopsis du film
Paris, 1993. Lina (Manal Issa), une jeune libanaise, souhaite faire ses études en France. Entre ses déboires amoureuses, ses difficultés à obtenir une carte de séjour et ses problèmes familiaux, son parcours ne sera pas toujours simple…
Critique de Peur de rien
Visiblement très inspiré par l’expérience personnelle de la réalisatrice (Danielle Arbid, une française née à Beyrouth), Peur de rien décrit le parcours d’une jeune immigrée libanaise arrivant à Paris en 1993. Le récit comporte plusieurs dimensions, qu’il parvient à faire cohabiter de façon harmonieuse : c’est un récit d’initiation sentimentale, qui illustre la découverte de soi, et des autres, à travers les premières amours ; c’est aussi un récit d’intégration, qui montre les difficultés, humaines et purement administratives, auxquelles fait face, à des degrés sans doute divers, toute personne immigrée (en France, en l’occurrence) ; et enfin c’est la photographie d’un lieu et d’une époque, que le film parvient à capter sans les réduire à des clichés réducteurs.
Si la mise en scène, autant que l’interprétation (mention spéciale, évidemment, à Manal Issa, qui incarne brillamment l’héroïne du film), sont ici d’excellente facture (il y a un vrai regard, autant qu’une appréciable absence de jugement, dans la manière dont Danielle Arbid filme les gens et les choses), il faut également souligner un travail d’écriture tout aussi abouti, le scénario combinant des aspects sociaux, intimes, culturels et politiques avec un indéniable sens de la nuance et de l’équilibre. Il faut dire que trois talents se sont mobilisés ici : Danielle Arbid elle-même mais également Julie Peyr, fidèle collaboratrice d’Antony Cordier (auteur des très réussis Douches froides et Gaspard va au mariage), ainsi que Pierre Schoeller, à qui l’on doit l’un des meilleurs films récents français sur l’univers de la politique (L’Exercice de l’État).
On plonge donc avec plaisir dans cette histoire qui, pour peu que l’on ait connu un peu l’époque, est évocatrice, instructive (tout le monde n’a pas fait l’expérience de l’émigration) mais surtout solidement construite et qui reflète un traitement intelligent, jamais binaire des personnages et des événements qui la constituent.
Au niveau historique et sociétal, le film évoque, au regard de ce qui s’est passé depuis, un côté « entre-deux », puisqu’il y plane à la fois le souvenir omniprésent de mai 68 (une des références des manifestations étudiantes des années 90) et l’ombre des années 2000, qui seront entre autres marquées, sur le plan politique en France, par l’arrivée du FN au second tour des présidentielles de 2002 puis, plus récemment, par une marginalisation progressive du parti socialiste (et avec lui, des idées qu’il portait historiquement). Or dans les années 1990, le RPR et le PS étaient les deux partis principaux, et leurs différences de vue étaient assez nettes ; il y avait donc une opposition droite/gauche plus claire qu’aujourd’hui, et Peur de rien montre bien cela.
Indépendamment de ces considérations politiques, que chacun appréciera à sa manière, il émane du film une belle énergie qui renvoie bien entendu à celle de la jeunesse, l’un des sujets principaux de Peur de rien ; sujet ayant la particularité de toucher chacun d’entre nous puisque pour reprendre les mots de Vincent Lacoste (qui interprète un jeune militant de gauche dans le film), tout le monde a été jeune, même si certains s’en souviennent moins bien que d’autres
.
Visiblement, Danielle Arbid, elle, s’en souvient, et elle a su puiser dans ses souvenirs la source d’un beau et émouvant récit de fiction.
Peur de rien est un beau film d’apprentissage qui révèle des dimensions multiples (sociale, sentimentale, culturelle, historique et politique) tout en conservant son unité et sa cohérence. Cerise sur le gâteau, on y entend de la bonne musique, d’Étienne Daho à Niagara en passant par Frank Black, qu’on voit même à l’écran via des images de concert intégrées au film ; de toute évidence, Danielle Arbid est une femme de goût !
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