Film de Guillaume Nicloux
Pays : France
Année de sortie : 2003
Scénario : Guillaume Nicloux
Photographie : Pierre-William Glenn
Montage : Guy Lecorne
Musique : Éric Demarsan et Fabio Viscogliosi
Avec : Josiane Balasko, Éric Caravaca, Ange Rodot, Frédéric Pierrot, Thierry Lhermitte, Dominique Bettenfeld
Un an après le remarquable Une Affaire privée, Guillaume Nicloux livre avec Cette femme-là un nouveau polar particulièrement sombre, porté par une Josiane Balasko très à l’aise dans un registre inhabituel.
Synopsis du film
Le lieutenant de police Michèle Varin (Josiane Balasko) a du mal à retrouver le goût de vivre depuis la mort accidentelle de son unique enfant. Elle consulte régulièrement un psychologue, mais ses nuits restent hantées de cauchemars éprouvants.
Une nuit, le cadavre d’une femme, morte par pendaison, est retrouvé dans un bois près de Fontaine-le-Port (Seine-et-Marne). Michèle Varin est chargée de l’enquête. Mais ses propres démons ne lui laissent guère de répit…
Critique de Cette femme-là
C’est Thierry Lhermitte qui parla, au début des années 2000, à son amie et ex-partenaire du Splendid Josiane Balasko d’un jeune réalisateur avec lequel il venait de tourner, et qui souhaiterait travailler avec elle pour son prochain projet. Lhermitte faisait alors référence au remarquable film Une Affaire privée (2001) – où il tient le rôle principal -, et le réalisateur en question était Guillaume Nicloux, dont la rencontre avec Balasko allait confirmer l’idée d’une collaboration imminente. La lecture du scénario de Cette femme-là, au même titre que la vision d’Une Affaire privée, achevèrent de convaincre la comédienne, et c’est ainsi que le film qui nous intéresse ici commença à voir le jour.
Cette femme-là est très proche (en termes d’atmosphère, de thématique et de style) d’Une Affaire privée, au point qu’on pourrait presque parler d’un « pendant féminin » de ce dernier. Cette filiation est d’autant plus évidente que le personnage de François Manéri – le détective le plus blasé de l’histoire du cinéma, protagoniste d’Une Affaire privée – fait une apparition dans Cette femme-là et que ces deux films forment, avec La Clef (2007), une trilogie policière.
Les similarités sont nombreuses ; les personnages principaux, incarnés par Thierry Lhermitte dans Une Affaire privée et par Josiane Balasko dans Cette femme-là, ont en commun un passé particulièrement lourd (voire traumatisant dans le cas de Michèle Varin), qui provoque chez eux une amertume et un détachement dont les comédiens, de par leurs compositions respectives, rendent fort bien compte à l’écran. Par ailleurs dans ces deux films, si l’intrigue policière est loin d’être inintéressante, c’est bien le protagoniste qui est au premier plan et avec lui, ses démons et ses cauchemars.
Cauchemars qui occupent d’ailleurs une large place dans Cette femme-là, dont la tonalité est bien plus sombre encore que celle d’Une Affaire privée même si, malgré tout, on y trouve paradoxalement davantage d’espoir. C’est que l’inspectrice incarnée par Balasko, si dépressive soit-elle, non seulement s’implique un minimum dans son enquête mais évolue (plutôt positivement) au cours du film ; tandis que le détective privé campé par Lhermitte est un homme éteint, définitivement déconnecté des choses et des êtres depuis que sa vie personnelle a pris un court qu’il ne souhaitait pas.
À bien des égards, Cette femme-là s’inscrit, comme le précédent film de Nicloux, dans la pure tradition du polar noir : un protagoniste hanté ; une affaire glauque ; des personnages secondaires plus ou moins tordus ou étranges ; des paysages (seine-et-marnais, en l’occurrence) pluvieux ; d’omniprésentes fumées de cigarettes ; etc. Mais le cinéaste, aussi bien dans son écriture que dans son approche visuelle sophistiquée, parvient à imprimer sa patte et à ne jamais donner l’impression d’un étalage peu inspiré des codes esthétiques propres au genre.
Il est aidé en cela non seulement par le talent flagrant de son interprète principal – Josiane Balasko est ici d’une constante justesse de ton – mais aussi par de précieux collaborateurs au niveau de la technique. Le chef opérateur de Cette femme-là est en effet une pointure du métier, à savoir Pierre-William Glenn, qui a travaillé notamment avec Bertrand Tavernier (Le Juge et l’assassin ; Une semaine de vacances ; Coup de torchon), Maurice Pialat (Loulou), Alain Corneau (Série noire ; Le Choix des armes), François Truffaut (La Nuit américaine) ou encore Joseph Losey (comme cadreur sur Monsieur Klein). Glenn fait un travail remarquable sur les éclairages et les noirs profonds de Cette Femme-là, qui font écho à l’histoire du film et à l’état d’esprit torturé de son héroïne, contribuent largement au cachet visuel du métrage et à son caractère éminemment sombre (le genre de polar que Jacques Tardi ne rechignerait sans doute pas à adapter en bande dessinée).

Pierre-William Glenn livre un travail assez stylisé au niveau des lumières. Par exemple dans cette scène qui pourrait sembler anodine, l’éclairage produit un effet étrange, presque onirique.
Côté réalisation, Guillaume Nicloux a souvent recours au plan séquence, mais pas de ceux destinés à épater le public (puisque à moins d’y prêter une attention particulière, celui-ci ne les remarquera pas dans la majeure partie des cas). Aussi efficaces que discrets et remarquablement bien exécutés, ils servent ici habilement le jeu de l’acteur ou encore permettent de maintenir la tension spécifique à une scène (comme par exemple, celle où Michèle Varin pénètre dans un repaire de truands).
Le tout baigne dans la partition tourmentée écrite par Éric Demarsan, brillant compositeur à qui l’on doit entre autres la BO du Cercle rouge (monument du cinéma noir hexagonal – et mondial). Il retranscrit ici en musique les tourments et les angoisses d’une femme dont le parcours douloureux est le principal moteur (cahoteux) du film.
Cette Femme-là est un vrai beau film noir, qui convoque à la fois les références du genre tout en affirmant une identité forte. Maîtrisé sur le plan formel - grâce aux talents conjugués de Guillaume Nicloux et du directeur photo Pierre-William Glenn -, le film doit beaucoup à son interprète principal, Josiane Balasko, qui exprime dans ses moindres gestes, paroles et expressions le drame et les errances de son personnage. Personnage qu'on retrouvera d'ailleurs dans La Clef (2007), du même Guillaume Nicloux, avec - entre autres - le regretté Jean Rochefort.
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