Film de Guillaume Nicloux
Pays : France
Année de sortie : 2002
Scénario : Guillaume Nicloux
Photographie : Olivier Cocaul
Montage : Guy Lecorne
Musique : Éric Demarsan
Avec : Thierry Lhermitte, Marion Cotillard, Philippe Nahon, Clovis Cornillac, Jeanne Balibar, Aurore Clément, Jean-Pierre Darroussin, Consuelo de Haviland, Niels Arestrup, Yves Verhoeven, Gérald Thomassin, Frédéric Diefenthal, Lydia Andrei, Samuel Le Bihan
Clarisse : Vous êtes bizarre. Vous posez des questions, mais on a l’impression que vous vous foutez des réponses.
Une Affaire privée utilise les ressorts du film policier pour nous parler avant tout d’un homme déconnecté de tout, que Thierry Lhermitte incarne brillamment. L’un des meilleurs polars français de ces quinze dernières années.
Synopsis du film
François Manéri (Thierry Lhermitte) travaille comme détective privé dans une agence dirigée par Claudine Després (Consuelo de Haviland). Séparé de sa femme Sylvie (Jeanne Balibar), il vit seul et fréquente occasionnellement Marion (Lydia Andrei), une femme mariée.
Un jour, Madame Siprien (Aurore Clément) contacte l’agence au sujet de sa fille Rachel, disparue depuis six mois. Sceptique, Manéri se donne une semaine pour trouver une piste. C’est le début d’une enquête laborieuse, auquel le détective lui-même ne croit guère…
Critique d’Une Affaire privée
Marion : C’est fini François. Nous deux c’est fini. Ça ne te fait rien ?
François Manéri : Qu’est-ce que tu veux que je te dise ? […] Le quartier va me manquer.
Vous êtes bizarre. Vous posez des questions, mais on a l’impression que vous vous foutez des réponses
. Cette remarque, prononcée par Clarisse (Marion Cotillard) et adressée à François Manéri (Thierry Lhermitte) dit beaucoup de choses sur le personnage principal d’Une Affaire privée, et donc sur le film dans son ensemble.
Un film imprégné de l’amertume et de l’indifférence de son protagoniste
En effet, Manéri se fout de pas mal de choses, voire de tout, et son détachement émotionnel et intellectuel donne le la de ce polar qui à la fois intègre des éléments typiques du genre (le privé ; la cigarette ; une atmosphère sombre ; une femme belle et mystérieuse ; etc.) tout en affirmant une personnalité qui lui est propre. Une personnalité et une authenticité, car on est rapidement saisi par la justesse des scènes, justesse qui pousse le spectateur à emboîter, sans hésitation aucune, le pas de ce détective blasé au fil de sa nébuleuse enquête. Il faut dire que le scénario et les dialogues sont écrits au cordeau : pas une réplique qui tombe à côté ; pas un personnage auquel on ne croit pas instantanément, quand bien même n’apparaît-il que quelques secondes à l’écran.
La qualité des seconds rôles
Une pléiade d’excellents comédiens se sont mis au service de ces répliques précises et souvent riches en allusions, endossant des seconds rôles qui trouvent naturellement leur place dans un récit parfaitement monté (profitons-en pour saluer le travail du monteur Guy Lecorne, qui a travaillé avec Christophe Honoré, Claire Denis, Anne Fontaine, Bruno Dumont et Bertrand Tavernier). On croise notamment Jean-Pierre Darroussin, Niels Arestrup, Clovis Cornillac, Jeanne Balibar, Frédéric Diefenthal et bien d’autres, et chacune de leur partition sert l’ensemble de l’histoire, au même titre que celle, très jazzy, composée par Eric Demarsan, à qui l’on doit entre autres les bandes originales inspirées du Cercle rouge et de L’Armée des ombres (dont François Manéri regarde d’ailleurs l’implacable final au cours d’une scène du film).

Sylvie (Jeanne Balibar) et Manéri (Thierry Lhermitte) : « Tu peux pas savoir à quel point tu me manques ».
Arestrup incarne le père biologique de la disparue et en quelques secondes, on capte l’histoire et le caractère de l’homme, quand parfois un film entier ne parvient pas à nous faire ressentir cette dimension (essentielle). Cette capacité à suggérer le background et la personnalité de chacun se retrouve dans pratiquement chaque séquence. Il y a aussi Philippe Nahon en acolyte roublard, dont le pull improbable a inspiré à Thierry Lhermitte une blague récurrente (ils sont très stricts, ils laissent pas entrer les mecs avec des scènes de chasse sur leur pull
).
Un découpage habile
L’intrigue d’Une Affaire privée est finalement assez simple, et d’ailleurs presque secondaire dans l’absolu, même si on ne cesse jamais de s’y intéresser. Guillaume Nicloux (à qui l’on doit le récent The End, avec Gérard Depardieu) lui donne une belle dynamique en jouant habilement sur la chronologie. Surviennent ainsi régulièrement des coupes, des ellipses que le film complète ensuite par le biais de l’enregistreur que Manéri réécoute fréquemment au cours de son enquête, ce qui permet au metteur en scène de revenir sur la séquence volontairement mise de côté — astuce narrative stimulant la curiosité du spectateur, et donnant au film un rythme plus riche.
Des cadrages et une photographie inspirés
Une Affaire privée est également une réussite sur le plan purement formel. Dans plusieurs séquences, Guillaume Nicloux utilise intelligemment les décors pour donner de la profondeur par des effets de perspective. La réalisation est dynamique, variant les partis pris selon les séquences ; d’une scène à l’autre, on passe ainsi d’amples mouvements de caméra à des plans resserrés sur les visages, où l’objectif semble chercher les pensées, parfois insaisissables, des personnages.

Un exemple de plan où Guillaume Nicloux utilise intelligemment le décor pour créer un effet d’éclairage et de perspective intéressant.
La photographie (signée Olivier Cocaul) met souvent en avant des couleurs chaudes, tendant vers le bleu et le rouge. Cela contribue à créer un univers envoutant, sensuel par moment, dans lequel le détective incarné par Thierry Lhermitte trimballe son inébranlable indifférence, projetant des volutes de tabac comme autant d’espoirs et d’attentes dissipés.

Marion Cotillard et Thierry Lhermitte. Le film utilise dans plusieurs scènes des teintes chaudes, profondes, telles que le bleu ou le rouge, comme c’est le cas ici.
L’une des compositions les plus saisissantes de Thierry Lhermitte
Le film nous explique les raisons de cette amertume, sans toutefois jamais les surligner et surtout en se gardant de toute approche mélodramatique ou larmoyante. La sobriété, l’économie sont ici des maîtres mots comme, d’ailleurs, dans tout bon film noir qui se respecte.
Ainsi que son titre l’indique, Une Affaire privée s’intéresse avant tout aux personnages, à leur intimité, à leur histoire. Celle du héros, ou anti-héros, trouve dans chacun des gestes et intonations de Thierry Lhermitte un écho discret, subtil, mais omniprésent. Le comédien livre ici l’une de ses plus belles performances, et Nicloux le filme sans omettre ces moments qui, sans intérêt pour l’intrigue, forment bout à bout le puzzle déstructuré et bancal du quotidien (on le voit par exemple aller aux toilettes en tenant une cafetière dans la main gauche). Une multitude de réactions fugaces trahissent son état d’esprit, telles qu’un regard qui se détourne au beau milieu d’une conversation, ou encore un soupir de lassitude inapproprié. Autant de signes révélateurs que la caméra de Nicloux saisit habilement, mais jamais de façon trop évidente.

Un plan révélateur de l’état d’esprit détaché du protagoniste : alors qu’il écoute le témoignage de la meilleure amie de la disparue, il semble regarder ailleurs, et penser à toute autre chose.
Face à Thierry Lhermitte, Marion Cotillard (qui avait déjà connu le succès de Taxi mais pas encore celui de La Môme) convainc dans le rôle de la sensuelle et charmante Clarisse, face à laquelle Manéri (à la différence des innombrables détectives de cinéma perdant leurs esprits face à une jolie brune) ne témoigne que d’une attirance sexuelle parfaitement dénuée de passion et de romantisme.
Une Affaire privée fait partie de ces films policiers qui donnent vie à des personnages, à des instants, à des histoires, grâce à une multitude de petits détails finement agencés et une grande justesse d'écriture. Les enjeux apparents du récit sont comme désamorcés, atténués en tous cas, par l'indifférence totale du protagoniste, dont le drame personnel — une rupture amoureuse — forme autour de lui un voile impénétrable, qu'il nourrit de fumée de cigarettes. Thierry Lhermitte est saisissant dans le rôle de cet anti-héros en deuil que plus rien n'atteint, et qui semble se détruire à petit feu. Il a lui aussi, à sa façon, disparu depuis longtemps quand le film commence ; ce qui suit n'y changera rien.
2 commentaires
Merci encore, je cours le visionner.
Ça vaut le coup ! Et Thierry Lhermitte est particulièrement bon dans ce film.