Film de Roman Polanski
Année de sortie : 1988
Pays : États-Unis
Scénario : Roman Polanski et Gérard Brach
Montage : Sam O’Steen
Photographie : Witold Sobocinski
Musique : Ennio Morricone
Avec : Harrison Ford, Emmanuelle Seigner, Betty Buckley, Yves Régnier, Gérard Klein.
Sondra Walker (dans un taxi sur le périphérique parisien) : Do you know where we are ?
Richard Walker : No. It’s changed too much.
Avec Frantic, Roman Polanski décrit intelligemment les difficultés d’un homme ordinaire plongé dans un environnement qui lui est inconnu.
Synopsis de Frantic
Le Dr Richard Walker (Harrison Ford) et sa femme Sondra (Betty Buckley) reviennent à Paris pour la première fois depuis leur lune de miel, à l’occasion d’un colloque. Après une sieste dans la chambre de l’hôtel où le couple est descendu quelques heures plus tôt, Walker constate la disparition de sa femme. Réalisant qu’il ne peut compter ni sur l’ambassade américaine ni sur la police française, le docteur est contraint de mener sa propre enquête – tant bien que mal…
Critique du film
It’s changed too much…
Dernière collaboration à ce jour entre Roman Polanski et le scénariste français Gérard Brach (les deux hommes ayant écrit ensemble Répulsion, Cul de Sac, Le Bal des Vampires, Le Locataire, Tess et Pirates), Frantic est la deuxième incursion du réalisateur dans le genre policier. Près de quinze ans auparavant, il avait rendu un hommage brillant et original au film noir avec Chinatown ; ici, si hommage il y a, c’est davantage du côté d’Hitchcock qu’il faut se tourner. On retrouve en effet une situation que le maître du suspense appréciait : un personnage confronté à des événements qui le dépassent.
Souvent considéré comme un Polanski plutôt mineur, Frantic possède néanmoins des qualités qui l’élève au-dessus du thriller un peu banal et, c’est vrai, assez peu spectaculaire (mais plus de spectacle aurait contredit, à mon sens, l’objectif du film) auquel certains ont tendance à le réduire.
Pour apprécier pleinement le film, il faut sans doute chercher son intérêt ailleurs que dans l’intrigue (parfois un peu tirée par les cheveux) imaginée par Polanski et Gérard Brach, et considérer davantage la manière très habile et très juste avec laquelle le metteur en scène décrit le parcours tortueux d’un homme devant résoudre une situation à laquelle il n’est absolument pas préparé, au sein d’un environnement qu’il ne connait pas. Les deux premières répliques du film sont d’ailleurs très significatives : Do you know where we are
, demande Sondra quand le couple arrive en taxi aux abords de la ville, ce à quoi Walker répond : No, it’s changed too much
. Dès le début, Walker ne sait donc pas où il est, il est perdu, et c’est ce rapport (déstabilisant) entre le personnage et son environnement qui intéresse particulièrement Polanski. Rien d’étonnant à cela d’ailleurs : ce rapport est au cœur de bien de ses films, du Locataire à The Ghost Writer.
Durant la première heure du film – très immersive, et qui constitue la meilleure partie de Frantic -, le docteur Walker (Harrison Ford) évolue dans un univers obscur (un Paris nocturne peuplé de personnages plutôt louches), mène tant bien que mal une enquête chaotique et se retrouve le plus souvent en situation de faiblesse. Pour lui, tout est difficile, pénible, et le jeu de Ford comme la mise en scène de Polanski l’illustrent très bien.
Cet aspect fondamental de l’histoire ressort dans toutes les séquences du film, y compris celle où Walker tente de pénétrer dans l’appartement de Michelle (Emmanuelle Seigner) – une jeune parisienne qu’il rencontre au cours de ses recherches – en passant par les toits. L’entreprise, que bien des héros de cinéma réussissent sans trembler, est ici montrée dans toute sa difficulté ; les mouvements de Walker sont hésitants, laborieux, comme le seraient ceux de n’importe quel individu lambda en pareille situation.
Même lorsque Walker semble reprendre le dessus en jouant les durs devant un « professionnel », Polanski s’amuse à renverser totalement le cours de la situation, et le malheureux docteur finit par encaisser un mémorable coup de pied dans la tête. Si la scène prête à sourire, elle est surtout crédible et sert le propos du film.
Un rapport anxiogène entre un personnage et son environnement : une thématique phare du cinéma de Polanski
Le duo composé par Walker et Michelle est également intéressant ; autant Walker n’est pas du tout à sa place dans les bars et les boites de nuit qu’il est amené à fréquenter, autant Michelle connait parfaitement cet environnement. On est donc loin d’un schéma stéréotypé dans lequel le personnage masculin domine la situation ; dans Frantic, c’est le plus souvent l’inverse (en témoigne par exemple la scène où ils dansent tous les deux sur la chanson I’ve Seen That Face Before).
Si Frantic ne s’élève pas à la hauteur des meilleurs films de Polanski, il montre intelligemment la plongée vertigineuse d’un homme ordinaire dans un environnement qu’il ne maîtrise pas, et sa difficulté à communiquer avec son entourage (Walker ne parle pas français). En cela, Frantic explore donc une thématique chère à Polanski : la relation, souvent compliquée et anxiogène, entre un personnage et le monde qui l’entoure.
Le casting et la BO
Le choix d’Harrison Ford pour le rôle principal est doublement judicieux ; d’abord, le jeu de l’acteur est excellent (il exprime très bien les doutes et l’anxiété d’un homme déterminé mais complètement perdu) ; ensuite, il s’agit là d’un contre-emploi intéressant pour l’interprète de Han Solo et d’Indiana Jones – même si Ford avait déjà à l’époque exploré des registres complexes et nuancés (il suffit de le voir en idéaliste borderline dans Mosquito Coast ou encore en flic blasé porté sur le whisky dans Blade Runner pour s’en convaincre).
Frantic a offert son premier rôle important à Emmanuelle Seigner, qui avait tourné auparavant avec Christopher Franck (dans L’Année des Méduses), Jean-Luc Godard (dans Détective) et Pierre Granier-Deferre (dans Cours Privé). Son duo avec Harrison Ford fonctionne parfaitement. On retrouve également des acteurs français qui plus tard feront surtout carrière à la télévision : Yves Rénier, dans le rôle d’un commissaire de police, et Gérard Klein, qui interprète l’un des membres du personnel de l’hôtel où descendent Walker et sa femme au début du film. Dominique Pinon, futur acteur fétiche de Jean-Pierre Jeunet, joue un clochard dans la brasserie où Walker se rend pour poser des questions à propos de Sondra, peu de temps après sa disparition.
Côté musique, Ennio Morricone signe à nouveau une B.O qui colle parfaitement à l’atmosphère du film. On entend aussi fréquemment une chanson entêtante de Grace Jones, I’ve Seen That Face Before, notamment dans la scène de la boite de nuit au cours de laquelle Walker est clairement déstabilisé par la danse suggestive de Michelle. Le choix de cette chanson n’est sans doute pas anodin, le texte faisant référence à un Paris nocturne et plutôt inquiétant, comme celui dans lequel évolue le personnage principal de Frantic.
Extrait de la musique de Frantic
Le générique de Frantic, avec la musique d’Ennio Morricone :
Bien qu'ayant un aspect Hitchcockien, Frantic est typique du cinéma de son auteur, notamment dans sa manière de mettre en scène un personnage confronté à un environnement oppressant. Ce sont les réactions, très humaines et crédibles, de cet américain ordinaire plongé dans le Paris des années 80 qui font le principal intérêt de ce film sous-estimé, servi par la musique inspirée d'Ennio Morricone et la composition très juste d'Harrison Ford.
2 commentaires
Précédant de deux ans la caravane de thrillers paranoïaques souvent surcalibrés que s’enverra le père Ford durant les nineties, Frantic est en outre l’occasion pour la paire Brach-Polanski de s’adonner à une révérence à peine déguisée aux grandes contributions du gros Zhitchcock. Nimbé de vertige, saupoudré d’homme en sachant trop et faisant -évidemment !- femme disparaître, le script des deux gaillards lorgne ainsi à n’en plus finir vers les jamestewarteries les plus anxiogènes et les plus fétichistes, faisant de la sorte de Paris et ses ponts un autre San Francisco (d’où vient d’ailleurs le Dr Walker, ça alors ?!). La ville est en effet, à l’instar du Grand Hôtel, un personnage à part entière et peu de parisiens la reconnaîtront malgré ses monuments, tant elle est anglophonisée et revisitée à la sauce mystère. Gentiment interlope (on se croirait parfois dans Le Marginal !), froidement indifférente, le film ne retient de la capitale noctambule que ses petits matins hagards où les éboueurs sont rois, ramassant les déchets d’existence solitaires et anonymes, et une poignée de clichés à la dent dure… : on attendait de Roman un œil un peu plus frais sur le sujet mais on imagine que les conventions de la vente à l’internationale impliquait son quota de poncifs identificateurs et rassurants…
En pleine traversée du désert (à l’image du mégabide Pirates, les années 80 (et même au-delà !) n’auront pas été clémente avec le trublion polonais), Polanski avec Brach (alors en pleine période agoraphobe, authentique carburant de ses scénarios pour Roman (Repulsion, Cul-de-Sac, Le Locataire,… aux espaces sources des plus hautes angoisses) trouve, au-delà de la machinationnerie hitchcocko-doneniene, une tonalité propre aux films noirs à la française hautement infusés de lettres amerloques (on pense aux adaptations de Goodis par exemple, faites par Truffaut, Béhat zou Beineix mais aussi à quelques polars massifs de Jacques Deray ou Claude Pinoteau avec Lino Ventura), souvent amenée par les seconds rôles, les petites frappes ambiantes, les portes-flingues atypiques, les énergumènes un peu barges… la faune en somme qui peuple un univers discrètement décalé. Ici Pinon, Floersheim (régulièrement vus d’ailleurs chez les réals 80’s cités plus haut) et une poignée d’autres distillent allègrement cette ambiance particulière, dosant absurde et angoisse.
Le film ne s’élève cependant pas bien longtemps à la hauteur de ses ambitions suffisamment longtemps (on dit le premier montage plus long d’un quart d’heure et jouissant d’une autre fin) et s’avère loin d’honorer la promesse de son titre (Frénétique)*) et passé le petit jeu des comparaisons cinéphiles, la machine piétine méchamment à mi-chemin, ne sursautant qu’à l’occasion d ‘éparses séquences « d’action » à l’efficacité toutefois un peu vaine (la séquence du toit, celle du parking Beaubourg), faute de liant et d’égal niveau. Impression que ne permet pas d’oublier la fâcheuse partoche d’un Morricone en pleine phase Royal Canin, ni la douteuse performance d’Emmanuelle Seigner, ne valant pas plus qu’une Anne Parillaud ou une Fanny Bastien… loin de Kim Novak ou Audrey Hepburn** en somme.
*Harrison Ford agacera Polanski en suggérant ironiquement
qu’un plus humble Moderately Disturbed aurait suffi…
** Enfin ça vaut toujours (un tout petit peu) mieux
que Blossom dans la calamiteuse Vérité sur Charlie..
Merci pour le commentaire! je suis d’accord que le film s’essouffle vers la fin, par contre perso j’aime beaucoup la scène du toit. je la trouve super bien filmée et très représentative de l’histoire du film.
quant à la vision un peu étrange de paris… je pense que Polanski filme la ville telle que Walker la voit, or Walker est totalement pommé pendant tout le film, je trouve donc que c’est cohérent.