Film de Guillaume Nicloux
Pays : France
Année de sortie : 2015
Scénario : Guillaume Nicloux
Photographie : Christophe Offenstein
Montage : Guy Lecorne
Avec : Gérard Depardieu, Isabelle Huppert, Dan Warner, Aurélia Thierrée, Dionne Houle
Gérard : Les cheveux encore ça va, mais les sourcils c’est ça qui me tue. Perdre ses sourcils, c’est complètement con.
Valley of Love rôde mystérieusement entre le réalisme et le fantastique, la réalité et la fiction, préférant émouvoir et interroger plutôt que d’articuler un discours.
Synopsis du film
Isabelle (Isabelle Huppert) et Gérard (Gérard Depardieu) sont séparés depuis longtemps. Ensemble, ils ont eu un fils, Michael, qu’ils ne voyaient plus et qui s’est suicidé récemment, aux États-Unis.
Une chose fort étrange se produit alors : Isabelle et Gérard reçoivent chacun une lettre de Michael, écrite après sa mort. Il leur demande de se rendre tous les deux dans la Vallée de la Mort, en Californie, et d’y visiter des endroits précis, à des heures précises.
Si les parents endeuillés respectent ce souhait posthume, Michael leur promet une chose : il leur apparaîtra une dernière fois…
Critique de Valley of Love
Isabelle (racontant un rêve) : Je vous regarde, et vos yeux ils sont tellement noirs, mais tellement noirs…
Gérard : C’est tout ?
Isabelle : Oui.
Gérard : Pas terrible… Un rêve à la con.
Isabelle : C’est un rêve !
Gérard : Oui, mais c’est un rêve à la con.
Trente-cinq : c’est le nombre d’années qui séparent la sortie de Valley of Love (2015) de celle de Loulou (1980) de Maurice Pialat, le seul film (avant celui de Guillaume Nicloux) qui avait réuni ces deux immenses comédiens, d’envergure internationale, que sont Gérard Depardieu et Isabelle Huppert.
Certes, ils s’étaient rencontrés sur le tournage des Valseuses (1974) de Bertrand Blier, dans lequel Huppert avait fait l’une de ses premières apparitions cinématographiques (elle y incarnait une adolescente rebelle qui s’offrait une virée « scandaleuse » avec le fameux trio libertin composé de Depardieu, Dewaere et Miou-Miou). Mais le tandem Depardieu-Huppert n’éclata vraiment à l’écran que dans le film, vaguement autobiographique, que Maurice Pialat tourna à la toute fin des années 70 ; un très beau film, d’ailleurs, et un film clé, dans la mesure où il est à l’origine de l’amitié et de la collaboration fructueuse entre Gérard Depardieu et Maurice Pialat, qui allaient tourner trois autres longs métrages ensemble (Police ; Sous le soleil de Satan ; Le Garçu).
Il est important de souligner cette complicité intime et artistique, car elle est probablement l’une des raisons pour lesquelles Valley of Love put être tourné : c’est en effet Sylvie Pialat, la veuve de Maurice Pialat (et productrice du film) qui parla du rôle à Gérard Depardieu, lequel fut immédiatement séduit à la lecture du scénario (très construit et écrit, contrairement à ce que la vision du film pourrait laisser croire).

Il est difficile d’ignorer ces éléments de contexte quand on regarde Valley of Love, tant le film leur fait écho. Les deux protagonistes sont en effet des projections des comédiens qui les incarnent : ils s’appellent Gérard et Isabelle, et sont deux acteurs français connus également aux États-Unis. Ils ont été ensemble par le passé, et on songe de fait immédiatement à Loulou, où Depardieu et Huppert jouaient deux amants. Bref, les clins d’œil et similitudes avec la « réalité », qu’ils concernent la filmographie ou la vie personnelle des deux stars (Depardieu partage avec son personnage la ville de Châteauroux dont il est originaire mais aussi, hélas, le deuil d’un fils), sont si évidents qu’en les réunissant à l’écran, Guillaume Nicloux convoque une partie de leur mythologie et de leur aura — et pourtant, on sent que c’est leur humanité qui l’intéresse avant tout.
Ce qui est intéressant, c’est que ces éléments issus du « monde réel » sont intégrés à un récit imprégné de fantastique (qui côtoie un quotidien réaliste, un peu comme dans Les Amis des amis d’Henry James, ou certaines nouvelles de Julio Cortázar), dans lequel les frontières entre le faux et le vrai, le réel et l’illusion, l’ordinaire et l’étrange s’avèrent poreuses. Ces ingrédients se mélangent étonnamment bien. Nicloux réussit même quelque chose de surprenant : si l’on a en partie le sentiment de voir les vrais Gérard Depardieu et Isabelle Huppert, ils restent néanmoins des personnages de fiction, dans un récit de fiction. Ces impressions a priori incompatibles cohabitent ici avec une évidence qui échappe à l’analyse.
Le scénario est d’une belle simplicité, d’une profonde limpidité, de même que les dialogues, d’un naturel confondant. On sent que Guillaume Nicloux a voulu aller à l’essentiel, éviter les fioritures et le superflu. D’ailleurs, les comédiens nous apparaissent sans fard : Depardieu est souvent à moitié nu, aucun d’eux n’est maquillé ou embelli d’une quelconque façon. Ils sont extraordinaires, il faut le souligner : il émane de leur « jeu » — et le terme semble même impropre ici — une authenticité, une spontanéité qui font oublier toute notion de composition.
Autour du tandem Isabelle-Gérard, on pourrait dire qu’il y a essentiellement deux autres personnages : leur fils disparu, à la fois absent et omniprésent puisqu’il « dirige », par le biais d’une lettre posthume, le parcours géographique et initiatique de ses parents (presque à la manière d’un metteur en scène) ; et puis le paysage, qui semble dicter au récit son rythme et son atmosphère.

Le titre du film fait d’ailleurs référence au paysage en question (la vallée de la Mort) via une logique de détournement, puisque Valley of Love signifie vallée de l’amour
. C’est en effet d’amour dont il est question ici. D’amour, de pardon, de fantômes, de deuil également. (Notons que le deuil est un thème récurrent dans le cinéma de Nicloux — même le détective alcoolique dans Une Affaire privée est en deuil ; le deuil d’une relation amoureuse, en l’occurrence.)
Le thème musical The Unanswered Question, écrit en 1908 par le compositeur américain Charles Ives, contribue à créer une atmosphère étrange, quasi méditative qui dans quelques scènes (notamment lors d’une rencontre surréaliste entre Gérard et une inconnue défigurée) fait vaguement songer à l’univers de David Lynch (le fait que certains thèmes d’Angelo Badalamenti, compositeur attitré de l’auteur de Blue Velvet, évoquent quelque peu le style de Charles Ives n’est pas étranger à cette impression).
On relèvera que le titre du morceau est de circonstances : « question sans réponse » convient fort bien à un type de cinéma qui aime le mystère et rejette les réponses toutes faites, les explications définitives. Or celui de Guillaume Nicloux (Une Affaire privée ; Cette femme-là ; The End) s’inscrit clairement dans cette veine, et Valley of Love est peut-être l’un de ses films qui va le plus loin dans cette démarche.
À voir et à écouter autour du film
Guillaume Nicloux parle de Valley of Love dans l’émission Boomerang
En juin 2015, Augustin Trapenard recevait Guillaume Nicloux dans son émission Boomerang, sur France Inter. L’entretien est particulièrement intéressant.
Interview de Guillaume Nicloux, Isabelle Huppert et Gérard Depardieu
Valley of Love a une particularité intéressante : les dialogues, souvent assez drôles et bien écrits, sont importants mais pas davantage que ce qui n'est pas dit ; de même, ce que l'on voit à l'écran n'est pas plus important (parfois moins) que ce que l'on n'y voit pas. Ainsi le visible et l'invisible, l'audible et l'inaudible se côtoient dans un récit à la fois limpide et mystérieux, fantastique et réaliste, drôle et émouvant. Quant à Isabelle Huppert et Gérard Depardieu, leur prestation se passe de commentaires : ce qu'ils livrent à la caméra est d'une force aussi inexplicable que les événements qui se produisent dans le film.
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