Film de Clément Cogitore
Pays : France, Belgique
Année de sortie : 2015
Scénario : Clément Cogitore et Thomas Bidegain
Photographie : Sylvain Verdet
Montage : Isabelle Manquillet
Musique : Eric Bentz et François-Eudes Chanfrault
Avec : Jérémie Renier, Kévin Azaïs, Swann Arlaud, Marc Robert, Finnegan Oldfield, Sâm Mirhosseini, Clément Bresson
Ca y est, ça a commencé. Et bientôt ça sera partout, tout le monde.[…] Bientôt y aura plus personne.
Avec Ni le ciel ni la terre, Clément Cogitore livre un premier long métrage atypique, qui contourne les schémas classiques du film de guerre.
Synopsis de Ni le ciel ni la terre
2014, en Afghanistan. Tandis que les troupes françaises s’apprêtent à se retirer, le capitaine Antarès Bonassieu et ses hommes effectuent une mission de surveillance dans la vallée du Wakhan, située dans la partie Est du pays.
Une nuit, deux soldats disparaissent, sans qu’aucune trace de combat ne soit relevée. Dès lors, un sentiment d’angoisse et d’incompréhension va progressivement gagner l’ensemble de la section…
Critique du film
On ne peut pas dire que le cinéma français se soit fait une spécialité de traiter des différentes guerres dans lesquelles le pays s’est impliqué, ou s’implique encore ; contrairement aux réalisateurs américains, par exemple, qui filmaient la guerre du Vietnam à peine celle-ci terminée, et ne se sont pas montrés plus timides à l’égard de la guerre en Irak. Le plus célèbre film sur la guerre d’Algérie, La Bataille d’Alger, est d’ailleurs un film italo-algérien (de Gillo Pontecorvo).
Ne soyons pas trop catégorique non plus : les deux guerres mondiales ont fait l’objet de plusieurs films français (encore tout récemment avec Indigènes) et les guerres coloniales ne sont pas systématiquement ignorées ; La 317ème section (1965), de Pierre Schoendoerffer, est sorti dix ans environ après la fin de la guerre d’Indochine (1954). Il n’en reste pas moins que l’on pouvait légitimement s’étonner de voir à l’affiche, à l’automne 2015, non seulement un film de guerre français, mais qui plus sur un conflit actuel, à savoir la guerre d’Afghanistan ; pays dont les forces armées françaises se sont progressivement retirées à partir de 2012, c’est-à-dire tout récemment.
Pour son premier long métrage, Clément Cogitore n’a donc pas franchement choisi la facilité, aussi bien au niveau du sujet – forcément délicat – que des conditions de tournage (qui se sont en effet avérées assez éprouvantes). Selon ses propres dires, lui-même a envisagé un temps de remettre ce film à plus tard, pour se consacrer à une idée moins ambitieuse (source : Ni le ciel ni la terre, interview avec Clément Cogitore), mais son producteur (Jean-Christophe Reymond) l’a poussé à aller au bout de ce projet. Bien lui en a pris : Ni le ciel ni la terre est une réussite, largement saluée par la critique et auréolée d’une sélection à la Semaine de la Critique du Festival de Cannes 2015.

L’un des aspects fortement distinctifs du film est son traitement. Dans beaucoup de films de guerre, réussis ou non, on assiste à un nombre plus ou moins élevé de scènes montrant la violence des combats ; or Ni le ciel ni la terre choisit une manière plus singulière, inattendue d’interpeller le spectateur. D’abord, le film ne comporte qu’une séquence de combat, assez courte, et très sobre ; ensuite, la mort, cet « élément » forcément omniprésent dans ce genre cinématographique, n’est jamais montrée frontalement ici – c’est le moins que l’on puisse dire, puisqu’à défaut de cadavres, c’est à des disparitions totalement insensées (on songe à Pique-nique à Hanging Rock, de Peter Weir) que sont confrontés le capitaine Antarès Bonassieu (Jérémie Renier) et sa section.

Ce point de départ imprègne rapidement l’atmosphère du film d’une dimension fantastique d’autant plus saisissante qu’elle s’inscrit dans un contexte rempli de détails réalistes : le quotidien des soldats (leur matériel, leur interactions avec la population locale, etc.) est en effet montré avec un évident souci d’authenticité, qui laisse d’ailleurs supposer des recherches assez poussées en ce domaine.
Ce décalage ingénieux renforce la perplexité que le spectateur partage avec les témoins naturellement inquiets (les soldats) des événements vertigineux et absurdes qui ponctuent le film. Le caractère abstrait propre à la représentation de la mort dans Ni le ciel ni la terre se retrouve d’ailleurs dans les nombreux plans filmés à l’aide de caméras thermiques, plans qui font basculer le spectateur d’une réalité physique vers le monde troublant, insaisissable, que semble désigner le titre énigmatique (métaphysique ?) du long métrage. Un monde où se cristallisent les peurs viscérales liées à la guerre (la mort ; le deuil…), peurs qu’exprime d’ailleurs assez clairement l’un des personnages du film lors d’une scène clé (bientôt y aura plus personne).

Le scénario, coécrit avec Thomas Bidegain (fidèle collaborateur de Jacques Audiard), aborde également la question culturelle et religieuse, d’une manière toute aussi subtile – les disparitions amenant les personnages à se tourner, avec plus ou moins de conviction, vers des croyances locales qui inscrivent le film dans son contexte. Personnages dont la caractérisation témoigne d’ailleurs d’une écriture rigoureuse, que le jeu inspiré des acteurs (dont Jérémie Renier, Kévin Azaïs – vu dans l’excellent Les Combattants –, Swann Arlaud, Finnegan Oldfield, Sâm Mirhosseini et d’autres) sert remarquablement bien.
Reflétant la maîtrise de son auteur sur le plan formel (soulignons que Clément Cogitore est également photographe et vidéaste) et une volonté d'aborder un sujet sous un angle original, Ni le ciel ni la terre est un premier film surprenant qui détonne dans le paysage cinématographique français, à mi-chemin entre le film de guerre et le cinéma fantastique. Et si l'on attend avec curiosité le prochain long de Clément Cogitore, une chose est à peu près certaine : il devrait nous surprendre, l'homme n'ayant apparemment pas le goût des sentiers balisés.
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