Film de Julian Jarrold
Année de sortie : 2009
Pays : Royaume Uni
Scénario : Tony Grisoni, d’après le roman de David Peace
Photographie : Rob Hardy
Montage : Andrew Hulme
Avec : Andrew Garfield, David Morrissey, Sean Bean, John Henshaw, Robert Sheehan, Anthony Flanagan, Rebecca Hall
1974, le premier volet de la trilogie télévisuelle Red Riding, est un polar complotiste à la noirceur saisissante.
Synopsis du film
Yorkshire, 1974. La disparition d’une enfant fait la une des journaux locaux. Eddie Dunford (Andrew Garfield), un jeune journaliste plutôt grande gueule, commence à investiger et s’interroge sur une possible relation entre l’affaire en cours et de précédents assassinats non élucidés.
Quand le corps de la victime est retrouvé sur un terrain appartenant à John Dawson (Sean Bean), un riche homme d’affaires, les soupçons d’Eddie se portent rapidement sur ce dernier. Mais de toute évidence, ses recherches dérangent et il se retrouve contraint de faire cavalier seul, tandis que la police locale essaie vraisemblablement de l’intimider…
Critique de The Red Riding Trilogy: 1974
L’année 2009 fut une belle année pour David Peace, sur le plan de la reconnaissance artistique du moins. En effet, son roman The Damned United, inspiré de la vie du mythique entraîneur de foot Brian Clough, fut porté à l’écran par Tom Hooper (Le Discours d’un roi) cette année là, tandis que quelques jours plus tôt (du 5 au 19 mars 2009 précisément) la télévision diffusait Red Riding, une trilogie basée sur trois romans de l’écrivain britannique.
On est loin de l’herbe bien tondue (ou mal, d’ailleurs) des terrains de football et des chants de supporters puisque Red Riding est une trilogie policière (bien qu’il y ait quatre romans à la base) qui se déroule dans le Yorkshire, et dont les différents segments sont sobrement intitulés 1974, 1980 et 1983, en référence à l’année où se déroule leur action respective. Il s’agit d’une œuvre de pure fiction, bien qu’elle comporte quelques références à celui que la presse britannique avait baptisé The Yorkshire Ripper, à savoir Peter Sutcliffe, un tueur en série qui sévissait dans les années 70-80 et qui se trouve encore sous les verrous aujourd’hui.
Certains éléments de l’histoire renvoient également à un autre fait divers authentique, à savoir l’assassinat de Lesley Molseed (en 1975) et l’erreur judiciaire qui s’ensuivit (l’arrestation et l’emprisonnement – pendant 16 ans – d’un homme dont l’innocence fut ensuite démontrée). En dehors de ces tragiques événements (qui sont d’ailleurs modifiés dans le roman), Red Riding est donc le fruit de l’imagination de David Peace et le moins que l’on puisse dire, c’est que sa description du Yorskshire (sa région d’origine) n’est pas franchement un argumentaire touristique.
Filmé en 16 mm, ce qui donne à l’image un grain bien particulier (de prime abord, on n’imagine pas une seconde que le film a été tourné en 2009), The Red Riding Trilogy: 1974 est en effet un polar particulièrement sombre, plutôt bien réalisé par Julian Jarrold. Ce dernier parvient instantanément à créer une atmosphère, à faire ressentir le cadre de l’histoire et à nous coller aux basques du jeune reporter ambitieux campé par Andrew Garfield. Comme celui-ci évolue dans un monde à la fois gris, morne, violent et corrompu, la ballade n’est pas des plus réjouissantes : la pluie, la boue, le sang et l’argent sale transpirent littéralement à l’écran.
Au cours de la première demi-heure, tout est d’une justesse assez remarquable : les dialogues, les visages, les lieux… On pense parfois à The Offence, de Sidney Lumet, dont le cadre géographique, bien que non précisé, évoque clairement le Yorkshire sanglant de 1974.
Ce qui commence comme un polar inspiré mais relativement classique dans son déroulement prend peu à peu une tournure plus radicale. À l’image d’un peintre qui au fur et à mesure choisirait d’accentuer les couleurs visibles dès l’esquisse, Julian Jarrold intensifie la noirceur et la violence du film, jusqu’à un déroulement qui relève davantage du cauchemar éveillé que du film policier ordinaire. Entre temps, le fil déjà ténu de l’intrigue s’est embourbé ; la narration privilégie clairement l’atmosphère et, dans une moindre mesure, les personnages, à une investigation policière structurée. Ce parti pris vaut d’ailleurs pour l’ensemble de la trilogie.
Il (ce parti pris) aurait mieux fonctionné si la caractérisation des personnages était plus équitable – tous ne bénéficient en effet pas du même traitement. Le protagoniste est très convaincant, et fort bien interprété, tandis que face à lui Sean Bean (qui jouera plus tard, entre autres, le rôle de Ned Stark dans Game of Thrones) en impose dans le rôle d’un homme qui incarne le mâle pervers, capitaliste et narcissique dans toute son horreur. Si, pour plusieurs autres personnages (notamment les deux brutes qui harcèlent le malheureux Eddie), des gueules taillées au couteau et quelques répliques cinglantes suffisent, on peut regretter que Paula Garland (Rebecca Hall), pourtant très présente dans la seconde partie de 1974, peine à trouver une réelle consistance – et c’est l’écriture et non la comédienne qu’il faut pointer du doigt ici.
Tout cela n’empêche pas 1974 de fonctionner, en roue libre, à l’image de son « héros » paumé qui subit un véritable chemin de croix jusqu’au calvaire final dont nous ne donnerons pas ici les détails. Flics pourris ; magnat de l’immobilier détraqué et mégalo ; pouvoirs publics complices : Red Riding est une peinture acide et sans nuances d’un monde où règnent le complot et l’argent, où les innocents meurent et où les coupables se frottent les mains dans des night-clubs et des demeures luxuriantes.
Ce constat nihiliste (qui malheureusement n’est pas un pur fantasme déconnecté de toute réalité) est violemment asséné sur la tête du spectateur, comme les coups qu’Eddie Dunford essuient régulièrement pendant le film. Une outrance volontaire qui laisse au bord du chemin (boueux) quelques éléments qui n’auraient pas desservi l’ensemble (une intrigue un peu plus solidement menée ; des personnages secondaires plus affinés), mais qui donne dans le même temps à 1974 son cachet – soit un style appelé le Yorkshire Noir
par certains critiques.
La suite – 1980 – ne donne pas non plus dans la finesse, à ceci près que la réalisation de James Marsh est moins inspirée (et plombée par une utilisation abusive de la musique) que celle de Julian Jarrold. Le résultat cumule donc les défauts du premier segment sans en avoir les qualités. Dommage, car en dépit de quelques faiblesses 1974 ne manque pas de caractère. Pour plus d’homogénéité, il aurait probablement été pertinent de confier au même metteur en scène – Jarrold – la réalisation de l’ensemble de la trilogie.
The Red Riding Trilogy: 1974 ravira les amateurs de polar sombre et complotiste, sur fond de banlieue grise et de champs désolés. Le scénario ne laisse probablement pas suffisamment de place à certains personnages, féminins notamment, mais il faut reconnaître que le film puise dans sa radicalité et dans son nihilisme une force certes désespérée, mais saisissante et authentique. Malheureusement le second volet de la trilogie, tourné par un autre réalisateur, ne se hisse pas au même niveau.
Aucun commentaire