Film de Ben Wheatley
Année de sortie : 2011
Pays : Royaume Uni
Scénario : Ben Wheatley, Amy Jump
Photographie : Laurie Rose
Montage : Ben Wheatley, Robin Hill, Amy Jump
Musique : Jim Williams
Avec : Neil Maskell, Michael Smiley, MyAnna Buring, Emma Fryer, Struan Rodger
Dr Bapkin: The past is gone. The future is not yet here. There is only this moment.
Kill List est un film éprouvant, mais qui compte parmi les thrillers horrifiques les plus intéressants et singuliers de ces dernières années.
Synopsis de Kill List
Dans le Yorkshire, de nos jours. Jay (Neil Maskell) et Gal (Michael Smiley), deux amis proches, sont devenus tueurs à gages après avoir servi dans l’armée britannique.
Suite à une mission à Kiev qui a visiblement très mal tourné, Jay ne travaille plus depuis huit mois, ce que sa femme Shel (MyAnna Buring) commence à lui reprocher. Lui et Gal acceptent donc un nouveau contrat, pour le compte d’un commanditaire inquiétant (Struan Rodger).
Mais leur mission – abattre trois hommes – prend rapidement une (très) mauvaise tournure…
Critique du film
Ben Wheatley, à propos de « Kill List » (source : Entretien avec Ben Wheatley) : Le mystère est important parce qu’il laisse au public la liberté de penser. Le mystère force le public à remplir les trous laissés par les ellipses, à utiliser leur imagination. L’idée, c’est que le public projette ainsi ses propres idées, ses propres peurs.
Les ellipses narratives de Kill List
Jay: Kiev was…
Gal: I know.
Ce qui frappe assez rapidement dans Kill List – et cette impression se renforce au fur et à mesure que le film avance –, c’est la manière dont le metteur en scène (le britannique Ben Wheatley) nous plonge dans l’intrigue en ne donnant que des bribes d’information sur les personnages et les événements antérieurs au début du récit.
C’est en effet essentiellement sur la base d’allusions et d’évocations vagues (mais significatives) que le spectateur tente de cerner les protagonistes et leur situation respective. De la fameuse mission à Kiev à laquelle il est fait référence (tout comme du passé militaire de Jay et de son ami Gal), on ne saura rien ou très peu de choses (malgré l’impact évident que ces événements exercent sur la psychologie et le quotidien des personnages).
Le principe est le même pour l’ensemble des événements montrés dans le film : ils sont émaillés de mystères, ponctués de questions sans réponses qui viennent s’ajouter aux précédentes et former ainsi une vaste zone d’ombre dans laquelle le spectateur avance à tâtons ; ce qui, d’emblée, le rend plus vulnérable.

Michael Smiley, élu meilleur acteur dans un second rôle aux British Independent Film Awards 2011 pour sa performance dans « Kill List ».
Ce parti pris narratif y est pour beaucoup dans le sentiment de malaise que le film provoque insidieusement chez le spectateur : du fait que l’on ne dispose pas de toutes les informations qui permettraient de comprendre les accès de violence dont Jay témoigne, ou de mieux cerner les tenants et aboutissants de l’engrenage obscur dans lequel les protagonistes se retrouvent plongés, on est désarmé, déstabilisé par les images violentes, malsaines et bizarres auxquelles le film nous confronte. Elles (ces images) ont un écho plus profond et dérangeant en nous, puisque nous ne parvenons pas à leur opposer un raisonnement précis, une logique même approximative – du moins pas de manière instantanée.
Des personnages nuancés et crédibles
Au niveau de la caractérisation des personnages principaux, les scénaristes Ben Wheatley et Amy Jump (la compagne et collaboratrice du cinéaste) ont opté pour une approche humaine, crédible et nuancée. Jay et Gal, en tant que tueurs à gages, sont évidemment moralement condamnables mais il est toutefois difficile de les juger de but en blanc – on cautionne, d’ailleurs, certaines de leurs réactions (pas toutes, s’entend…). Jay est affectueux et attentionné envers son fils ; Gal est sympathique et attachant à bien des égards. De plus, le fait qu’ils se retrouvent face à des êtres bien plus mauvais et dangereux qu’eux souligne davantage leurs « bons côtés ».
Ce rapport ambigu que le film instaure entre le spectateur et les protagonistes renforce le caractère immersif de l’expérience : des tueurs totalement abjects auraient provoqué une distance nuisible à l’impact de Kill List. Ces partis pris sont également révélateurs de la vision d’un cinéaste peu friand des schémas manichéens, et qui filme avant tout un monde trouble et désordonné (ce que ses films ultérieurs confirmeront).

Jay (Neil Maskell) avec son fils. Maskell est connu notamment pour son rôle dans l’excellente série « Utopia », de Dennis Kelly
La justesse de l’écriture et celle de l’interprétation (MyAnna Buring, Neil Maskell – vu dans Utopia – et Michael Smiley sont très convaincants) favorisent largement l’implication du spectateur. Les scènes entre Jay et son épouse sont particulièrement bien écrites et mises en scène ; en un minimum de mots et de plans, Wheatley parvient à faire ressentir la tension au sein du couple.

MyAnna Buring, dans un plan qui en dit long sur la situation difficile du couple.
L’art de brouiller les pistes et de mélanger les genres
Tout, dans Kill List, contribue à produire une impression d’incertitude, d’instabilité : l’utilisation fréquente de la caméra à l’épaule, la bande son (régulièrement hantée par des nappes sourdes et pesantes) et la structure du scénario qui, habilement, brasse différents registres, du film noir teinté de drame social à de la folk horror cauchemardesque (le final évoque quelque peu l’univers de The Wicker Man, de Robin Hardy, influence d’ailleurs revendiquée par Wheatley). Une dose acide de complotisme est saupoudrée sur l’ensemble, le monde de la politique n’étant pas montré sous un jour bien flatteur…
Ben Wheatley multiplie les plans ingénieux, toujours au service du récit. Par exemple, lorsque Jay et Gal rencontrent leur client (Struan Rodger) pour la première fois, l’arc-en-ciel visible en arrière plan évoque une voûte, ou encore une porte ; les deux personnages semblent alors emprunter, sans le savoir, un chemin prédéterminé, sous l’influence d’une volonté supérieure.

Neil Maskell et Michael Smiley dans « Kill List ». On remarquera l’arc-en-ciel en arrière plan – un détail qui n’a sans doute rien d’innocent.
La dimension critique de Kill List
Kill List est, à bien des égards, très ancré dans son époque et comporte une dimension sociale (et politique) discrète mais fondamentale. Plusieurs éléments du film en témoignent.
Il y a d’abord le climat social dans lequel évoluent les personnages : Jay et sa femme ont des problèmes d’argent ; Fiona, la petite amie de Gal, travaille dans les ressources humaines et évoque des plans sociaux au début du film. Ensuite, la guerre (en Irak) est omniprésente en arrière-plan, et surgit dans le discours de Jay à deux reprises : au cours de la très importante scène du dîner (What I get? Fucking Irak!
) et lorsqu’il raconte à son fils, pour l’endormir, l’histoire… d’un attentat commis par des insurgés.
On comprend ici que Jay a été marqué par son expérience en tant que soldat (il souffre probablement d’un état de stress post-traumatique), et que cela explique en partie sa dépression et ses accès de violence.

MyAnna Buring et Neil Maskell dans « Kill List ».
L’auteur nous décrit donc une société malade, où les classes populaires et moyennes subissent la crise économique et les conséquences de la guerre (cet élément de la biographie des protagonistes est essentiel), tandis que les membres des classes supérieures (et des représentants politiques) se vautrent dans des rites criminels absolument sordides.
De ce point de vue, Kill List intègre des éléments propres à la critique sociale ; mais le film laisse avant tout au spectateur le soin de composer sa propre image à partir du tableau obscur, tordu et effrayant qu’il lui donne à voir. Image qui le hantera d’ailleurs longtemps après la projection…

Struan Rodger, inquiétant à souhait dans le rôle du client. Le personnage incarne la richesse corrompue et perverse par excellence.
À lire également :
- Entretien avec Ben Wheatley, sur le site Film de Culte
- Réception critique et possibles influences de Kill List, sur Wikipedia EN
Kill List propose une expérience horrifique inédite, qu'on déconseillera aux âmes sensibles mais pas aux spectateurs curieux de sortir des sentiers balisés que le cinéma de genre emprunte trop souvent. Wheatley parvient ici à livrer un récit à la fois rigoureusement construit et habilement ponctué d'ellipses et de non-dits, pour mieux déstabiliser le spectateur et stimuler son imagination. On ne peut pas dire qu'on passe un très bon moment, mais c'est de l'excellent cinéma d'horreur.
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