Film de Govinda Van Maele
Année de sortie : 2017
Pays : Luxembourg
Scénario : Govinda Van Maele
Photographie : Narayan Van Maele
Montage : Stefan Stabenow
Musique : Mocke
Avec : Frederick Lau, Vicky Krieps, Pit Bukowski, Marco Lorenzini, Martine Kohn, Marcel Heintz
Avec Gutland, son tout premier film, Govinda Van Maele livre un conte singulier et inquiétant sur le thème de l’assimilation sociale.
Synopsis du film
Jens Fauser (Frederick Lau), un vagabond d’origine allemande, arrive un jour dans une zone rurale du Luxembourg afin d’y trouver un emploi saisonnier. Après une première tentative infructueuse, il est finalement embauché comme valet de ferme, et son employeur lui fournit une caravane pour dormir. Parallèlement, Jens entame une liaison avec Lucy Loschetter (Vicky Krieps), une fille du village.
Peu à peu, Jens a le sentiment que quelque chose de mystérieux plane autour de lui, dans cet environnement qu’il ne connaît pas…
Critique de Gutland
Govinda Van Maele est un réalisateur luxembourgeois ayant des origines sri-lankaises et belges. Si cette précision biographique peut sembler superflue, il est en l’occurrence possible qu’elle ne soit pas totalement sans rapport avec le choix du sujet de Gutland (nom qui désigne la région comprenant le centre et le sud du Grand-Duché de Luxembourg) ; même si de l’aveu du cinéaste, c’est principalement un voyage en Amérique du sud qui lui a en a inspiré la trame.
Le film met en scène une situation relativement classique au cinéma comme en littérature : un « étranger » (Jens Fauser, interprété par Frederick Lau) se retrouve au sein d’un environnement qui lui est inconnu, au milieu d’individus formant un groupe social homogène dont il est, de prime abord, plus ou moins exclu (d’où l’hypothétique rapport avec l’expérience personnelle de l’auteur). On pourrait citer de nombreux films reposant sur un canevas similaire : Witness de Peter Weir ; Le Locataire de Roman Polanski ; The Wicker Man de Robin Hardy ; etc.
Comme les films précités, Gutland construit un sentiment de tension à partir de l’ambiguïté relative à cette situation de base (qui est Jean Fauser ? que lui veulent vraiment les locaux ? cet environnement est-il hostile ou potentiellement accueillant ? à quel prix ?), et des incompréhensions et différences culturelles que celle-ci révèle (et exacerbe). A partir de cette matière dramatiquement riche, Govinda Van Maele instille une atmosphère inquiétante et mystérieuse, qui place fréquemment Gutland à la lisière du cinéma fantastique. Il joue sur les silences, les non-dits, le hors-champ et la suggestion, tout en utilisant intelligemment les paysages ruraux qui servent de cadre à l’histoire (avec la collaboration de son frère Narayan Van Maele, chef opérateur sur Gutland), tandis que la partition intrigante de l’excellent musicien français Mocke (ex-membre du groupe Holden, aujourd’hui en solo) contribue au climat étrange du film.
Le récit illustre peu à peu, à sa façon, un processus déroutant d’assimilation sociale, en décrivant minutieusement comment Jens s’intègre à son nouvel environnement et comment il renonce, ce faisant, à une partie de son identité. Govinda Van Maele rend compte de ce phénomène troublant sans émettre de jugement explicite : au spectateur de composer avec un récit moralement ambigu, mais remarquablement bien construit et conclu par ce jeune réalisateur, dont on espère qu’il aura rapidement l’occasion de nous surprendre – et de nous interroger – à nouveau.
Bande-annonce
Extrait de la musique du film
C’est le guitariste et compositeur français Mocke (Dominique Dépret) qui a signé la musique originale, très réussie, de Gutland. Le style et l’atmosphère sont proches de ce que l’on peut entendre sur ses deux (excellents) albums d’instrumentaux, L’Anguille et St-Homard. D’ailleurs, outre les morceaux écrits spécialement pour le film, Govinda Van Maele utilise (dans la dernière séquence) un thème présent sur L’Anguille, intitulé Bol :
Gutland vacille délicatement entre différents registres (film noir ; conte fantastique ; chronique sociale...) pour décrire la manière dont un individu trouve peu à peu sa place au sein d'un groupe social donné. Le résultat déroute, inquiète, questionne même - ce qui est souvent bon signe au cinéma. Côté casting, on soulignera notamment le talent de Frederick Lau (vu dans La Vague, La Comtesse et Victoria) et celui de Vicky Krieps, qui a brillamment donné la réplique à Daniel Day Lewis dans Phantom Thread (2017).
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