Film de Hamé Bourokba et Ekoué Labitey
Année de sortie : 2023
Pays : France
Scénario : Hamé Bourokba et Ekoué Labitey
Photographie : César Decharme
Montage : Hugo Lemant
Musique : Demon Pepper Island
Avec : Garance Marillier, Bakary Keita, Sandor Funtek, Virginie Acariès, Amir Bettayeb
Rue des Dames est une chronique sociale et urbaine qui constate plus qu’elle ne juge ou explique. C’est ce qui fait sa force et son efficacité.
Synopsis du film
Mia (Garance Marillier), 25 ans, est employée comme manucure dans un salon situé dans le 18ème arrondissement. Lorsqu’elle apprend qu’elle est enceinte, sa situation, déjà difficile, se complique d’autant plus qu’elle se retrouve sans appartement et que son compagnon Nabil (Amir Bettayeb), le père de l’enfant, est en liberté conditionnelle.
Pour tenter de s’en sortir, Mia tente de toucher un peu d’argent en orientant des clientes du salon vers des soirées privées fastueuses, en échange de quelques billets. Mais les choses tournent plutôt mal pour la jeune femme…
Critique de Rue des Dames
Comme son titre l’indique, le second long métrage de Ekoué (Labitey) et Hamé (Bourokba) est ancré dans une géographie bien précise, couvrant en particulier les 17ème (où se trouve la fameuse rue des Dames) et 18ème arrondissements de Paris. Cette volonté d’inscrire le récit dans un territoire n’est pas très étonnante de la part de cinéastes qui sont aussi d’anciens rappeurs (membres du célèbre groupe La Rumeur) : de nombreux textes de rap fourmillent de références à des lieux, rues, quartiers, tout simplement parce qu’ils chroniquent la réalité sociale observée par leurs auteurs, et que cette réalité est en quelque sorte indissociable de son environnement urbain immédiat. Plus généralement, la culture hip-hop revendique l’appartenance à un territoire, identifié, par exemple, par un numéro de département.
La manière dont Ekoué et Hamé abordent le cinéma me semble donc être un prolongement de cette démarche, via un support et des moyens différents : c’est désormais au travers d’images, d’un écran qu’ils racontent la vie quotidienne de celles et ceux qui ont du mal à joindre les deux bouts, pour employer un doux euphémisme. Les scènes assez courtes qui composent Rue des dames sont autant de couplets millimétrés, rythmés avec soin, qui capturent des scènes de vie marquées par la galère, les embrouilles, les combines parfois. Le film est sans cesse en mouvement et pour cause, on ne souffle pas vraiment quand on se demande où on va habiter le mois prochain. Ce sentiment d’urgence imprime au métrage une dynamique qui elle aussi m’a fait songer au background musical des deux réalisateurs et d’ailleurs, la bande originale du film (plus électro que hip-hop) est très présente.
En termes d’écriture, la sobriété est de mise. Les auteurs ne recherchent pas la dramatisation excessive, encore moins le spectaculaire. En revanche, ils fignolent les détails : même un personnage très secondaire illustre le propos du film, à l’image de ce réceptionniste d’hôtel qui potasse des études scientifiques pendant qu’il accueille des clients, sans doute dans l’espoir d’échapper à sa condition. Chaque motif du récit est travaillé pour former une mosaïque sociale dont l’authenticité fait mouche.
La caractérisation est nuancée : il n’y a pas de grands méchants (en dehors d’un policier vicelard et harceleur campé par Sandor Funtek, mais même lui n’est pas traité sous un angle manichéen), ni de grands gentils d’ailleurs – la galère durcit le caractère. Garance Marillier (révélée par Grave) compose (avec brio) une jeune femme désillusionnée, tranchante et combattive, qui ne se la laisse pas conter et n’a pas le temps pour les politesses. C’est que l’horloge tourne, et la menace de la rue se précise minute après minute.
Rue des dames n’est pas un thriller urbain : il n’y a pas à proprement parler de suspense, même si on se demande parfois comment les choses vont tourner. C’est une chronique urbaine, sobre et concise, dont la matière principale sont des êtres humains en mouvement dans un espace donné. C’est pour cela que la caméra est souvent près des corps, des visages, et qu’elle cadre parfois le nom d’une station (Guy Moquet, entre autres) ou d’une rue. Cet aspect reportage ne signifie pas qu’on n’a pas des beaux plans de cinéma : les réalisateurs ne tombent pas dans le piège de la caméra qui s’agite dans tous les sens pour surjouer un côté documentaire. La réalisation est vivante, nerveuse mais maîtrisée et toujours lisible, tandis que la photographie de César Decharme possède un vrai cachet esthétique.
Le dernier plan du film est beau, avec ce cadre serré sur la protagoniste, de dos. On ne voit donc pas l’émotion sur son visage, mais on la devine. Cela s’appelle de la pudeur, et c’est particulièrement bien vu dans cette séquence.
Rue des Dames chronique la galère ordinaire
avec un alliage d'énergie brute, de précision et de sobriété. Il y a un côté sec, urgent, à l'image du quotidien de l'héroïne, incarnée avec beaucoup de justesse par Garance Marillier (les autres comédiens se montrant tout aussi convaincants). Et quand l'émotion surgit, la caméra reste à distance – pour les larmes non plus, il n'y a pas le temps.
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