Film de Mike Flanagan
Pays : États-Unis
Année de sortie : 2019
Scénario : Mike Flanagan, d’après le roman Doctor Sleep de Stephen King
Photographie : Michael Fimognari
Montage : Mike Flanagan
Musique : The Newton Brothers
Avec : Ewan McGregor, Rebecca Ferguson, Kyliegh Curran, Cliff Curtis, Zahn McClarnon, Bruce Greenwood, Jocelin Donahue, Zackary Momoh
En portant à l’écran la suite de Shining, Mike Flanagan a de nouveau confirmé son savoir-faire en tant que scénariste, réalisateur et monteur. Cependant l’ensemble, agréable à suivre, manque un peu de force et de personnalité.
Synopsis du film
Danny Torrance (Ewan McGregor) a bien du mal à composer avec le souvenir traumatisant de son expérience au sein de l’Overlook Hotel, un établissement isolé où son propre père, devenu fou, a cherché à le tuer quand il n’était qu’un enfant. Reniant les dons psychiques qu’il avait découverts à cette occasion, Danny noie ses angoisses dans l’alcool et dans des relations éphémères.
Il finit par décider de s’inscrire aux alcooliques anonymes et de mener une vie tranquille dans une ville du New Hampshire. Mais des événements inquiétants vont rapidement le déranger dans sa retraite…
Critique de Doctor Sleep
En 2011, le cinéaste Mike Flanagan livrait avec Absentia, son premier long métrage (si l’on excepte trois films d’étudiant et un court réalisés entre 2000 et 2006), un film d’horreur fauché (70 000 dollars de budget) mais qui parvenait à se démarquer de beaucoup d’autres productions du genre. On y suivait deux sœurs confrontées à la disparition du mari de l’aînée, et à une sorte d’entité vaguement lovecraftienne hantant un tunnel situé à proximité de leur domicile. La relation (bien dépeinte) entre les protagonistes, et la façon dont les éléments purement horrifiques du récit faisaient écho à leurs problématiques intimes, indiquaient la naissance d’un auteur talentueux.
Depuis, Flanagan a beaucoup tourné (y compris pour la télévision, en témoigne la série Netflix à succès The Haunting, louée par la critique). Ses longs métrages successifs, plus ou moins réussis, ont la plupart du temps confirmé ses talents de metteur en scène, bien qu’ils soient en partie dénués de ce qui faisait la force, peut-être bancale mais intéressante, d’Absentia. Nous verrons que le film dont il est question ici n’échappe pas totalement à ce constat.
Doctor Sleep est, ceci dit, très probablement son meilleur long métrage depuis 2016. Il s’agit de l’adaptation du roman éponyme de Stephen King paru en 2013, et qui se présente comme une suite du célèbre Shining (1977) dont la version cinématographique, réalisée par Stanley Kubrick, a fait date dans l’histoire du cinéma d’épouvante.
Flanagan, qui s’était déjà attaqué à un roman de King avec Gerald’s Game (2017), s’est de toute évidence fortement investi dans le projet. Il en a écrit seul le scénario, et celui-ci est en grande partie une réussite : le film prend le temps d’installer l’histoire ; d’exposer les différents personnages ; et se préoccupe davantage de faire progresser le récit que d’enchaîner les jump scare et autres facilités récurrentes dans le genre. Par ailleurs la construction est solide, et le mérite lui en revient d’autant plus que comme à son habitude, Flanagan s’est également occupé du montage.
De l’aveu même de l’auteur, l’histoire de Doctor Sleep explore des thématiques qui lui sont chères : le traumatisme enfantin, la manière dont on se construit avec l’addiction (thème qui reste ici effleuré et vite expédié) mais aussi la notion de norme, les personnages de Dan Torrance et d’Abra Stone devant composer avec leurs différences, leurs singularités au sein d’une société obsédée par la normalité. Le sujet de la transmission, entre un père et son fils mais aussi de manière plus large (voir le rapport entre Abra et Danny), est également au cœur du récit. Au niveau de la réalisation, Flanagan a eu l’intelligence de ne pas chercher à imiter Kubrick (bien qu’il ait dû reproduire certaines séquences de Shining, essentiellement pour les besoins de l’histoire), livrant un travail de très bonne facture.
Enfin, le casting est un sans fautes : Ewan McGregor, Rebecca Ferguson, Cliff Curtis, Zahn McClarnon et la jeune Kyliegh Curran sont irréprochables. On retrouve même avec plaisir, bien que dans un rôle secondaire, Jocelin Donahue qui, il y a de cela dix ans (déjà !), tournait sous la direction de Ti West dans l’inquiétant The House of the Devil. Tous ces comédiens donnent corps à des personnages plutôt bien caractérisés, voire franchement attachants, et on reconnaît ici l’empathie et la sensibilité de Flanagan, conjuguée, en l’occurrence, à celle de King.
Toutes ces qualités font que Doctor Sleep se suit avec plaisir et sans ennui malgré sa longueur relative (2h30) ; même si la fin, en se rapprochant trop (mais c’est probablement une contrainte imposée par le roman de King) de l’univers de Shining, tend à lui faire perdre de sa personnalité – laquelle était déjà, il faut l’admettre, un peu timide.
Car il y a, en effet, un problème de taille : Doctor Sleep est un film qui s’oublie vite. Il est solidement mené, mais il y manque quelque chose qui subsisterait, après la séance, dans l’esprit du spectateur. Bien que sans doute d’une moindre tenue formelle, Absentia possédait ce quelque chose.
Peut-être que coincé entre Stephen King et Stanley Kubrick (le premier n’ayant jamais partagé la vision du second, d’ailleurs), Flanagan a certes soigné sa copie mais oublié de s’exprimer lui-même, quitte à trahir l’un des deux hommes précités – voire les deux d’ailleurs. Comme quoi, quand il s’agit d’adapter le travail d’un autre, il faut peut-être apprendre à ne pas le respecter totalement ou en tout cas, à ne pas lui être scrupuleusement fidèle. Kubrick n’avait pas hésité à tordre le travail de l’écrivain américain ; Flanagan aurait peut-être gagné, lui aussi, à affirmer davantage sa propre voie, quitte à en mécontenter certains.
Doctor Sleep est un film d'épouvante soigné dans son écriture et sa réalisation mais dont l'auteur, bien que talentueux, ne parvient pas à imprimer suffisamment sa marque, comme si les ombres de Stephen King et de Kubrick avaient trop plané sur son travail. Le résultat, s'il est efficace et divertissant (et c'est déjà ça !), ne laisse pas d'empreinte durable dans la mémoire du spectateur. On ne déconseillera pas, pour autant, la vision de cet honnête film d'épouvante.
Aucun commentaire