Film de Woody Allen
Année de sortie : 1977
Pays : États-Unis
Scénario : Woody Allen et Marshall Brickman
Photographie : Gordon Willis
Montage : Ralph Rosenblum
Avec : Diane Keaton, Woody Allen, Tony Roberts, Carol Kane, Paul Simon, Shelley Duvall, Christopher Walken, Colleen Dewhurst, Jeff Goldblum
Alvy Singer: The… the other important joke, for me, is one that’s usually attributed to Groucho Marx; but, I think it appears originally in Freud’s « Wit and Its Relation to the Unconscious, » and it goes like this – I’m paraphrasing – um, « I would never want to belong to any club that would have someone like me for a member. » That’s the key joke of my adult life, in terms of my relationships with women.
Avec Annie Hall, Woody Allen signe sa première comédie dramatique, dont il partage l’affiche avec la lumineuse Diane Keaton. L’un des plus beaux films de son auteur.
Synopsis de Annie Hall
New York, dans les années 70. Alvy Singer (Woody Allen), un comique new-yorkais névrosé, fait le point sur sa relation amoureuse avec son ex-petite amie, Annie Hall (Diane Keaton).
Critique et analyse du film
Annie Hall: La-di-da, la-di-da…
Une tonalité douce-amère
Annie Hall est un film clé, un tournant dans la carrière du très productif cinéaste new-yorkais Woody Allen. C’est en effet le film où il trouva le ton si particulier qui allait ensuite être commun à la majorité de ses œuvres, c’est-à-dire un mélange d’humour et de pessimisme, de légèreté et de mélancolie.
Avant Annie Hall, Allen avait signé plusieurs comédies pures, marquées par un humour absurde voire burlesque (même si on y trouvait déjà des thématiques typiques de son cinéma) ; c’est le cas par exemple de Prends l’oseille et tire-toi, Bananas, Woody et les robots et Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le sexe. Guerre et amour (1975), tourné juste avant Annie Hall, marquait déjà une évolution notable : le budget y est plus conséquent que sur ses films précédents, on y observe une plus grande rigueur sur le plan de l’esthétique (c’est sans doute lié à la question du budget, d’ailleurs), et Allen y aborde les thématiques existentielles récurrentes dans son cinéma, à travers un personnage angoissé confronté à la violence et à la mort (le titre original est d’ailleurs Love and Death). Néanmoins, Guerre et amour reste une comédie à part entière.
Si les œuvres précitées lui ont permis de travailler ses techniques de narration, de mise en scène et ses sujets de prédilection, Annie Hall représente un accomplissement sur le plan artistique, à différents égards. D’ailleurs, le générique de début – totalement muet, comme le générique de fin – annonce déjà, à sa manière, un changement de ton : Annie Hall est un film plus sérieux, plus grave que les précédents. Mais il comporte dans le même temps de nombreuses scènes humoristiques. La vision du film suscite en quelques sortes un sourire triste, une mélancolie aérienne, comme la mélodie de Stardust (composition majeure d’Hoagy Carmichael, un grand maître de l’american songbook que Woody Allen vénère).

La photographie de Gordon Willis
Au niveau formel, Woody Allen confirme l’ambition déjà présente sur Guerre et amour (photographié par Ghislain Coquet, collaborateur de Bresson, Sautet, Polanski, Penn…) en faisant appel au chef opérateur Gordon Willis.
Willis avait notamment déjà collaboré avec deux grands noms du Nouvel Hollywood : Alan J. Pakula et Francis Ford Coppola. Surnommé « prince of darkness » (« prince des ténèbres ») par Conrad Hall (autre prestigieux chef opérateur) en raison de son utilisation des ombres (flagrante sur Klute et sur Le Parrain), Willis est à juste titre considéré comme l’un des directeurs photo les plus influents du cinéma américain moderne. Il apporte à Annie Hall un cachet esthétique précieux, en phase avec la tonalité douce-amère du métrage. Les scènes d’intimité du film, en intérieur comme en extérieur, doivent beaucoup à la finesse de ses éclairages.
On notera que Willis avait déjà, à l’époque, éclairé le beau visage de Diane Keaton, puisque la comédienne joue la femme de Michael Corleone (Al Pacino) dans Le Parrain (photographié par Willis), sorti cinq ans avant Annie Hall.
La naissance d’un alter égo
Annie Hall: Alvy, you’re incapable of enjoying life, you know that? I mean you’re like New York City. You’re just this person. You’re like this island unto yourself.
Alvy Singer: I can’t enjoy anything unless everybody is. If one guy is starving someplace, that puts a crimp in my evening.
Alvy Singer, s’il a des points communs avec plusieurs des précédents personnages écrits et incarnés par Woody Allen, témoigne d’une épaisseur jusque-là inédite dans sa filmographie. Il correspond, dans les grandes lignes, à l’alter égo que réalisateur utilisera fréquemment par la suite.
À bien des égards, même s’il s’agit bien entendu d’une composition, Alvy Singer reflète donc les névroses et les obsessions de son auteur. Son rapport avec New York (Annie le compare d’ailleurs à cette ville), ses relations avec les femmes, ses angoisses et phobies, ses séances de psychanalyse, ses questionnements philosophiques et religieux, sa famille juive de Brooklyn : tous ces éléments sont largement autobiographiques et à quelques détails près, Allen incarnera plus ou moins le même personnage dans ses films suivants.
Diane Keaton, un personnage féminin moderne, à l’image du film dans son ensemble
Quant à Annie Hall, c’est le premier beau portrait de femme (le premier d’une vaste galerie) signé par Woody Allen. La prestance, le charme et la composition de Diane Keaton (qu’Allen avait déjà dirigée dans Guerre et amour et Woody et les robots) ont bien sûr largement contribué à la richesse du personnage. Keaton (qui la même année se distingua par une autre grande performance dans le film À la recherche de Mr Goodbar, de Richard Brooks) recevra d’ailleurs le Golden Globe de la meilleure actrice pour son rôle dans Annie Hall (le film fut couronné de nombreux prix, dont ceux du meilleur réalisateur et du meilleur scénario).

À l’image du film dans son ensemble, la comédienne est à la fois drôle et touchante. Lorsqu’elle chante le standard de jazz It Had To Be You (de Isham Jones et Gus Kahn) ainsi que Seems like Old Times (chanson d’ailleurs ré-utilisée dans la scène finale), il en résulte de gracieux et émouvants moments de cinéma.
Sur le plan de la caractérisation, Annie Hall est une femme de son temps, libre et indépendante. C’est un personnage féminin moderne qui reflète, d’une façon tout à fait singulière et unique (elle ne correspond à aucun stéréotype), l’émancipation féminine initiée, dans les pays occidentaux, au début des années 60. D’ailleurs, ce qualificatif (moderne) convient fort bien au traitement de la relation amoureuse entre Annie et Alvy dans le film. Leur histoire, relativement courte et dans laquelle il n’est jamais question d’enfant ou de mariage, traduit en quelques sortes, parallèlement à ses spécificités, l’évolution de la société et de ses mœurs.
Bien entendu, Annie Hall n’est pas le premier film à montrer cela, mais néanmoins il demeure représentatif d’un traitement moderne de la relation amoureuse au cinéma et à ce titre, allait s’imposer comme un modèle, une référence majeure dans un genre qu’on qualifiera selon les cas de comédie sentimentale, dramatique ou romantique.
Le dernier plan : une trouvaille géniale
Woody Allen fait partie de ces cinéastes chez lesquels l’effort, la recherche esthétique n’est pas immédiatement visible. Les plans s’enchaînent avec une grande fluidité, une forme d’évidence ; on ne pense jamais à la caméra ou à la technique devant un film d’Allen ce qui, d’ailleurs, est souvent très bon signe : Orson Welles disait que les meilleurs plans séquence étaient ceux que le public ne remarquait pas.
Les plans de caméra démonstratifs ou mouvements d’appareil ampoulés sont absents ici. La réalisation est entièrement au service du récit et des comédiens, des idées et de l’émotion – et bien sûr du rythme, cette dimension essentielle que partagent la littérature, le cinéma et la musique. Et quand Allen utilise le split screen (voir ci-dessous), c’est pour exprimer une idée précise (en l’occurrence, le manque de communication au sein du couple).
Notons d’ailleurs que ce n’est pas un split screen à proprement parler, puisque sous les conseils de Gordon Willis, Allen a utilisé une astuce (se reporter à la légende de l’image ci-dessous) qui a permis aux deux comédiens de jouer ensemble dans le même plan (source : Woody Allen: a documentary).

Épaulé par Gordon Willis, Allen parvient en très peu de plans à créer des moments de vie. Il fonctionne par petites touches, à l’économie, résumant tout un stade de la relation à une éphémère promenade à la fin du jour, visible pendant quelques secondes à l’écran mais remarquablement évocatrice (une synthèse à elle seule des ballades amoureuses au crépuscule !). Car si le film dépeint une relation assez complexe et nuancée, Allen excelle également dans l’art de créer des instants d’intimité simples, drôles et émouvants. C’est le cas par exemple dans la scène finale, où la voix-off, la chanson interprétée par Keaton et un bref enchaînement d’images suffisent à créer un saisissant sentiment de nostalgie, avec beaucoup de retenue et de pudeur.
Le dernier plan du film est d’ailleurs révélateur du génie de cinéaste de Woody Allen. La situation est simple : Alvy et Annie Hall sont dans la rue, ils se disent au revoir puis il la regarde s’éloigner. Il y avait évidemment plein de manières, plus ou moins classiques, de filmer cette scène, mais Woody Allen a choisi de poser sa caméra à l’intérieur d’un café situé à proximité – exactement comme si le spectateur était assis à l’une des tables et regardait un homme et une femme se séparer.
Cette position de témoin, cette distance soudaine créée par l’emplacement de la caméra nous interpelle évidemment bien plus que ne l’aurait fait un banal plan rapproché, et nous renvoie à l’une des fonctions majeures de l’art narratif : le cinéma, la littérature répondent en quelques sortes à ces questions qui nous traversent parfois quand nous observons des gens dans la rue (qui sont-ils ? qu’ont-ils vécu ensemble ?). La scène est une leçon de cinéma : elle montre comment un plan très simple techniquement mais avec un vrai point de vue peut véhiculer une émotion profonde.

[…] what happens in a guy’s mind
Au niveau de la construction du scénario, Allen et le co-scénariste Marshall Brickman ont opté pour une structure non linéaire, qui leur permet d’alterner, au fil de la narration, entre les différentes phases de l’histoire. Annie Hall nous est raconté par un intellectuel urbain rêveur, un bavard mélancolique et névrosé qui suit le fil de ses souvenirs et de ses réflexions, et non l’ordre chronologique des événements. Que ce soit par le biais de la voix-off ou d’un échange entre des personnages, le film passe donc sans cesse d’une époque à l’autre, la fluidité de l’écriture et de la réalisation facilitant ce processus.
Allen utilise un procédé qu’il affectionne particulièrement (déjà présent dans Guerre et amour), où le narrateur regarde la caméra et s’adresse directement au spectateur ; Annie Hall s’ouvre d’ailleurs sur une scène de ce type. Cette astuce narrative est d’autant plus intéressante qu’Allen l’utilise souvent au cours d’une séquence comportant un ou plusieurs autres personnages, ce qui indique que le film est une projection des pensées et souvenirs d’Alvy Singer.
Nous sommes d’une certaine façon « dans sa tête » (d’où le parti pris en termes de construction). C’était d’ailleurs l’un des objectifs de Woody Allen sur ce film : The film was supposed to be what happens in a guy’s mind
, déclara-t-il au sujet de Annie Hall, ce qui revient à dire que le résultat final n’est pas totalement conforme à son intention initiale.

Le casting
Annie Hall propose une savoureuse galerie de personnages secondaires, dont le dragueur sûr de lui incarné par Tony Roberts (que Woody Allen retrouvera pour Radio Days, Stardust Memories, Hannah et ses sœurs et Comédie érotique d’une nuit d’été) et Duane, le frère d’Annie Hall, un dépressif aux tendances suicidaires qu’interprète Christopher Walken (qui allait connaître la consécration, un an plus tard, dans Voyage au bout de l’enfer, de Michael Cimino). On croise également dans le film Shelley Duval (3 Women, de Robert Altman ; Shining, de Stanley Kubrick), Carol Kane (Un Après-midi de chien), Jeff Goldblum (La Mouche) et même Sigourney Weaver (Alien) dans sa toute première apparition au cinéma.

Enfin, l’écrivain Truman Capote et le philosophe Marshall McLuhan (qui apparaît dans une scène surréaliste pour donner raison à Singer/Allen, outré par les propos d’un intellectuel verbeux alors qu’il fait la queue pour aller au cinéma) complètent un casting aussi varié que prestigieux.

Sleepy Lagoon
Voici Sleepy Lagoon, interprété par Tommy Dorsey et son orchestre. Il s’agit d’un morceau de jazz (1942) paisible et mélancolique que l’on entend à plusieurs reprises dans Annie Hall (au cours des flashbacks dédiés à l’enfance du personnage principal).
Articles sur Diane Keaton
Diane Keaton en quatre films : Annie Hall, de Woody Allen ; À la recherche de Mister Goodbar, de Richard Brooks ; Reds, de Warren Beatty et L’Usure du temps d’Alan Parker.
Seems Like Old Times par Diane Keaton : extrait commenté d’Annie Hall
Annie Hall est un film qui fit passer un palier à Woody Allen, aussi bien sur le plan de l'écriture que de la réalisation. Et si on peut en dire bien des choses, on peut aussi le résumer ainsi : voilà une touchante (et moderne) histoire d'amour dans un "décor" mythique (New York), éclairée par une photographie élégante et raffinée, incarnée par une superbe comédienne et bercée par une musique empreinte de nostalgie. La-di-da, la-di-da...
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