Film de Sidney Lumet
Année de sortie : 1975
Titre original : Dog Day Afternoon
Pays : États-Unis
Scénario : Frank Pierson
Photographie : Victor J. Kemper
Montage : Dede Allen
Avec : Al Pacino, John Cazale, Charles Durning, James Broderick, Chris Sarandon, Carol Kane, Sully Boyar
In the future, everyone will be world-famous for 15 minutes.
Andy Warhol, en 1968.
Un Après-midi de chien, l’un des sommets de la carrière de Sidney Lumet, est très représentatif, par bien des aspects, de la société américaine des années 70. Al Pacino y livre l’une de ses compositions les plus saisissantes.
Synopsis d’Un Après-midi de chien
Sonny (Al Pacino), Sal (John Cazale) et un complice qui s’enfuit dès le début de l’opération braquent une banque située à Brooklyn. Il s’agit de leur tout premier coup.
Très vite, une employée de banque leur apprend qu’en raison d’un transfert effectué le jour même, il ne reste plus que mille dollars et quelques dans le coffre. Tandis que les deux hommes s’apprêtent à partir avec leur maigre butin, Sonny reçoit un coup de fil de l’inspecteur Moretti (Charles Durning), qui lui signale que la police les attend dehors et le somme de se rendre.
Dans la foulée, le FBI, les médias et une foule de curieux se pressent sur les lieux du braquage…
Critique du film
Un Après-midi de chien est basé sur un article intitulé « The Boys in the Bank« , écrit par P. F. Kluge et Thomas Moore, et relatant un fait divers survenu le 22 août 1972 ; à savoir le braquage d’une banque localisée à Brooklyn par les dénommés John Wojtowicz et Salvatore Naturile.
L’article décrivant Wojtowicz comme « un homme mince à la peau mate avec une belle gueule cassée à la Dustin Hoffman ou Al Pacino », ce dernier se voit proposer le rôle principal, retrouvant ainsi Sidney Lumet qui l’avait dirigé deux ans plus tôt dans Serpico (1973), film également inspiré de faits authentiques. Le scénario est signé Frank Pierson, qui avait notamment écrit celui de Luke la main froide (1967), un joli film avec Paul Newman.
L’histoire étonnante rapportée par P. F. Kluge et Thomas Moor constituait une opportunité de réaliser un film policier s’éloignant radicalement des conventions du genre, opportunité que le brillant cinéaste Sidney Lumet a su saisir ; de par sa portée sociale évidente, sa dimension humaine et son épaisseur psychologique, Un Après-midi de chien témoigne en effet d’une originalité et d’une richesse qui lui confèrent, plus de 35 ans après sa sortie, une aura intacte.
A travers une singulière histoire de prise d’otages, Un Après-midi de chien aborde plusieurs thématiques et phénomènes tantôt propres à la société américaine de l’époque, tantôt plus intemporels ou relatifs aux sociétés occidentales modernes en général. Le film parle notamment des inégalités sociales, des travers de la justice américaine et de la condition des citoyens afro-américains (le personnage joué par Al Pacino fait référence, dans une scène clé du film, à la mutinerie de la prison d’Attica), de la guerre du Vietnam (à laquelle les deux braqueurs ont participé), du cynisme et de l’impact des médias (sujet que Sidney Lumet explorera davantage encore l’année suivante avec le visionnaire Network).
Lorsque Sonny, la première fois qu’il sort de la banque pour négocier avec l’inspecteur Moretti (Charles Durning), hurle Attica
et Put your fucking guns down
(à l’attention des policiers), il incarne soudain la révolte de toute une génération d’américains à l’égard de l’establishment, comme le souligne très bien la réaction admirative de la foule à chacune de ses apparitions. Il devient également, parfois sans le vouloir, le « représentant » de plusieurs communautés alors largement discriminées. En ce sens, ce personnage possède une évidente dimension iconique.
Parallèlement à cette dimension iconique, Sonny reste avant tout un individu, un homme avec ses propres problèmes et qui agit pour des raisons très personnelles. On ne parvient d’ailleurs jamais à une compréhension totale et exhaustive de ce personnage : il garde une part de flou et de mystère. C’est ce qui en fait d’ailleurs un beau personnage de cinéma. La composition d’Al Pacino, à la fois intense et nuancée, lui rend pleinement justice. Notons aussi que son homosexualité est traitée sans la moindre note caricaturale, ce qui n’était pas très fréquent à l’époque (sans parler de tous les films bien plus récents que celui-ci, où les personnages homosexuels sont grossièrement représentés).

Les otages. En haut noir à col blanc, vers la droite, on aperçoit Carol Kane, qui a joué dans « Ce plaisir qu’on dit charnel » (1971), « Annie Hall » (1977), « Princess Bride » (1987). Au fond, devant John Cazale, se tient Sully Boyar (« L’Honneur des Prizzi », « In the Soup », « Somebody to Love »).
Conformément à son habitude, Sidney Lumet privilégie les aspects humains, psychologiques, sociologiques et politiques du récit à toute forme de spectaculaire. Pratiquement dépourvu de musique, excepté lors du générique de début (rythmé par une chanson d’Elton John, en revanche le générique de fin est muet en dehors des bruitages), Un Après-midi de chien est assez représentatif de la sobriété de son approche ; et quand l’émotion affleure (voire la scène de la lecture du testament, ou encore le plan sur le regard perdu de Sal/Cazale dans le bus), elle n’est jamais inutilement surlignée.
L’année suivante, Lumet signera le brillant Network, qui à sa façon est un autre film éminemment politique livrant une critique féroce des médias, déjà perceptible dans Un Après-midi de chien.
A propos du film et de l’histoire
Comme indiqué ci-dessus, le film comporte de nombreuses références historiques et culturelles.
La mutinerie de la prison d’Attica évoquée par Sonny dans Un Après-midi de chien s’est déroulée en septembre 1971. Elle a été déclenchée par la mort du prisonnier George Jackson, un activiste noir tué pendant une tentative d’évasion ; mais les prisonniers évoquèrent également la violence et la racisme des gardiens, ainsi que plus généralement des conditions de détention indignes, parmi leurs motifs de mécontentement. Un soulèvement et une prise d’otages eurent lieu, provoquant une répression militaire sanglante. Lire Mutinerie de la prison d’Attica, sur Wikipédia. Mise à jour : un numéro d’Affaires sensibles (l’émission de Fabrice Drouelle sur France Inter) a été dédiée à cet évenement en novembre 2022 > 1971 : les révoltés d’Attica.
Quand la relation homosexuelle de Sonny est révélée à la télévision, une partie de la communauté gay, alors largement discriminée et mal acceptée dans la société, le soutient.
Le livreur qui apporte des pizzas à Sonny au cours d’une scène du film s’écrie, une fois sa « mission » accomplie, I’m a fucking star
. On pense ici au fameux quart d’heure de célébrité évoqué par Andy Warhol en 1968 : Dans le futur, chacun aura droit à 15 minutes de célébrité mondiale
. La phrase, qui faisait référence au pouvoir des médias, s’applique d’ailleurs également au personnage joué par Al Pacino.
Autres anecdotes
John Wojtowicz, qui fut condamné à 20 ans de prison (il sortit au bout de 14 ans), s’il fut profondément dérangé par plusieurs aspects du film (selon lui non conformes à la réalité), loua la mise en scène de Lumet (the directing by Mr. Sidney Lumet was fantastic
) ainsi que les prestations d’Al Pacino (Al Pacino’s performance has to be called “out of sight”
) et de Chris Sarandon (Chris Sarandon who portrays my male lover in the movie also deserves the Academy Award for Best Male Supporting Actor
). Lire Real Dog Day Hero tells his story.
Le titre du film fait référence à l’expression dog days of summer
, qui désigne les jours les plus chauds de l’été.
Récit intelligent et subtil (le film ne tombe jamais, d'un côté comme de l'autre, dans le manichéisme) d'un fait divers intéressant ; portrait d'un homme complexe ; miroir, par bien des aspects, de l'Amérique des années 70 : Un Après-midi de chien n'a pas usurpé sa réputation de grand classique du cinéma. L'année suivante, avec Network (1976), Sidney Lumet ajoutera à son impressionnante filmographie une autre pièce de choix, poursuivant à travers cette brillante satire de la télévision son observation aiguë des réalités, travers et paradoxes de la société moderne.
Un commentaire
Enoooooorme !film avec le regreté John Cazale. Un de mes Lumet preferé. Mais que dire des autres, que ce soit the Offence ,Serpico, Crusing,The Prince Of New York, Network etc… Puisse les génerations futures s’abreuver de ces nectars.