Film de Pierre Schoeller
Année de sortie : 2011
Pays : France
Scénario : Pierre Schoeller
Musique originale : Philippe Schoeller
Photographie : Julien Hirsch
Montage : Laurence Briaud
Avec : Olivier Gourmet, Michel Blanc, Zabou Breitman, Laurent Stocker, Sylvain Deblé, Didier Bezace, François Chattot, Anne Azoulay, Éric Naggar, Brigitte Lo Cicero
Le Président de la République : Bertrand, tu n’es pas là pour refaire le monde, tu es là pour reprendre les 5 points de sondage qu’on va perdre avec les gares.
Dominique Woessner : L’État c’est devenu une misère. Une vieille godasse qui prend l’eau de partout.
Avec L’Exercice de l’État, Pierre Schoeller signe l’un des films français les plus aboutis sur l’univers de la politique.
Synopsis de L’Exercice de l’État
Bertrand Saint-Jean (Olivier Gourmet), ministre des transports, est réveillé au beau milieu de la nuit pour se rendre – aux côtés de sa conseillère en communication Pauline (Zabou Breitman) – sur les lieux d’un grave accident de bus.
Le lendemain matin, à la radio, le journaliste Marc Olivier Fogiel l’interroge sur des rumeurs concernant une possible privatisation des gares. Alors que Saint-Jean dément fermement, le ministre du budget Peralta (François Vincentelli), interviewé sur une radio concurrente, prétend que cette solution est à l’étude…
Critique du film
Josepha : C’est ça votre problème ; vous brassez du vent, vous n’avez rien dans les mains, rien à part votre petite ambition.
Les récentes incursions du cinéma français dans l’univers de la politique n’ont pas toujours été des plus concluantes. Cela donne souvent des films déroulant les codes et les stéréotypes du milieu pour au final en fournir une image désincarnée, où tout sonne plus ou moins faux et où les personnages ressemblent à des pantins, des imitations sans consistance.
L’exercice présente une double difficulté : donner une image crédible des coulisses de la politique en s’affranchissant des raccourcis et des clichés ; ne pas oublier, en chemin, les principales qualités attendues d’un film : une histoire et des personnages intéressants, et un véritable regard sur son sujet.
D’emblée, tout sonne admirablement juste dans L’Exercice de l’État. Il émane des événements, des différents détails d’une scène, des dialogues (très bien écrits, parfois légèrement trop « pompeux » d’ailleurs) et des personnages une forte impression de crédibilité. Concernant ces derniers, Pierre Schoeller – dont L’Exercice de l’État est le troisième long métrage après Zéro défaut et Versailles – a su éviter le piège de la simplification, de la démagogie, du populisme et du manichéisme. Bien que son film livre une image très noire de la politique, il montre avant tout des personnages certes ambitieux et orgueilleux mais souvent complexes, et que l’on peut difficilement juger de but en blanc. Certains inspirent d’ailleurs une franche sympathie, comme Gilles, le directeur de cabinet interprété par Michel Blanc.

Gilles (Michel Blanc) dans « L’Exercice de l’État »
Le personnage principal – Bertrand Saint-Jean, le ministre des transports – est quant à lui tour à tour sensible, vaniteux, indifférent, ambitieux, compatissant, convaincu, résigné, colérique, amical, et assez flou idéologiquement parlant. Il possède une épaisseur qui le rend difficile à résumer en quelques mots. Olivier Gourmet exprime fort bien ses différentes facettes, composant un être nuancé qu’on n’aime ni ne déteste, et qui à sa manière est assez représentatif de la politique d’aujourd’hui.
Le propos du film est en partie synthétisé par le rêve (troublant…) sur lequel s’ouvre L’Exercice de l’État. Le rêve en question montre des êtres masqués (symbolisant la dimension aveugle du pouvoir, ou encore l’absence de vérité et de sens qui lui est propre) et une femme nue (la jolie Brigitte Lo Cicero) qui s’engouffre dans la mâchoire béante d’un crocodile. Ici, c’est évidemment le pouvoir comme pur désir de domination, appétit brutal (et en partie sexuel), qui est représenté.
Ce pouvoir n’a pas de sens réel sur le plan politique ; sa principale finalité réside dans son propre exercice, dans son maintien, davantage que dans l’accomplissement de projets de société constructifs (Bertrand, tu n’es pas là pour refaire le monde, tu es là pour reprendre les 5 points de sondage qu’on va perdre avec les gares
). Il présente également une dimension dérisoire, en ce sens qu’il est soumis à des règles (économiques, mondiales, électorales, procédurales) qui le limitent considérablement. Une réalité complexe et actuelle que L’Exercice de l’État décrit très bien.

Bertrand Saint-Jean (Olivier Gourmet) et sa conseillère en communication Pauline (Zabou Breitman) dans « L’Exercice de l’État »
Si le constat n’est en lui-même pas nouveau, il a rarement été exprimé de façon aussi saisissante. La vision de ces hommes empêtrés dans les rouages de la vie politique a quelque chose d’étouffant, de cauchemardesque même ; car au-delà du spectacle peu réjouissant et stimulant de leur quotidien, le film exprime également les conséquences dramatiques – sur la société – de cette machinerie déréglée, aux rouages aussi grinçants que la musique originale du film, signée Philippe Schoeller, le frère du cinéaste. Exprimant aussi bien l’aspect absurde et aliénant du monde politique que les souffrances sociales et humaines que celui-ci ne parvient pas à résoudre, elle est, comme le chœur dans les tragédies grecques, un personnage à part entière – un sinistre prophète en l’occurrence.
Sans verser dans la facilité, le film illustre la rupture entre les politiques et le peuple de manière tantôt concrète (le repas chez le chauffeur du ministre ; les manifestations et grèves qui ponctuent le film, etc.), tantôt plus symbolique. Le chauffeur interprété par Sylvain Deblé est bien entendu un personnage clé : son honnêteté, sa simplicité, son humilité et sa condition sociale forment un contraste évident avec l’univers verbeux, fourbe et parfois superficiel dans lequel il évolue de par sa profession. Cette opposition aurait pu être simpliste, voire démagogique, mais encore une fois la justesse de l’écriture et du jeu des comédiens font qu’il n’en est rien. Enfin, dans une séquence particulièrement sèche, violente et significative, L’Exercice de l’État illustre à quel point l’innocence et la pureté ne peuvent pas subsister dans les hautes sphères du pouvoir…
Servi par une écriture rigoureuse, une mise en scène précise et des comédiens talentueux, L'Exercice de l'État livre un point de vue à la fois crédible, désabusé et nuancé sur la politique.
3 commentaires
Oui, juste une précision et correction au sujet de votre bel article sur le film » L’exercice de l’état » du cinéaste Pierre Schoeller.
La musique originale de ce film est de Philippe Schoeller, compositeur. et non pas de Pierre, Schoeller. Je suis son frère, d’ailleurs.
merci à vous de rectifier cette information sur la fiche descriptive de
l’équipe qui a réalisé ce film
cordialement
Philippe Schoeller, composer, painter.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Philippe_Schœller
http://brahms.ircam.fr/philippe-schoeller
Toutes mes excuses pour cette erreur, et toutes mes félicitations pour cette excellente musique de film !
J’ai bien entendu remplacé « Pierre » par « Philippe » dans la fiche descriptive et dans le passage de l’article qui traite de la musique.
Merci pour votre remarque, sans laquelle je n’aurais sans doute pas pris conscience de cette confusion avant longtemps…
Vous insistez beaucoup sur le mot « noir » pour la vision de la politique que transmet ce ce film… Je préfère, pour ma part, l’adjectif « réaliste » (que vous utilisez par ailleurs).
En ce qui concerne le personnage du chauffeur, sa force réside, je pense, dans son silence (s’il s’aventurait à parler, ne dirait-il pas un monceau de bêtises?). Pour que le Ministre, lui, s’épanche, il lui suffit de lever le coude jusqu’à plus soif…
En tout cas, votre article me permet de vérifier une fois de plus que M. Schoelcher frère « trace » méthodiquement les blogs qui parlent de « leur » film… Je n’ai pas encore eu sa visite! (il est vrai que je n’ai pas parlé de la BO). 😉
(s) Ta d loi du cine, « squatter » chez Dasola