Film de Guillaume Nicloux
Année de sortie : 1998
Pays : France
Scénario : Guillaume Nicloux, Jean-Bernard Pouy et Patrick Raynal, d’après la collection littéraire Le Poulpe
Photographie : Pascal Gennesseaux
Montage : Stéphane Pereira
Musique : Alexander Balanescu, Laconic
Avec : Jean-Pierre Darroussin, Clotilde Courau, Julien Rassam, Stéphane Boucher, Philippe Nahon, Aristide Demonico
Avec Le Poulpe, Guillaume Nicloux met habilement en images l’univers à la fois drôle et désabusé de Jean-Bernard Pouy. Le résultat est un polar irrévérencieux qui, entre deux répliques hautes en couleur, épingle les milieux d’argent, la politique et les magouilles libérales.
Synopsis du film
Gabriel Lecouvreur (Jean-Pierre Darroussin) est de mauvaise humeur : il vient de payer plusieurs milliers de francs à la suite d’une sombre histoire de tombes vandalisées.
Son enquête pour retrouver les responsables le conduit dans la ville d’Angernaud, en compagnie de sa pétillante maîtresse Chéryl (Clotilde Courau). Une fois sur place, Lecouvreur découvre qu’il y a plus dangereux que les jeunes voyous qu’il traquait initialement…
Critique de Le Poulpe
Le Poulpe, c’est d’abord une collection littéraire policière créée par Jean-Bernard Pouy au milieu des années 90. Pouy signa le premier roman, La petite écuyère a cafté (1995), puis un autre plus récemment (Cinq Bières, deux rhums, paru en 2009), tandis que de nombreux autres écrivains se relaient chaque année pour conter les aventures à la fois comiques et glauques de Gabriel Lecouvreur, le « héros » de la série.
Chaque histoire est indépendante mais les romanciers reprennent les principes et les personnages définis par Pouy, Serge Quadruppani et Patrick Raynal (auteurs respectivement des deux et troisième ouvrages de la collection).
Au niveau du style et de l’ambiance, on est dans du pur polar noir, à la fois sombre et d’un comique grinçant dans son approche. Pouy se définissant lui-même comme « libertaire » et « anar » (source : article de L’Humanité, octobre 2011), rien d’étonnant à ce que Lecouvreur, dit « le poulpe » (en raison de ses grands bras), soit un détective amateur fauché et buveur de bières, évoluant dans une France peuplée de piliers de comptoirs, de jeunes désœuvrés, de filles paumées, de truands minables, de bourgeois corrompus et de politiques véreux. Le tout, bien sûr, dans des bleds grisâtres qui n’ont rien de la carte postale touristique. Les univers de Jean-Patrick Manchette et de Jacques Tardi, pour ne citer qu’eux, côtoient de près les enquêtes chaotiques du poulpe, qui d’ailleurs ont fait l’objet d’adaptations en bande dessinée.
C’est une adaptation cinématographique qui nous intéresse ici, celle que Guillaume Nicloux réalisa en 1998, confiant fort judicieusement le rôle clé à un Jean-Pierre Darroussin incarnant à merveille l’enquêteur blasé imaginé par Jean-Bernard Pouy (qui co-signa, avec Patrick Raynal et Nicloux, le scénario du film).
Grand amateur de polars (et auteur lui-même de plusieurs romans), Nicloux est parfaitement à l’aise avec son sujet, exprimant par une réalisation débridée, spontanée et en apparence presque brouillonne le caractère libertaire et irrévérencieux de l’oeuvre. Le film est bien sûr riche en gueules cassées, et reprend les principales caractéristiques du Poulpe version papier : la France est grise, on s’y ennuie plus ou moins tout le temps, l’argent (sale, bien sûr) ne circule que dans les poches des nantis et des magouilleurs en tout genre, qui sacrifient volontiers l’être humain sur l’autel du libéralisme et du profit. L’esprit anar de Pouy flotte dans chaque plan du film tandis que les dialogues, un peu à la Audiard, sont truculents à souhait.
On prend donc à réel plaisir à suivre ce récit drôle et désabusé dans la pure tradition du polar noir frenchy, d’autant plus que les comédiens (Darroussin, la jolie et talentueuse Clotilde Courau mais aussi Philippe Nahon, entre autres) se sont visiblement amusés sur le tournage et jouent à la perfection leur partition gouailleuse (relevons que Nicloux se permet une petite apparition dans un supermarché, habillé en militaire).
Le Poulpe version cinéma fait honneur à la collection littéraire éponyme, grâce au talent de Guillaume Nicloux et des comédiens. Le cinéaste débutera juste après une trilogie policière dans une veine nettement plus sombre et moins fantaisiste, en signant coup sur coup les excellents Une Affaire privée (2001) et Cette femme-là (2003).
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