Film de Guillaume Nicloux
Pays : France
Année de sortie : 2019
Scénario : Guillaume Nicloux
Photographie : Christophe Offenstein
Montage : Guy Lecorne
Musique : Julien Doré
Avec : Michel Houellebecq, Gérard Depardieu, Maxime Lefrançois, Mathieu Nicourt, Daria Panchenko, Luc Schwarz, Souvenance Pétré
La rencontre cinématographique entre Michel Houellebecq et Gérard Depardieu devant la caméra de Guillaume Nicloux est surtout une manière, pour le réalisateur d’Une Affaire privée, de brouiller les pistes entre réalité et fiction, et de continuer à creuser ses thèmes de prédilection tels que la solitude, la vieillesse et le deuil.
Synopsis du film
L’écrivain Michel Houellebecq décide, fortement encouragé par son épouse Qianyum Lysis, de suivre une cure dans un centre thalasso à Cabourg. Les soins quotidiens mais surtout un régime alimentaire strict et la privation d’alcool plongent l’auteur des Particules élémentaires dans un état croissant de frustration et de dépit.
Fort heureusement, il croise Gérard Depardieu en sortant fumer une cigarette ; le célèbre comédien séjourne effectivement dans le même centre. Les deux hommes prennent alors l’habitude de se retrouver autour d’une bouteille de vin dans la chambre de Depardieu, où ils discutent de choses et d’autres.
Des événements étranges, impliquant entre autres un curieux sosie de Sylvester Stallone, vont peu à peu donner à leur séjour une dimension singulière…
Critique de Thalasso
Mettez Michel Houellebecq et Gérard Depardieu dans un centre de thalassothérapie, agitez un peu, filmez et le tour est joué : vous aurez un spectacle qui déplacera un minimum de monde, sans demander trop d’efforts à son auteur.
Le nouveau film du talentueux Guillaume Nicloux pouvait faire craindre une démarche de ce type, qui n’aurait séduit (et encore) que les inconditionnels les moins exigeants des deux personnalités mises en scène ici, lesquels se seraient réjouis de voir leurs idoles interagir dans un environnement lisse et ordonné, formant un contraste comique avec l’hygiène de vie qu’on leur connaît.
Il y a un peu de cela dans le film – au cours des premières scènes, Nicloux se contente plus ou moins de filmer un Houellebecq évidemment bougon subir les soins et les restrictions strictes de l’établissement dans lequel il effectue une cure -, mais pas uniquement, et c’est ce qui fait que Thalasso fonctionne, parvenant à rester sur le fil entre un aspect un peu paresseux et un autre plus sensible, plus personnel, plus singulier aussi.
À quoi tient cet équilibre délicat ? À plusieurs facteurs, comme souvent. D’abord, en donnant à Houellebecq et Depardieu le soin de jouer leur propre rôle tout en les intégrant à un récit de fiction, Nicloux s’amuse à brouiller les frontières entre cinéma et réalité, et l’exercice ne manque ni d’intérêt ni de saveur ; ensuite et surtout, Thalasso possède un vrai sujet, qui n’est pas que la rencontre entre deux énormes célébrités hexagonales, ni la simple exploitation de leur côté plus ou moins politiquement incorrect et des polémiques diverses, souvent un peu stériles, qui ponctuent leur parcours respectif (polémiques qu’on peut soupçonner d’être, dans le cas de Houellebecq, savamment entretenues).
Ce sujet tourne autour du vieillissement, de la mort, du deuil et des croyances diverses (dont celle en la réincarnation des corps
qu’exprime le personnage de Houellebecq dans une scène du film où il évoque, visiblement ému, sa grand-mère) ; de fait, Thalasso s’inscrit clairement dans le sillage de Valley of Love et de The End (même s’il est la suite de L’Enlèvement de Michel Houellebecq), dont il partage par ailleurs un caractère fantastique, onirique qui se glisse au sein d’un cadre réaliste et qui fait écho, en quelques sortes, aux angoisses existentielles des personnages.
Rétrospectivement, le film ferait presque un peu songer à Youth (2015), de Paolo Sorrentino, avec Harvey Keitel et Michael Caine, qui aborde des thématiques similaires qui plus est dans un environnement comparable (un hôtel avec piscine et SPA). Mais au niveau formel et du ton, le film de Nicloux est très différent. Adoptant une structure moins rigoureuse, plus libre que Valley of Love (ou que Les Confins du monde, son précédent film, sans doute imparfait mais surtout sous-estimé) ainsi qu’une esthétique moins léchée, le réalisateur a privilégié ici une démarche spontanée et donc un tournage rapide, se contentant la plupart du temps d’une seule prise.
Le film a certes un côté un peu brouillon mais cela fait partie de son ADN, il serait donc déplacé de le lui reprocher – d’autant qu’il n’ennuie jamais et que les différentes séquences s’enchaînent avec fluidité. Quant aux deux comédiens vedette, certes ils jouent plus ou moins leur propre rôle mais ils jouent quand même, ne l’oublions pas ; or que Depardieu soit bon, on ne s’en étonnera guère, mais il se trouve que Houellebecq parvient aussi à convaincre, voire à émouvoir parfois (bien que les échanges entre les deux comédiens, écrits et en partie improvisés, soient malheureusement inégaux en qualité), et ce n’est pas un grand fan de sa littérature qui écrit ces lignes.
Au-delà de la réunion de deux personnages médiatiques dans leur propre rôle, Thalasso parvient, malgré quelques répliques un peu faciles, à proposer une expérience de cinéma où se mêlent réalité, fiction, absurde et fantastique avec, en fil rouge, les questions intimes et existentielles que le cinéma de Guillaume Nicloux soulève de plus en plus fréquemment. Sans y répondre, d'ailleurs, et c'est heureux.
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