Film de Pierre Salvadori
Pays : France
Année : 1995
Scénario : Pierre Salvadori, Philippe Harel
Photographie : Gilles Henry
Montage : Hélène Viard
Musique : Philippe Eidel
Avec : Guillaume Depardieu, François Cluzet, Judith Henry, Claire Laroche, Philippe Girard, Marie Trintignant
Les Apprentis fait partie des longs métrages français les plus réussis autour du thème de l’amitié (entre autres thématiques). Son atmosphère bohème mêle habilement humour et gravité tandis que le film réfléchit, à travers les mésaventures d’un sympathique tandem de « galériens » dans le Paris des années 90, sur la notion de norme sociale.
Synopsis du film
À Paris, au milieu des années 90. Antoine (François Cluzet), un auteur de théâtre quadragénaire qui n’arrive pas à percer, et Fred (Guillaume Depardieu), un jeune homme oisif et rêveur, partagent le même appartement, et les mêmes galères. Les fins de mois sont difficiles, comme les lendemains de soirée. Si Fred parait plus ou moins s’accommoder de toutes ces incertitudes, Antoine, lui, rêve d’une vie plus confortable. Entre les deux amis, les moments de complicité et de tension se succèdent.
Critique de Les Apprentis
Pierre Salvadori avait déjà tourné avec Guillaume Depardieu quand il lui proposa le scénario des Apprentis : c’était à l’occasion de son précédent et premier long métrage Cible émouvante (1993). Dans ce film, Trintignant campe un vieux tueur à gages tandis que « Depardieu fils » incarne son jeune apprenti, ce qui fait un peu songer à Regarde les hommes tomber, de Jacques Audiard, sorti un an plus tard (avec Jean Yanne et Mathieu Kassovitz).
Les Apprentis raconte une histoire bien différente. C’est ce qu’on pourrait appeler un buddy movie, s’il fallait absolument lui mettre une étiquette. Mais les étiquettes ne vont pas très bien à ce film personnel et dans le fond assez singulier, qui de l’aveu de son réalisateur serait, encore aujourd’hui, le plus apprécié de sa filmographie.

Quand on écrit un récit basé sur un duo amical, l’un des enjeux principaux est de donner à celui-ci une saveur particulière, une dynamique efficace, en jouant notamment sur des oppositions de caractère. Un scénariste pas très fin aura vite fait de tomber dans des stéréotypes, plus ou moins divertissants selon les cas. Pierre Salvadori et son co-scénariste Philippe Harel (réalisateur des Randonneurs et de La Femme défendue) ne sont pas tombés dans ce genre de facilités. Leur tandem de sympathiques « losers » (si l’on se place du point de vue de la norme, s’entend), avec d’un côté un jeune homme insouciant et plein d’innocence (Depardieu) et de l’autre un homme à la fois plus expérimenté et plus anxieux (Cluzet), est certes contrasté, mais surtout crédible, consistant et extrêmement attachant.

Fred et Antoine partagent, pendant la durée du film, le même quotidien fauché, à ceci près que le premier paraît s’en satisfaire tandis que le second, sous la pression des années, voudrait bien d’une existence plus construite, rassurante et conventionnelle. Leur point commun est d’être, comme le titre du film le suggère, des apprentis, c’est-à-dire des personnes en train d’apprendre – sur eux-mêmes, sur les autres et sur la vie en général. Il ne s’agit pas une initiation rigoureuse, régulière et même volontaire ; plutôt des tâtonnements successifs et maladroits qui finissent, parfois, par les faire évoluer.
Précisons que cette évolution n’a en aucun cas pour but de les faire entrer dans un moule : Les Apprentis ne dessine pas un parcours initiatique vers le travail et le confort économique. D’une certaine façon, le film est même un hommage à celles et ceux qui tentent de survivre sans se soumettre à ces « valeurs », même si le personnage d’Antoine illustre le fait qu’il est ardu de s’y soustraire.
Les comédiens donnent vie à ces personnages pleins de charme, qui prennent plus volontiers des contre-allées sinueuses que des autoroutes vers la réussite sociale. Si l’alchimie entre Guillaume Depardieu et François Cluzet est bluffante (ils se donnent merveilleusement bien la réplique), le reste du casting est tout aussi savoureux. On a même droit à une apparition, aussi tardive qu’appréciable, de Marie Trintignant, tandis que le film réserve un joli rôle à Judith Hendy, que Christian Vincent avait si bien filmée dans le très beau La Discrète (1990).

Un comédien ne peut être bon que si on lui donne une matière intéressante, un texte de qualité. En l’occurrence, ils sont servis ici par un scénario qui regorge de répliques et d’idées précieuses. Salvadori a le don, en une courte scène, d’illustrer une idée qui fait mouche, et qui vient servir l’ensemble. Par exemple, la séquence où Antoine (Cluzet) explique qu’il aimerait bien se blesser au ski pour pouvoir peu à peu guérir de sa blessure, en un temps précis et connu à l’avance, vient intelligemment souligner que la dépression dont il souffre, et à laquelle la dernière partie du film est largement consacrée, ne suit malheureusement pas une évolution aussi lisible.
Citons également la scène où Antoine se rêve en mari et propriétaire comblé, tandis que les deux compères visitent un appartement coquet ; ici, Salvadori réfléchit à la notion de norme sociale, et à la pression que celle-ci exerce sur l’individu. Enfin, faisons également référence à la séquence particulièrement efficace au cours de laquelle la vitrine d’un magasin se brise derrière Fred (Guillaume Depardieu), dans un fracas qui symbolise ses rêves détruits par la proposition inattendue d’Agnes (Claire Laroche, que l’on reverra peu ensuite au cinéma), la jeune femme dont il est éperdument amoureux.

La manière dont Salvadori dépeint les galères qui ponctuent le quotidien bohème du tandem central est des plus convaincantes. Il faut dire que le réalisateur et scénariste est passé, dans sa vie, par des phases comparables – dans le sens où ses fins de mois n’ont pas toujours été confortables (des échanges entre lui et Depardieu, dans un bonus du DVD, le suggèrent fortement). Son expérience nourrit le film, et fait qu’on croit à tout ce qu’il raconte.
Si l’on rit beaucoup au cours de la première heure, le film prend ensuite une tonalité plus grave. Cette évolution, maîtrisée, est essentielle ; grâce à elle, le film est plus profond, plus sincère, plus intime aussi. Pour autant, en dépit de toutes ses qualités, Les Apprentis ne semble jamais se prendre au sérieux, et évite aussi bien les pièges du pathos que ceux de la comédie trop grossière, dans lesquels le cinéma français tombe régulièrement. Il s’offre même une dernière scène presque miraculeuse ; on a l’impression que se produit, devant la caméra, quelque chose d’authentique, de spontané, de vivant.

Car Les Apprentis est un film plein de vie ; cela peut paraître banal, mais c’est l’une des choses les plus dures à insuffler dans un long métrage : cette énergie, cette grâce qui ne sont possibles que quand le talent se conjugue avec l’envie et l’honnêteté.
Bien sûr, difficile de ne pas éprouver une certaine tristesse en voyant Marie Trintignant et Guillaume Depardieu à l’écran, puisque tous deux sont partis bien jeunes. Mais ne laissons pas ces tristes événements planer trop lourdement sur Les Apprentis ; de toutes manières, fort de son charme et de sa vitalité, ce film tiendra toujours debout.

La musique du film
Si Pierre Salvadori a utilisé, pour la musique des Apprentis, plusieurs morceaux pré-existants dont la célèbre chanson Qu’est-ce que t’es belle, interprété par Marc Lavoine et Catherine Ringer, la musique originale a été confiée à Philippe Eidel. Disparu prématurément en 2018 (il n’avait que 61 ans), Philippe Eidel est connu pour avoir travaillé sur les arrangements et la production de plusieurs chansons d’Indochine (dont L’Aventurier) et de Taxi Girl. On lui doit également le premier habillage musical de la chaîne Canal+ en 1984, qu’il a composé avec Arnaud Devos (le premier batteur et percussionniste d’Indochine).
Juste après la BO des Apprentis, il signa celle d’Un Air de famille (1996), de Cédric Klapisch.
Les Apprentis est un film drôle, authentique et émouvant dont le charme résiste aux années qui passent. Celui-ci est dû au talent de scénariste et de réalisateur de Salvadori, mais aussi à l’énergie des comédiens, dont un Guillaume Depardieu inoubliable en jeune homme lunaire, romantique et rêveur, sur lequel les conventions sociales semblent n'avoir que peu de prise.
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