There are two different stories in horror: internal and external. In external horror films, the evil comes from the outside, the other tribe, this thing in the darkness that we don’t understand. Internal is the human heart.
John Carpenter à propos du cinéma d’horreur
Voici une sélection de dix films d’horreur réalisés au cours de la décennie 2010 à revoir ou à découvrir.
À propos du cinéma d’horreur
Qu’est-ce qu’un film d’horreur, dans le fond ? Il suffit d’échanger à ce sujet avec différentes personnes pour réaliser que la réponse n’est pas si évidente. John Carpenter a dit, outre la citation mise en exergue, que l’horreur était une réaction, pas un genre
. Mais quelle est cette réaction ? Certains vont considérer qu’un film d’horreur doit nécessairement faire peur ; en réalité, le mot horreur
est par définition davantage lié aux sentiments de dégoût et d’aversion qu’à celui de l’effroi.
Évidemment ces sentiments vont (très) souvent de pair, mais pas toujours. Il me semble donc qu’un film d’horreur, contrairement à un film fantastique par exemple, doit avant toute chose provoquer en nous un malaise, une forme de rejet, voire de réprobation
, pour reprendre l’un des termes présents dans la définition du Larousse.
Quand le cinéma horrifique joue avec nos peurs, il s’agit souvent des plus viscérales – la peur de se perdre, de perdre quelqu’un, de perdre la raison. La peur de l’inconnu, de nous-mêmes aussi : le cinéma d’horreur nous renvoie parfois à des émotions dérangeantes, qu’on préfère glisser sous le tapis au quotidien. La peur des autres, évidemment, qu’il s’agisse de zombies décérébrés, de vampires, de cannibales, de membres d’un culte quelconque, de rednecks hostiles, de démons ou de citoyens lambda semblables à d’inoffensifs voisins, mais qui dissimulent des intentions redoutables.
Ce malaise, cette peur peuvent parfois être connectés, plus ou moins directement, à une violence sociale, politique, humaine bien réelle. Ou à une angoisse plus intemporelle et existentielle, non spécifique aux problématiques d’une époque donnée.
La liste qui suit reflète plus ou moins, je pense, cette modeste (et sans doute incomplète) définition de l’horreur. De fait, certains des films qui la composent sont de ceux qu’on ne regarde pas deux fois…
Cinéma d’horreur : le meilleur des années 2010
Kill List, de Ben Wheatley
Le deuxième film du réalisateur britannique Ben Wheatley nous colle aux basques de deux anciens militaires devenus tueurs à gages pour boucler des fins de mois difficiles. Ils vivent dans une banlieue anglaise grisâtre ; l’un d’eux a visiblement connu une expérience particulièrement traumatisante.
On n’en saura pas plus : Kill List nous fait emprunter une route sinueuse pleine de zones d’ombres et de silences menaçants, dont les trajectoires nous prennent sans cesse au dépourvu. On passe ainsi d’un thriller teinté de social à un film d’horreur particulièrement sombre, glauque et violent, où complotisme politique et folk horror se côtoient pour le pire. L’ombre de la guerre en Irak rôde en arrière-plan, et on devine le point de vue critique du cinéaste à l’égard de ce conflit, bien que rien ne soit explicité ici. Au spectateur de composer avec un tableau inquiétant et malade, qu’il aura envie de chasser de son esprit au cours des instants suivant la projection. En vain.
The Woman, de Lucky McKee
Un avocat et père de famille américain modèle
séquestre une femme vivant à l’état sauvage dans la forêt, pour lui apprendre à devenir civilisée
…
À travers cette figure paternaliste ouvertement perverse, Lucky McKee et le romancier Jack Ketchum livrent un portrait au vitriol d’une certaine Amérique, qui s’applique à bien d’autres sociétés ; à vrai dire, à toutes les situations où l’homme s’est présenté sous le masque d’une autorité bienveillante pour, en réalité, défouler ses pulsions de domination et d’asservissement.
Au casting, on retrouve la comédienne fétiche du cinéaste, Angela Bettis, qu’il avait dirigée dans May puis dans Sick Girl (segment de Masters of Horror), ainsi que Pollyanna McIntosh dans le rôle titre. Un vrai
film d’horreur, souvent éprouvant, mais jamais gratuit.
Bone Tomahawk, de S. Craig Zahler
Autant le cinéma d’horreur se mêle régulièrement au genre policier, au fantastique, au drame ou à la comédie, autant il est plutôt rare qu’il vienne investir le territoire du western. C’est donc à une combinaison audacieuse que s’est essayé le romancier et désormais cinéaste S. Craig Zahler pour son premier long métrage, et le résultat possède une force et un caractère indéniables.
Comme il le montrera à nouveau dans le remarquable Traîné sur le bitume, Zahler est un auteur dont les différentes œuvres partagent les mêmes atouts : une mise en place extrêmement soignée, des personnages consistants et une approche de la fiction qui ne s’embarrasse guère de morale, de concessions et de pitié. Ses récits sont durs, âpres, violents et tendus ; ils témoignent par ailleurs d’un sens aigu du rythme et de la progression dramatique.
À partir d’un schéma assez fréquent dans le western classique (des hommes partent en mission de sauvetage dans un environnement aride et montagneux), Zahler injecte une bonne touche de Jack Ketchum période Morte saison et l’expédition tourne alors au cauchemar. Même la présence du solide Kurt Russell ne parvient pas à nous rassurer. C’est dire.
Hérédité, d’Ari Aster
Bien que leurs univers soient très différents, Ari Aster partage avec S. Craig Zahler à la fois une grande rigueur d’écriture et de mise en scène et une absence manifeste d’hésitation ou de frilosité quand il s’agit de faire passer au spectateur un très mauvais quart d’heure. Hérédité s’affirme en effet comme l’un des films d’horreur les plus éprouvants de ces dernières années.
Le malaise est ici d’abord intime, familial ; chez Ari Aster, le récit part souvent d’une situation de deuil (on retrouvera le même point de départ dans son film suivant, Midsommar). On a ensuite le sentiment que l’auteur imagine comment les choses pourraient se passer encore plus mal. La faille apparue initialement devient progressivement un gouffre béant, dans lequel les personnages perdent le peu de repères qu’il leur restait. Le spectateur également, d’autant plus que ce chaos est filmé avec une grande maîtrise.
Quant à Toni Collette, elle excelle en mère de famille guettée par la démence ; l’actrice a d’ailleurs co-produit le film. À voir, mais prévoyez un sas de décompression avant d’aller dormir.
Absentia, de Mike Flanagan
Mike Flanagan s’est probablement amélioré sur le plan technique depuis son premier long métrage, mais il n’est pas sûr qu’il soit parvenu, dans ses films suivants, à recréer un climat aussi troublant, ni des personnages aussi consistants (même si sa récente adaptation de Stephen King, Doctor Sleep, est plutôt aboutie). L’un des atouts d’Absentia réside en effet dans la caractérisation des deux protagonistes, caractérisation plus fine que ce que Flanagan se contentera de faire, par exemple, dans des films comme Hush, efficace mais aussi plus caricatural.
Les deux sœurs d’Absentia sont attachantes, crédibles et nuancées ; elles sont un peu perdues aussi, et le film a l’intelligence de suggérer leur passif, leurs doutes et leurs questionnements plutôt que de les expliciter à outrance. L’horreur – d’abord purement intime puis vaguement Lovecraftienne – à laquelle elles seront confrontées est en quelques sortes l’écho de leurs angoisses profondes, viscérales. Écho qui résonne dans le tunnel inquiétant que traverse régulièrement, dans le film, Cassie (Katie Parker) lors de ses jogging quotidiens.
Cette justesse, cette délicatesse même dans le traitement de l’intimité des personnages et de leur relation donnent à la dimension horrifique d’Absentia une résonance durable. Le tout sur la base d’un budget des plus modestes ; comme quoi, le manque de moyens aide parfois à se concentrer sur l’essentiel.
Black Swan, de Darren Aronofsky
Black Swan et The Wrestler, du même Aronofsky, comprennent plusieurs motifs communs, tels que la notion de quête individuelle, de souffrance corporelle, et la présence d’un environnement professionnel exigeant et contraignant (le catch dans The Wrestler ; la danse classique dans Black Swan).
Mais en termes de genre, si The Wrestler est un drame, Black Swan s’aventure bel et bien sur le terrain de l’horreur psychologique (même si ce terme doit être employé avec des guillemets en l’occurrence, pour des raisons que nous allons développer). Sa frêle protagoniste, Nina (Natalie Portman), évoque la Carrie de Stephen King (et de Brian de Palma), jusque dans sa relation tourmentée avec une mère envahissante (Barbara Hershey, connue notamment pour L’Emprise). Son parcours tortueux est la métaphore d’une démarche artistique sans concessions, impliquant, pour atteindre la perfection recherchée, de puiser au fond de soi-même, y compris dans ses émotions les plus sombres et troublantes.
C’est pour cela que Black Swan n’est pas un film sur la schizophrénie ou la paranoïa, pas davantage que ce n’est un film sur le milieu de la danse à proprement parler ; les troubles dont souffrent l’héroïne et son activité professionnelle sont utilisés ici essentiellement à des fins symboliques, et non dans le souci d’une description réaliste. Cela fonctionne très bien, grâce à la force du récit (récit, initiatique en un sens, d’une transformation douloureuse), à un casting remarquable et à une réalisation immersive, qui nous fait suivre pas à pas les étapes de ce vertigineux chemin de croix artistique. Dommage que par la suite, ce même goût du symbolisme conduira Aronofsky au bien plus discutable Mother!.
Lire la critique de Black Swan
Grave, de Julia Ducourneau
Pour son premier long métrage, Julia Ducourneau a signé ce qui n’est rien moins que le meilleur film d’horreur français (il s’agit plus précisément d’une coproduction franco-belge) de ces dernières années. Autour d’un motif fréquemment abordé par le genre (le cannibalisme), la réalisatrice livre un récit puissant sur la transmission et la découverte de soi, tandis que la relation intense entre la protagoniste et sa sœur aînée occupe une place majeure dans le scénario.
La violence graphique n’est jamais gratuite, puisqu’elle est au service d’une histoire consistante, portée par des personnages bien écrits – y compris ceux qui n’apparaissent que brièvement à l’écran. En dehors des jeunes et prometteuses Garance Marillier et Ella Rumpf, on a le plaisir de retrouver Laurent Lucas, qui confirme son goût pour les films d’auteur audacieux, lorgnant souvent vers le cinéma de genre (on se souvient de lui dans Qui a tué Bambi ?, Harry, un ami qui vous veut du bien ou encore Lemming).
Grave est maîtrisé de bout en bout, et bénéficie par ailleurs d’une excellente bande originale de Jim Williams, fidèle collaborateur de… Ben Wheatley, le réalisateur de Kill List (présent en haut de cette sélection). Le monde du (bon) cinéma d’horreur semble parfois petit…
The Visit, de M. Night Shyamalan
On a le droit de ne pas être emballé par les contes souvent assez mièvres (Le Village ; Signes) qui ponctuent une partie de la filmographie du réalisateur de Sixième Sens. Et même, par l’allégorie un peu lourde qu’il nous propose dans le récent Glass. Mais The Visit se distingue par un récit beaucoup plus simple, épuré et classique, tout en portant la patte de son auteur (on retrouve son fameux sens du twist, et aussi la dimension initiatique dans le développement des personnages).
La force du film réside dans un équilibre parfait entre légèreté et horreur : on sourit souvent mais quand Shyamalan décide de nous faire frémir, il y parvient très bien. Les protagonistes – une adolescente et son petit frère – suscitent d’emblée notre sympathie ; concerné par leur sort, on s’implique émotionnellement dans ce found footage qui évite les lourdeurs et facilités propres à ce sous-genre.
The Visit donne l’impression que Shyamalan s’est éloigné des lourdeurs du film à message (il y a certes une morale, mais elle est toute simple et sans prétention) pour avant tout se faire plaisir et faire plaisir au spectateur. Pari à mon sens réussi : The Visit est parfait pour une soirée cinéma d’épouvante entre amis, et s’il ne fournit pas une matière particulièrement passionnante, il est suffisamment généreux et divertissant pour mériter le détour.
Insidious, de James Wan
Si ses suites sont des plus dispensables, le premier Insidious est un exemple de ce que Blumhouse (la société créée par Jason Blum) peut produire de bon dans le genre horrifique. Même s’il fait un clin d’oeil au Saw du même James Wan (également écrit par Leigh Whannell), Insidious s’inscrit dans une veine de l’épouvante plus classique et, suis-je tenté de dire, plus classe que le torture porn, sous-genre complaisant et rarement intéressant.
On retrouve ici le fameux schéma narratif de la famille américaine rassurante qui démarre une nouvelle vie pleine de promesses dans une belle demeure, avant que les choses, évidemment, ne prennent un tournant surnaturel des plus inquiétants. De prime abord, le pitch pourrait laisser craindre un étalage ennuyeux de conventions ; mais voilà, le récit est intelligemment construit (avec une rupture bien négociée à mi-parcours), les personnages sont soignés (parfois truculents) et la réalisation de James Wan est particulièrement élégante. Au final, Insidious s’affirme comme un divertissement de grande qualité, efficace quand il s’agit de faire monter le trouillomètre (grâce notamment à un design inspiré) et servi par de bons comédiens dont la jolie Rose Byrne, Patrick Wilson (également au casting de Bone Tomahawk), Barbara Hershey (présente également dans Black Swan, cité ci-dessus) et Lin Shaye.
Jamie Marks is Dead, de Carter Smith
Jamie Marks is Dead est le second et dernier film en date de Carter Smith, qui s’était fait remarquer en 2008 en portant à l’écran le roman d’horreur Les Ruines, de Scott Smith. Le point commun entre ces deux projets est que Jamie… est également basé sur un roman (One for Sorrow de Christopher Barzak), mais cela s’arrête là : en termes d’enjeux, de thématiques et d’atmosphère, Carter Smith propose ici quelque chose de beaucoup plus sensible et délicat que Les Ruines (ce dernier restant recommandable pour une soirée pop-corn).
Jamie Marks is Dead se présente comme un récit initiatique, qui explore les tourments de l’adolescence et le rapport à la mort d’une bien jolie manière. Rarement effrayant, le film s’attache surtout à dépeindre les sentiments, le trouble et les doutes de deux adolescents confrontés à la mort d’un de leurs camarades (le fameux Jamie Marks). C’est bien photographié (par Darren Lew, dont les choix d’éclairage traduisent la dimension intime du récit), et on sent que le réalisateur est vraiment touché par l’histoire. À noter, la présence (devenue rare au cinéma) de Liv Tyler dans le rôle de la mère du protagoniste.
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