Film de Lucky McKee
10ème épisode de la saison 1 de l’anthologie Masters of Horror, produite par Mick Garris
Titre original : Sick Girl
Année de diffusion TV : 2005
Pays : États-Unis
Scénario : Sean Hood et Lucky McKee, d’après une histoire de Sean Hood
Photographie : Attila Szalay
Montage : Andrew Cohen
Musique : Ben Boyer, David Lopez, Jammes Luckett
Avec : Angela Bettis, Erin Brown, Jesse Hlubik, Marcia Bennett, Chandra Berg, Mike McKee
En tant que jeune espoir du cinéma d’horreur dans une série anthologique largement réalisée par des réalisateurs confirmés, Lucky McKee tire son épingle du jeu en signant l’un des meilleurs segments de Masters of Horror, avec comme points forts une histoire pleine de sens et, comme toujours chez le réalisateur de May, de beaux personnages féminins.
Synopsis du film
Ida Teeter ( Angela Bettis) est une entomologiste passionnée par les insectes. Elle possède de nombreux spécimens dans son propre appartement, ce qui complique d’ailleurs ses relations amoureuses (sa dernière petite amie l’a quittée pour cette raison).
Un jour, son collègue Max (Jesse Hlubik) la pousse à aborder une jolie inconnue répondant au nom de Misty Falls (Erin Brown). Une complicité et une attirance réciproques se développent très rapidement entre Ida et Misty.
Mais un drôle d’insecte expédié chez Ida par un inconnu, et ne ressemblant à rien de répertorié, risque bien de mettre son grain de sel dans cet amour naissant…
Critique de Liaison bestiale
Au début des années 2000, Lucky McKee, qui avait alors moins de trente ans, était considéré par certains connaisseurs du film de genre, à raison, comme l’un des jeunes auteurs les plus prometteurs en matière de cinéma horrifique. Il avait suffi d’un seul long métrage pour établir cette réputation discrète, mais flatteuse : May, sorti en 2002, portrait dérangeant d’une jeune femme solitaire et complexée incarnée, avec brio, par Angela Bettis (McKee avait tourné un autre film auparavant, All Chearleaders Die, avec son complice Chris Sivertson, mais ce film quasi amateur au micro budget est encore difficile à voir aujourd’hui ; c’est son remake, sorti en 2013, que la plupart des spectateurs ont pu voir).
À côté des autres réalisateurs ayant participé au projet Masters of Horror (des pointures pour la quasi totalité d’entre eux), McKee fait donc figure de jeune espoir méconnu du grand public, et c’est tout à l’honneur de Mick Garris de lui avoir ouvert cette porte, à une époque où McKee connaissait en outre des difficultés importantes avec The Woods (2006), son second long officiel
, dont la sortie a été assez chaotique. Garris a été récompensé pour son audace, Sick Girl (Liaison bestiale en français) étant l’un des meilleurs épisodes de la série d’anthologie ; à titre personnel, il s’agit d’ailleurs de mon favori.

Le scénario avait déjà été écrit (par Sean Hood) quand McKee a été sollicité ; il l’a choisi parmi d’autres propositions mais ce qui est intéressant, c’est qu’il l’a remanié. Initialement, le protagoniste était un homme, or McKee décida d’en faire une femme, afin de pouvoir retravailler avec Angela Bettis, qu’il considère comme une sorte d’alter ego. Ce changement de genre apporta une évolution majeure à l’histoire, puisqu’on passe d’une relation hétérosexuelle à une relation homosexuelle entre deux femmes. Cela aurait pu être un détail, au fond ; sauf que le scénario et les dialogues (eux aussi remaniés) abordent très clairement le thème de l’homophobie, qui devient même l’un des moteurs de la narration.

Les deux héroïnes campées par Bettis et Erin Brown sont en effet confrontées à l’hostilité d’une logeuse ouvertement homophobe, aux propos ultra violents, tandis qu’on apprend, vers la fin du film, que les raisons mêmes de l’envoi de l’insecte à Ida sont motivées par un sentiment homophobe. En d’autres termes, le rejet aveugle et stupide de l’amour entre deux personnes du même sexe est à la source de la violence qui survient dans cet épisode.
Dès lors, on peut considérer que la dimension horrifique du film s’incarne essentiellement dans les préjugés dont est victime le couple pourtant si attachant formé par les deux protagonistes (ce qui renvoie bien sûr à une triste réalité sociétale). Et là, on retrouve la patte McKee, dont le cinéma est souvent habité par des personnages féminins ciblés par différentes formes de violence morale et/ou physique (l’éprouvant The Woman, sur ce point, est particulièrement parlant).

Dans Sick Girl, le curieux insecte tropical, et la mutation qu’il provoque, peut donc être vu comme une métaphore, une réaction à une société qui considère l’homosexualité comme une anomalie, quelque chose de presque monstrueux. D’ailleurs, le titre original renvoie à un qualificatif (sick, littéralement malade
) souvent utilisé par les homophobes pour désigner les personnes homosexuelles.
Le rapport entre la transformation d’un corps et des normes sociales oppressantes figure également, à mon sens, dans un immense classique du cinéma fantastique, La Féline de Jacques Tourneur ; et la façon dont McKee explore cette idée dans Liaison bestiale est intelligente, sensible et jamais grossière (bien que ses films disent beaucoup de choses, McKee ne surligne jamais un message quelconque, privilégiant le récit et l’émotion à une approche didactique).

La réussite de Sick Girl tient aussi à de multiples autres facteurs, outre l’intelligence de son histoire. Face à une Angela Bettis souvent drôle en chercheuse geek, Erin Bown livre une composition qui brasse une large palette d’émotions (candeur ; innocence ; joie ; malice ; colère…). Il est franchement regrettable qu’on n’ait pas davantage sollicité son talent pour des films de cette qualité ; sa carrière est en effet, en bonne partie, constituée de films érotiques à petit budget, tournés sous le pseudonyme de Misty Mundae. Si ces films mettent en avant son charme évident, on ne peut pas dire qu’ils révèlent toute l’étendue de ses capacités en tant que comédienne. Notons toutefois qu’elle a joué, en dehors de Sick Girl, dans d’autres projets intéressants dont The Lost (produit par Lucky McKee, c’est d’ailleurs grâce à ce film qu’il a pensé à elle pour Liaison bestiale) et aussi dans l’amusant et très gore The Rage, de Robert Kurtzman.

Le tandem amoureux formé par les deux actrices principales est drôle, touchant, et contribue à donner au film des allures de comédie romantique, dont l’aspect horrifique ne se révèle que peu à peu.
Max, le collègue d’Ida, est campé par l’acteur Jesse Hlubik, un ami de McKee (le propre père de ce dernier, Mike McKee, tient un petit rôle), lequel convainc dans un rôle de gars un peu lourd et obsédé sexuel mais toutefois sympathique.

Ajoutons que les dialogues sont précis et contribuent habilement à caractériser chaque personnage, tandis que la photo est d’un meilleur cachet que sur un certain nombre d’épisodes de MOH. Enfin, on a même droit à une BO réussie, à laquelle auraient d’ailleurs contribué Erin Brown et le groupe de son compagnon, Homeward Band (sans être crédités au générique ; source : fiche dédiée à Erin Brown sur Wikipedia).
Finalement, la seule note un peu amère que l’on ressent en revoyant cet épisode est lié au fait que ni Lucky McKee (bien qu’il ait réalisé ensuite l’excellent The Woman), ni Angela Bettis, ni Erin Brown n’ont eu, ensuite, un parcours tout à fait à la mesure de leur grand talent.

Autres épisodes de Masters of Horror
L'horreur, dans Liaison bestiale (Sick Girl), réside surtout dans la violence des propos échangés et dans les préjugés homophobes dont sont victimes les deux héroïnes, préjugés étant à la source même de tous les problèmes qu'elles traversent. C'est toute l'intelligence de cet épisode qui se classe parmi les meilleurs de la série Masters of Horror, d'autant qu'il combine avec dextérité les registres de la comédie romantique et du film de genre. Cerise sur le gâteau, Angela Bettis et Erin Brown se montrent aussi talentueuses que lumineuses.
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