Voici une sélection de dix films fantastique réalisés au cours de la décennie 2010 à revoir ou à découvrir.
À propos du cinéma fantastique
Le cinéma fantastique effleure, au fond, de nombreux genres cinématographiques. Un drame, une comédie, un thriller, un film policier, un film de guerre peut intégrer des éléments fantastique. Un film d’horreur également – ces deux genres se côtoient d’ailleurs fréquemment.
Contrairement à la fantasy par exemple, avec lequel il est souvent (à tort) mélangé (par exemple dans les rayons de nombreuses librairies), le fantastique n’implique pas la présence d’un univers entièrement ou très majoritairement irréel et imaginaire ; mais plutôt d’un vertige, d’une part d’étrange, voire de surnaturel, intégrés à un environnement réaliste. Cet environnement, ce contexte pouvant donc, au cinéma, reprendre les codes propres à différents registres.
Cette diversité rend le cinéma fantastique plus riche et passionnant que ce que pourrait laisser croire le programme de la majorité des salles de cinéma en France. D’ailleurs, certains des films cités ci-dessous n’ont soit pas été distribués, soit d’une manière qui a considérablement réduit leurs chances de trouver leur public.
On saluera à ce sujet le travail des festivals (tels que le PIFFF ou le FEFFS), qui s’efforcent de montrer un plus large spectre du cinéma de genre dans le monde. N’oubliez pas de les fréquenter, si vous en avez l’occasion : vous y verrez parfois des films précieux, totalement ignorés par les distributeurs.
J’espère que la liste qui suit, évidemment subjective et discutable, rend compte à son humble niveau de cette diversité, et surtout qu’elle vous donnera des idées de films à découvrir. On y retrouve, parfois, des motifs communs : la perte d’un être cher, ou encore l’univers du rêve et sa frontière souvent poreuse avec la réalité ; d’où le choix, d’ailleurs, de l’image mise en exergue (issue du 6ème film de la liste), montrant une femme en train de dormir. Certains films ont une portée sociale, d’autre purement intime. Tous portent la vision d’un auteur et laissent, me semble-t-il, de l’espace au spectateur, pour qu’il puisse s’approprier le récit, le ressentir et l’interpréter à sa façon.
Note : certains films fantastique comportant une dimension horrifique très marquée ont été mis de côté et figureront dans une sélection dédiée au cinéma d’horreur. De même, tout ce qui relève de la fantasy a été écarté, pour les raisons expliquées ci-dessus.
Cinéma fantastique : le meilleur des années 2010
Personal Shopper, d’Olivier Assayas
Récompensé par le prix de la mise en scène au festival de Cannes 2016, Personal Shopper mêle brillamment les registres du drame, du thriller et du fantastique. La quête intime de la jeune médium incarnée par Kristen Stewart, qu’Assayas avait déjà dirigée dans Sils Maria, est le moteur principal d’un scénario où la question du surnaturel est mise en perspective avec la thématique du deuil, mais aussi de la création artistique (voir les références à la peintre Hilma af Klimt).
Pas de réponses fermes données ici, mais des questionnements finement articulés par un récit troublant, qui laisse une large place à l’invisible et à l’entre-deux ; donc, à l’imagination et à la sensibilité du spectateur.
Lire la critique de Personal Shopper
The Endless, de Justin Benson et Aaron Moorhead
Avec Resolution et Spring, Justin Benson et Aaron Moorhead avaient proposé un cinéma fantastique original, bien écrit, avec (très) peu de moyens mais de beaux enjeux dramatiques et des duos de personnages consistants. Leur troisième long, The Endless, confirma leur talent et aussi la cohérence de leur travail, le film comportant des similarités évidentes avec les précédents et établissant même une connexion directe avec Resolution.
Si certains ont cité l’influence de Lovecraft alors que de leur propre aveu, ils connaissaient mal cet auteur au moment de tourner leur premier film (bien qu’ils l’aient ensuite beaucoup lu, justement du fait des parallèles établis par la presse et une partie du public), The Endless s’intéresse beaucoup plus aux sentiments des personnages et à leurs relations que l’illustre écrivain de Providence avait coutume de le faire dans ses brillants écrits. On a même l’impression que les éléments surnaturels sont surtout présents pour exprimer les dilemmes intérieurs des personnages voire, aussi, pour développer une réflexion sur le cinéma et la création (les héros de Resolution cherchent à fuir un futur prédit par des bandes vidéo ; ceux de The Endless sont confrontés à une boucle temporelle entêtante, un peu comme un film qui se répète).
D’une certaine façon, la démarche créative des auteurs trouve une sorte d’écho fantastique dans leurs récits. Il en découle une approche très personnelle du genre, qui ne laisse jamais le spectateur sur le bord de la route : The Endless, comme Resolution et Spring, se suit avec beaucoup de plaisir.
Lire la critique de The Endless
Colossal, de Nacho Vigalondo
Sorti directement en VOD en dépit de qualités cinématographiques qui justifiaient largement que le film soit découvert sur grand écran, Colossal s’inscrit dans le sillage d’Extraterrestre, du même Nacho Vigalondo, en ce sens qu’il utilise des ingrédients de science-fiction pour mieux les détourner et les mettre au service d’enjeux narratifs inattendus.
Le film commence comme une comédie avant de s’affirmer comme un hybride improbable de kaijū movie et de parabole sur les relations violentes et abusives dont sont victimes en particulier les femmes. L’ensemble est à la fois intelligent, drôle, divertissant et surprenant. Anne Hathaway nous attache immédiatement à son personnage et en prime, on entend la jolie chanson Shake Sugaree, interprétée par la légendaire blueswoman Elizabeth Cotten et sa nièce Brenda Evans (au chant).
Gutland, de Govinda Van Maele
D’accord, Gutland n’est pas à proprement parler un film fantastique mais c’est là où apparaît, justement, toute la subtilité du genre : par son atmosphère, son climat étrange, le premier long de Govinda Van Maele est selon moi bien assimilable au cinéma fantastique.
Le film eut droit à un bref séjour dans une poignée de salles françaises. Pourtant, c’est une variation admirable sur le thème de l’intrus, du nouveau venu qui débarque dans un environnement inconnu. Van Maele joue la carte du mystère sur les deux tableaux : on connaît mal le passif du protagoniste, ainsi que la culture et les intentions de ceux qui l’accueillent. Il en résulte une tension sourde, des questionnements insatisfaits qui maintiennent le spectateur dans une perplexité constante, mais tellement stimulante.
Tout cela ne va pas nulle part : à sa manière, Gutland est une fable sur le thème de l’assimilation culturelle, d’autant plus troublante qu’elle n’émet pas de jugement explicite. En plus, le réalisateur luxembourgeois s’est alloué les services d’un excellent musicien français pour la bande originale (remarquable) du film : il s’agit de Mocke (Dominique Dépret), moitié du groupe Holden, membre de ARLT et auteur de deux brillants albums solo (le thème Bol, utilisé dans Gutland, provient d’ailleurs de son premier disque, L’Anguille).
They Look Like People, de Perry Blackshear
Voilà un film passé largement inaperçu, défendu par plusieurs festivals de genre (Slamdance, FrighFest) mais boudé par la grande majorité des distributeurs. Il s’agit pourtant d’une œuvre personnelle, sincère, intimiste, qui explore les délires paranoïaques et schizophréniques d’un homme prénommé Wyatt (MacLeod Andrews) avec beaucoup de sobriété et d’empathie.
They Look Like People est aussi inquiétant que touchant, l’amitié entre les deux personnages principaux (qui, chacun pour des raisons différentes, sont bien seuls) sonnant particulièrement juste, ce qui n’est pas étonnant quand on se penche sur les sources d’inspiration de Perry BlackShear (l’expérience d’un proche).
Le scénario réserve des moments pesants, d’autres plus lumineux, d’où un équilibre délicat et précieux. Comme dans Travailler fatigue, le monde du travail (de l’entreprise en particulier) en prend pour son grade. Depuis, BlackShear a signé The Rusalka, qui semble malheureusement tout aussi difficile à voir, mais que le Festival européen du film fantastique de Strasbourg a eu le bon goût de programmer.
Lire la critique de They Look Like People
Valley of Love, de Guillaume Nicloux
On retrouve dans Valley of Love la thématique du deuil présente dans Personal Shopper, mais le film de Guillaume Nicloux (qui est en partie lié à la perte de son père, survenue quelques années avant le début du tournage) ne ressemble qu’à lui-même. Le réalisateur d’Une Affaire privée brouille les pistes entre fiction et réalité (comme il le fera plus tard avec Thalasso) en donnant aux deux personnages principaux le même prénom que celui de leurs interprètes (Isabelle Huppert et Gérard Depardieu), qui trimbalent donc dans la vallée de la Mort une partie de leur légende cinématographique (on pense évidemment au Loulou de Maurice Pialat) sans que jamais cela n’écrase les enjeux propres au film.
Au contraire : ces jeux de perspective, cette ambiguïté servent l’histoire et la démarche très personnelle d’un réalisateur qui aime les zones troubles, ces moments de flottement pareils à ceux où l’on émerge à peine du sommeil, et que l’on n’est pas tout à fait sûr d’être réveillé. Un film, après tout, est un rêve, mais un rêve structuré. Valley of Love reflète particulièrement cette approche du cinéma.
Lire la critique de Valley of Love
Twixt, de Francis Ford Coppola
Twixt comporte des aspects gothiques et de la violence graphique (toutes proportions gardées) qui le rapprochent du film d’horreur, mais sa tonalité douce-amère, voire mélancolique, fait que je l’associe davantage au genre fantastique.
Le dernier long métrage de Francis Ford Coppola à ce jour constitue même un hommage au genre, qui convoque de prestigieuses figures littéraires dont Edgar Allan Poe (présent dans le film !), Charles Baudelaire (traducteur de Poe, d’ailleurs) ou encore Nathaniel Hawthorne.
À travers le parcours du protagoniste, un modeste auteur de romans horrifiques, Coppola exprime un amour de la création artistique totalement dénué d’élitisme, son affection pour le sympathique loser incarné par Val Kilmer étant palpable dans chaque plan du film.
Imprégné d’une atmosphère onirique (l’idée du film est d’ailleurs né d’un rêve), Twixt est un long métrage intime et personnel, puisqu’il aborde non seulement les références esthétiques du réalisateur mais également une page douloureuse de sa biographie (et on retrouve à cette occasion, une nouvelle fois, la thématique du deuil). L’une des œuvres les plus attachantes et délicates de l’auteur de Rumble Fish, et aussi l’une de ses plus sous-estimées.
Travailler fatigue, de Juliana Rojas et Marco Dutra
J’aurais pu sélectionner Les Bonnes manières, brillant second long métrage du tandem brésilien Juliana Rojas/Marco Dutra, plus connu et plus abouti (aussi bien au niveau formel qu’en termes de récit) que leur premier film. Mais Travailler fatigue témoigne tout autant de leur approche créative et singulière du fantastique, ainsi que de leur sens de l’atmosphère et de la narration. Ici, le surnaturel surgit par petites touches, au sein d’un récit profondément ancré dans une réalité sociale et économique guère réjouissante.
Comme son titre le suggère, Travailler fatigue nous décrit en effet un monde du travail âpre, au sein duquel l’individu perd de sa vitalité, de son humanité même (comme l’illustre la dernière séquence). Les aspects fantastique de l’histoire sont la métaphore de ce constat. On se situe donc dans un fantastique social somme toute rarement exploré au cinéma.
Lire la critique de Trabalhar Cansa (Travailler fatigue)
Ni le ciel ni la terre, de Clément Cogitore
Clément Cogitore a été plutôt audacieux pour un premier long, en abordant deux genres peu courants dans le cinéma hexagonal : le film de guerre et le film fantastique.
Ni le ciel ni la terre reprend un principe récurrent du genre fantastique : proposer, au moins au début, une peinture crédible et réaliste des événements qu’on nous donne à voir, puis y insérer, progressivement, des touches d’étrange qui vont, par effet de contraste, exercer une plus grande fascination sur l’esprit du spectateur.
Le film nous plonge ainsi dans le quotidien de troupes françaises en Afghanistan, et on s’y croirait : c’est sobre, bien filmé, bien incarné aussi, par Jérémie Renier, Kévin Azaïs ou encore Swann Arlaud, qu’on a souvent revu depuis. Puis des disparitions énigmatiques surviennent, et le film prend une tournure étrange, presque métaphysique. Les soldats semblent évoluer dans la peur constante d’être happé par le vide, par l’absurde, par le néant même. Cogitore maîtrise son récit – et sa mise en scène – jusqu’au bout, évitant au film de basculer dans l’inconsistance ou une trop grande abstraction.
Lire la critique de Ni le ciel ni la terre
La Neuvième vie de Louis Drax, d’Alexandre Aja
Basé sur le roman éponyme de la romancière britannique Liz Jensen, La Neuvième vie de Louis Drax propose un récit étonnant, centré autour d’un drôle de petit garçon (le fameux Louis Drax). Le merveilleux et l’imaginaire de l’enfance y côtoient des aspects plus sombres et tourmentés de l’existence, un peu comme dans Le Labyrinthe de Pan.
Alexandre Aja, dont la filmographie est intéressante mais inégale, signe une réalisation aussi inventive que l’histoire, et maintient jusqu’au bout l’équilibre complexe de ce joli film initiatique mêlant les registres du thriller et du conte fantastique, et dont chaque personnage est consistant. Encore un film injustement boudé et ignoré, alors que c’est probablement le meilleur, à ce jour, du réalisateur de Haute tension et de Piranha 3D.
2 commentaires
pourquoi aimez vous les films fantastiques ou de terreur ?moi ils m’ennuient .
Ils vous ennuient tous ? C’est un genre vraiment varié. Dans cette liste, il y a beaucoup de sujets, de styles différents, et pour la plupart ce ne sont pas des films violents ou terrifiants. Peut-être que certains d’entre eux vous plairaient !