Film de Lucky McKee
Pays : Etats-Unis
Année de sortie (US) : 2011
Scénario : Lucky McKee et Jack Ketchum
Photo : Alex Vendler
Montage : Zach Passero
Avec : Pollyanna McIntosh, Angela Bettis, Sean Bridgers, Lauren Ashley Carter, Zach Rand, Carlee Baker, Shyla Molhusen
The Woman, le dernier long métrage de Lucky McKee, est un film puissantn dérangeant et subversif, qui confirme le talent du réalisateur de May et de Sick Girl.
Synopsis de The Woman
Lors d’une ballade en forêt, l’avocat Chris Cleek (Sean Bridgers) aperçoit une femme (Pollyanna McIntosh) qui vit en marge de la société.
Il décide de la capturer et de l’enfermer dans la cave de sa propriété, afin de la « civiliser ». Son épouse Belle (Angela Bettis) et ses trois enfants sont sensés l’assister dans cette tâche douteuse…
Critique du film
Bien qu’il sortira directement en DVD et Blu-ray en France, sans être passé par les salles obscures, The Woman fait beaucoup parler de lui depuis sa projection – houleuse – au festival de Sundance 2011 (lire l’article The Woman, le nouveau film de Lucky McKee). Le film s’est en effet taillé une réputation plutôt flatteuse en remportant le prix du meilleur scénario au Festival International du Film Fantastique de Catalogne de Sitges et l’Octopus d’or au Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg, deux événements de référence dans l’univers du cinéma de genre.

Peggy Cleek (Lauren Ashley Carter) et sa mère Belle (Angela Bettis) en arrière plan
Le personnage du père/époux
Basé sur le roman éponyme de Jack Ketchum et Lucky McKee, qui s’étaient déjà croisés à l’occasion de l’expérience pour le moins chaotique (McKee s’étant fait limoger en cours de route) du tournage de Reds, The Woman procure une expérience éprouvante, viscérale, qui ne donne pas toujours dans la finesse mais qui a le mérite d’aller au bout de sa démarche et d’assumer pleinement un propos dont la portée dépasse la cellule familiale dans laquelle le film effectue une plongée vertigineuse – en ce sens que l’histoire imaginée par Ketchum et McKee convoque certains démons de l’Amérique contemporaine (démons que l’on retrouve, précisons-le, dans bien d’autres sociétés).
L’un des personnages clés de l’histoire est bien entendu ce père/mari/avocat qui s’impose comme une figure morale et autoritaire (sa profession soulignant ce statut) alors qu’il brandit des revolvers devant ses enfants et témoigne d’une misogynie, d’une violence et d’une perversité exubérantes. S’il prétend d’emblée vouloir « aider » la « sauvage » qu’il séquestre dans sa cave, le film nous donne très rapidement des raisons de penser que sa démarche est tout sauf louable. En témoigne notamment cette scène très importante où pour la première fois, il présente sa « découverte » à sa famille : la caméra reste fixée sur celle-ci tandis que la femme qui donne son titre au film reste hors-champ pendant un long moment. Le sens de la mise en scène est clair : il n’y a aucune forme d’échange et de communication dans ce procédé arbitraire, mais simplement l’exercice d’une autorité faussement légitime, qui précipitera toute une famille dans le chaos.

La famille Cleek au grand complet.
On peut voir dans cette figure d’américain en apparence père, époux et travailleur modèle la métaphore de toutes les situations où les hommes ont prétendu incarner une autorité bienveillante, alors qu’en réalité ils ont assouvi leur désir de domination et d’asservissement.
En ce sens, la situation décrite dans le film renvoie à des pages (sombres) de l’histoire ancienne et récente ; The Woman présente donc une dimension politique et critique.

Chris Cleek (Sean Bridgers)
Lucky McKee et les femmes
Si l’influence de Ketchum, une icône de la littérature américaine horrifique contemporaine, est très perceptible, le regard et le style de Lucky McKee sont tout aussi présents. Comme dans May, The Woods et même l’attachant Sick Girl (l’un des meilleurs moyens métrages réalisés dans le cadre de la série Masters of Horror), les femmes tiennent un rôle essentiel et sont, en l’occurrence, les véritables « héroïnes » de ce film coup de poing. Les regards qu’elles échangent dans certaines séquences représentent bien l’unique chose à laquelle le spectateur se raccroche parfois dans cette avalanche de violence et de perversité, même si le film, qui n’est pas manichéen, se garde bien d’une opposition simpliste entre des femmes innocentes et des hommes coupables. À l’image du personnage incarné par Pollyanna McIntosh, la représentation de la femme chez Lucky McKee est complexe, déroutante (effrayante parfois) et pleine de nuances – très loin, donc, des clichés et conventions.
Ce qui est intéressant, c’est que les personnages féminins incarnent chacun une image distincte de la féminité. Belle, l’épouse passive interprétée par Angela Bettis, renvoie à l’image de la femme au foyer soumise ; la fille aînée a une conscience plus éveillée ; la petite sœur de cette dernière représente l’innocence, la bonté pure ; quant à la sauvage, elle reflète une féminité violente, animale, non conditionnée (l’antithèse de Belle, en quelques sortes, ce qui rend la séquence où elles échangent un long regard particulièrement forte), mais qui a aussi une dimension protectrice et maternelle.

Brian Cleek (Zach Rand)
Pour conclure
The Woman fait s’écrouler une à une les fondations miteuses d’une famille américaine gangrénée par un père abject, incarnation cauchemardesque des pires travers de la civilisation qu’il prétend défendre, et prolonge la réflexion de Lucky McKee sur la féminité et ses multiples facettes ; dans ce film, elle est d’ailleurs synonyme d’avenir et d’espoir, en luttant contre un paternalisme violent, pervers et tyrannique.
Le casting
On retrouve au casting l’actrice fétiche de Lucky McKee, Angela Bettis, l’héroïne « carryéenne » de May et également de Sick Girl (aux côtés de la jolie Misty Mundae). Sa physionomie et son expressivité bien particulières lui donnent une réelle présence à l’écran, et elle est en l’occurrence très juste dans le rôle d’une épouse (trop) passive, qui ne fait rien pour contrebalancer l’autorité délirante exercée par son époux.
C’est Sean Bridgers qui interprète ce dernier. L’acteur excelle dans l’art de nous énerver par ses mimiques suffisantes et satisfaites, dès sa première apparition à l’écran. Bridgers a tenu plusieurs rôles dans différentes séries TV, dont True Blood, Lie to Me, Bones, Saving Grace, Les Experts, Cold Case, etc.

Genevieve Raton (Carlee Baker), la professeur de Peggy Cleek
Dans le rôle titre (et difficile) de « the woman« , la comédienne méconnue Pollyanna McIntosh s’en sort à merveille. C’est évidemment une composition très physique qui passe avant tout par des regards, des gestes, des expressions, et l’actrice parvient avec beaucoup de justesse et d’aplomb (aussi grâce à un visage intéressant, qui a du caractère) à donner au personnage une envergure, une dimension émotionnelle et un charisme qui dans certains plans du film sont saisissants.
Dans le rôle des trois enfants, Lauren Ashley Carter (parfaite en adolescente renfermée), Zach Rand et Shyla Molhusen livrent des compositions très convaincantes. Quant à la jolie Carlee Baker, qui incarne la professeur de la fille aînée de la famille Cleek, elle apporte une touche de charme appréciable.
The Womanmet en scène une figure paternaliste dite civilisée qui masque en réalité une violence abjecte et un désir de domination. À travers ce portrait métaphorique, McKee dénonce des phénomènes sociaux, culturels et politiques plus globaux avec un brio qui fait regretter que sa filmographie ne soit pas plus dense et fournie.
4 commentaires
Très bon film, et un grand plaisir d’y retrouver Angela Bettis !
En effet ! On aimerait bien la voir plus souvent au cinéma.
« Tant qu’il y aura des hommes »
Ce conte aux allures de fait divers s’ouvre et se clôt sur deux « rêves ». Dans le premier, une femme s’imagine, se souvient ou s’occupe d’un bébé léché par une louve ; dans le second, une enfant, rescapé d’un massacre ignoré, aborde une île et fait la connaissance d’une créature anthropomorphe, en un court film d’animation ouvert et fermé à l’iris, comme au temps du muet. Le procédé, et le thème de l’apprivoisement qui structure la première partie de l’œuvre, rappellent bien sûr un autre célèbre récit d’éducation : « L’Enfant sauvage » de Truffaut (et la mer animée après le générique final, avec sa gamine dans la barque, résonne avec « La Nuit du chasseur » de Laughton).
Mais ici, point de docteur ni de sauvageon. Le couple de départ comprend une femme sans nom et sans passé, assortie d’un homme de loi qui pratique la chasse, engrosse sa fille et bat sa femme. Ce bourreau bonhomme, certain de son bon droit, représente un spécimen raffiné de la « racaille blanche » dont le cinéma d’horreur américain, depuis longtemps, nous narre les édifiantes aventures, avec tous ces « cous rouges » hantant les campagnes dangereuses d’un pays trop grand, trop pauvre aussi, à la fois repoussoirs des citadins civilisés et fantômes de vieilles guerres et d’inconscients puérils dans leur sauvagerie, tels les ruraux s’éveillant une fois l’an pour se repaître de touristes dans le séminal « 2000 Maniaques » de Lewis (qui renversait d’ailleurs le « Brigadoon » de Minnelli). Cette Amérique interdite, dont les rejetons dégomment leurs camarades de lycée, dont les films de Rob Zombie exaltent la vitalité mauvaise et l’humour vachard, s’affirme comme la figure inversée de la petite ville, havre de paix et refuge des jeux amoureux de l’âge d’or hollywoodien, déjà là dans les ombres du doute distillées par cet ogre farceur d’Hitchcock.
Du reste, les bois sombres d’où émerge la femme blessée, Clarice Starling y courait avant elle, avant de rencontrer aussi un grand méchant loup, et Dante s’y égarait sur le chemin qui le menait à son Enfer… McKee et Ketchum nous dépeignent quant à eux un enfer domestique, patriarcal, misogyne, sous la façade de la respectabilité bourgeoise. Dans un jardin d’Éden perverti, le père lorgne les jambes nues de sa fille fécondée, autiste Lolita, lui chuchote les mêmes « bonne fille » dont les dompteurs flattent les fauves sous le chapiteau, et dont les étalons félicitent les actrices du « divertissement adulte » quand elles se livrent à certaines performances ; un nageur insulte une adolescente traumatisée ; des gosses molestent une petite fille ; une sœur née sans yeux finit dans un réduit hors de la maison, en compagnie de chiens carnivores (un écho du chenil de Pierre Brasseur dans « Les Yeux sans visage » ?), elle-même à l’état de chienne ; et un frère, digne héritier de la malédiction paternelle, souille les cheveux blonds d’une écolière en étalant son chewing-gum dans sa brosse.
Dès lors, de quel aveuglement faut-il souffrir pour ne pas voir que cette guerre des sexes, écrite par deux hommes, tourne constamment à l’avantage des femmes, qu’elle prend fait et cause pour elles, que de leur côté, et de leur côté seul, se situent un espoir, une promesse de vraie famille, même sous la forme d’une meute, une tendresse et une attention qui font incroyablement défaut à l’espèce mâle ? Ce conflit ouvert, qui donne au film son poids de réalité et le limite cependant à une démonstration, le classe du même coup dans une sous-catégorie filmique dont « L’Ange de la vengeance » de Ferrara demeure un joyau : celui du viol et de la revanche. Et l’on se sent, sinon des envies de meurtre, du moins de châtiment, devant tant d’injustice, de violence privée et publique, devant cette humiliation généralisée. Puisque les hommes s’assimilent à des porcs, pires que des loups, il convient de les couper en deux, littéralement, ou de les éventrer pour leur arracher un cœur glacé donné en pâture à leurs propres filles aveugles (comme Tsui Hark offrait celui de ses cannibales en offrande au spectateur). Ce à quoi s’emploie vaillamment l’héroïne dans la dernière partie de son calvaire, ange exterminateur délivré du cellier où elle pendait, christ féminin objet de tous les désirs, de toutes les profanations, incarné comme un bloc d’énergie noire par la sculpturale Pollyanna McIntosh.
Face à la barbarie de celui qui prétend civiliser, connue depuis Lévi-Strauss, face à sa monstruosité tranquille, pitoyable, peinte avec une rigueur qui n’exclut pas des touches d’ironie (ah, ce doigt croqué, ah, cette réplique de la fille qui accueille son professeur en jupon venu à son secours, à quelques pas de sa mère tabassée, par un « Non, vraiment, ce n’est pas le moment »), on trouve de beaux portraits de femmes, une galerie de visages et de frémissements qui constituent la meilleure part de ce film presque trop partial, mais cohérent dans sa logique narrative et morale. Si l’on ne peut vraiment rien attendre des hommes que coups, blessures, esclavage et réification, alors, fondons, mes tendres amies, un univers débarrassé d’eux, de leur malheur, de cette peur qui les ronge, de ce vide qui en eux et dans l’anatomie féminine les terrifie, qu’ils cherchent à remplir désespérément, avec un pénis, un outil, le canon d’une arme.
La parabole féministe, dans sa maîtrise sèche mais prévisible, s’achève sur cette utopie à plusieurs générations, sur cette famille recomposée qui ressemble à un gynécée, sur cet adoubement animal de la nouvelle mère faisant lécher sa main sanglante à sa nouvelle progéniture, présente et à venir. L’amour n’advient qu’entre femmes, comme le signalait la scène coupée des deux enseignantes au lit, et comme le montrait l’épisode de McKee des « Maîtres de l’horreur ». La scène de viol, à l’opposé de ses illustres ancêtres, celles des « Oiseaux », des « Chiens de paille », du « Vieux fusil » et d’« Irréversible », excède le rapport hétérosexuel pour tisser un réseau de regards entre la reine des loups et d’autres femmes : la mère complice, qui périra pour cela (toujours impressionnante Angela Bettis, actrice rare et remarquable dans la lignée de Sheryl Lee), la fille qui la (et se) délivrera, l’enfant qui allume sa radio pour diluer sa tristesse (et vaut la présence de mauvaises chansons, qui hélas commentent autant qu’elles polluent).
Hors du saphisme, donc, point de salut ; hors du genre, point d’originalité ni de véritable émotion, au contraire du singulier et très émouvant « May », le premier essai du réalisateur. Reste un voyage immobile tout en fondus au noir dans la psyché masculine, où la femme éponyme ne peut finalement que suivre un destin de victime, d’amazone ou de mère.
Trouvé le DVD dans un vide grenier à côté de chez moi semaine dernière, je m’attendais déjà au vu du résumé au dos à l’éternel refrain « gentils sauvages contre méchante famille américaine ».
Ben j’y ai pas vu venir tient…
Alors oui c’est effectivement le cas si on veut résumer grossièrement le film, mais le traitement des personnages rend le tout bien moins manichéen que ce que je craignais. La femme en question, on la voit finalement peu, c’est plutôt le regard acide que porte McKee sur les classes moyennes ou aisées américaines qui en prend bien pour son grade tout au long du film qui prévaut ici. Le film est choc et met mal à l’aise, certes, mais moins à cause de débordements graphiques et gores (à part la fin, et encore, on a vu bien pire) que la critique de ces familles en apparence bien sous tous les angles et qui implosent dès qu’on gratte un peu le vernis apparent… Quelques regards appuyés, deux mots de travers à propos de la Femme qui ne plaisent pas au chef de famille, et le reste s’embrase….
Il faut souligner aussi le parti pris esthétique de filmer en pleine lumière (les scènes dans la remise mises à part, ainsi qu’un très beau prologue et une fin d’après générique surprenante) ainsi qu’un choix musical rock (pour moi le plus gros défaut défaut du film) ne collant pas avec l’ambiance, à part sur une scène bien dérangeante que je ne relèverais pas, et qui ne fait qu’encore plus renforcer le malaise…
Une très bonne surprise, je n’en attendais pas tant.