Film de Yeo Siew Hua
Pays : Singapour, Pays-Bas, France
Titre original : A Land Imagined
Scénario : Yeo Siew Hua
Photographie : Hideho Urata
Montage : Daniel Hui
Musique : Wei Yong Teo
Avec : Peter Yu, Luna Kwok, Liu Xiaoyi, Jack Tan, Ishtiaque Zico
Les Étendues imaginaires nous plonge dans un Singapour rarement montré au cinéma, que le regard singulier et empathique de Yeo Siew Hua rend particulièrement intriguant et onirique.
Synopsis du film
De nos jours, dans la partie ouest de Singapour. L’inspecteur Lok (Peter Yu) enquête sur la disparition de Wang (Liu Xiaoyi), un ouvrier d’origine étrangère. Il dispose de peu de pistes, mais ses propres rêves, peu à peu, le conduisent au sein d’un cybercafé tenu par Mindy (Luna Kwok), où Wang avait ses habitudes…
Critique de Les Étendues imaginaires
Il y a plusieurs approches possibles quand on veut parler de son pays et de la société dans laquelle on évolue (ou du moins de certains de ses aspects). On peut le faire d’une manière assez frontale, littérale, transparente, et livrer ainsi un film porteur d’un message relativement explicite. On peut aussi prendre des chemins plus sinueux, plus abstraits, sur lesquels on sème des indices épars, volontairement vagues. Des pistes légères, presque invisibles se dessinent, et l’intime se mêle au sociétal, de sorte à ce que l’ensemble stimule davantage les sens et l’émotion que le raisonnement. Touché moins directement mais peut-être plus profondément, le spectateur, s’il a été un minimum séduit par la proposition, reviendra en pensée visiter ce territoire cinématographique mystérieux, pour mieux en saisir rétrospectivement les enjeux.
C’est cette seconde approche qu’a choisie le scénariste et réalisateur Yeo Siew Hua pour Les Étendues imaginaires. Le film, très onirique, évoque une sorte de rêve hanté par des paysages industriels mornes (ceux de l’ouest de Singapour), la solitude des ouvriers (principalement des migrants) et celle d’un inspecteur de police insomniaque qui, face à un cas de disparition ne suscitant qu’indifférence, va tenter de comprendre, de saisir, de partager le quotidien d’un inconnu. En d’autres termes, le film décrit une démarche profondément empathique : celle du policier et en filigrane, celle de Yeo Siew Hua.
À sa façon, toute personnelle, Les Étendues imaginaires emprunte à l’univers du film noir, mais un film noir dont l’intrigue, minimaliste, vise avant tout à explorer un territoire, et la condition, précaire, des êtres qui évoluent en son sein. Un territoire étrange, qui s’agrandit peu à peu et qui change en permanence, comme l’explique très bien l’auteur : Singapour est un espace qui est toujours en train de subir des transformations, une ville perpétuellement reconstruite, continuellement gagnée sur la mer
. L’idée d’un ailleurs, incarnée par le sable importé des pays étrangers pour contribuer à l’agrandissement continu du territoire, est omniprésente, bien que sous-jacente. De toutes manières, rien n’est martelé sur la tête du public ici ; le film est vaporeux, atmosphérique, d’où un grand soin apporté à la photographie et à une bande son discrète mais immersive.
Si elle possède ces limites (le récit est si aérien qu’il prend le risque de flirter avec l’inconsistance et un certain ennui), cette approche a le mérite d’être homogène et cohérente. Elle parvient, dans tous les cas, à ses fins : Les Étendues imaginaires nous fait voyager à Singapour, mais ce n’est pas un voyage touristique ; il est mental, sensoriel, obscur et intriguant. À son terme, on se pose des questions or en général, c’est signe que l’on vient de voir un film qui, quels que soient les défauts dont il peut souffrir, possède une véritable qualité artistique et porte l’empreinte d’un auteur. Dont on serait inspiré de suivre, en l’occurrence, le parcours futur avec toute l’attention qu’il mérite.
Rencontre avec Yeo Siew Hua et Luna Kwok
Yeo Siew Hua et la comédienne Luna Kwok, qui joue le rôle de Mindy dans le film, évoquent Les Étendues imaginaires dans cette vidéo postée sur la chaîne L’ Incorrect.
Les Étendues imaginaires évoque, au gré d'un récit éthéré, le sort d'un territoire étrangement artificiel et irréel, qui semble n'offrir que peu d'ancrage à ses habitants. On apprécia la manière dont Yeo Siew Hua livre un film dans l'absolu politique et social, sans tomber dans les travers parfois trop démonstratifs du genre. On pourra trouver cela, parfois, trop "flottant" (encore que cela soit pertinent par rapport à la démarche globale de l'auteur), mais il n'en reste pas moins que le film parvient à créer une atmosphère, à rendre compte d'une réalité et à nous interroger sur celle-ci. Il bénéficie également d'un beau casting : Luna Kwok, Peter Yu et Liu Xiaoyi incarnent avec brio leurs personnages respectifs.
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