Film de Sidney Lumet
Titre original : The Hill
Année de sortie : 1965
Scénario : Ray Rigby, d’après la pièce The Hill, de Ray Rigby et R.S. Allen
Photographie : Oswald Morris
Montage : Thelma Connell
Pays : Royaume-Uni
Avec : Sean Connery, Harry Andrews, Ian Bannen, Ossie Davis, Ian Hendry, Roy Kinnear, Michael Redgrave.
Sergent-Major Wilson: Then there’s the Commandant. The Commandant signs bits of paper. He’d sign his own death warrant if I gave it to him.
La Colline des hommes perdus met en scène un schéma dramatique affectionné par le réalisateur Sidney Lumet : l’individu confronté aux travers d’un système (en l’occurrence, l’armée).
Synopsis de La Colline des hommes perdus
Pendant la seconde guerre mondiale, dans un camp de détention militaire britannique localisé dans le désert Libyen. Le sergent-major Wilson (Harry Andrews) met un point d’honneur à « mater » les prisonniers pour en faire de « vrais soldats ». L’une des épreuves les plus éprouvantes : monter et descendre plusieurs fois d’affilée une colline artificielle érigée par les détenus, au beau milieu du camp.
Wilson confie à l’un de ses subordonnés, le sergent Williams (Ian Hendry), la responsabilité d’un nouveau groupe de prisonniers, dont un dénommé Joe Roberts (Sean Connery). Mais Williams est un sadique et un pervers, et très vite la situation va dégénérer…
Critique du film
La Colline des hommes perdus est très représentatif du cinéma de Sidney Lumet et de ses thématiques fétiches. Dans plusieurs de ses films, le réalisateur met en scène la confrontation, souvent extrêmement tendue, entre un ou plusieurs individus au sein d’un système plus ou moins perverti et déséquilibré. Dans l’étonnement visionnaire Network, il s’agit de la télévision ; dans Serpico et Le Prince de New York, de la police ; dans Douze hommes en colère, son premier film, de la justice. Ici, il s’agit de l’armée.
Le scénario de Ray Rigby, adapté d’une pièce qu’il a coécrite avec R.S. Allen, est en effet une illustration saisissante des dérives du système militaire ; l’autorité et le pouvoir, au sein du camp où se déroule l’action de La Colline des hommes perdus, sert davantage à humilier et à briser l’individu qu’au bon fonctionnement de l’armée et à la formation de ses membres. L’approche est intelligente car suffisamment nuancée, en ce sens que l’autorité militaire est incarnée dans le film par quatre personnages au profil psychologique bien distinct.

Williams (Ian Hendry) et Harris (Ian Bannen)
Le sergent-major Wilson (Harry Andrews) est dur et souvent injuste, mais il agit dans la conviction de bien faire – même si ses choix sont plus que discutables, et sa lucidité très relative. Il croit à un « code » désuet, qu’il ne parvient pas à appliquer avec suffisamment de bon sens et d’humanité. Williams (Ian Hendry) représente quant à lui l’archétype du gradé qui utilise son pouvoir pour rabaisser les autres et asseoir sa supériorité : à l’inverse de Wilson, ses actions ne sont jamais motivées par une éthique quelconque, même douteuse, mais uniquement par sa perversité. Le commandant (Norman Bird) synthétise à lui seul l’absurdité du système : alors qu’il est censé représenter l’autorité la plus forte au sein du camp il brille par son absence et son inconséquence, passant le plus clair de son temps à jouir de relations sexuelles tarifées et ignorant royalement ce qui se passe dans la prison… Quant à Harris (Ian Bannen), il sert en quelques sortes de contrepoids, étant le seul à percevoir la démence de Williams et l’aveuglement de Wilson. Ce n’est pas un hasard s’il vient de l’extérieur (son arrivée au camp coïncide pour ainsi dire avec le début du film) : il apporte avec lui un recul, une lucidité et un bon sens dont ses « collègues » sont totalement dépourvus, et qui va évidemment jouer un rôle majeur dans le déroulement du film.
Face à eux, le groupe de prisonniers dont fait partie Joe Roberts (Sean Connery) témoigne d’une égale variété de caractères. Comme souvent dans les films tirés de pièce de théâtre, les personnages sont très clairement définis et c’est incontestablement l’une des forces du film. Sean Connery trouva d’ailleurs en Joe Roberts un personnage consistant et nuancé qui lui permit une nouvelle fois – un an environ après Pas de printemps pour Marnie (d’Alfred Hitchcock) – de prouver que sa prestation dans les deux premiers James Bond (les bons crus Dr. No et Bons baisers de Russie) n’allait pas le cloisonner dans un unique registre : il est particulièrement juste dans le film de Lumet, qui quelques années plus tard le dirigera à nouveau dans The Offence, l’un de ses chefs d’œuvre.

Joe Roberts (Sean Connery)
La trame de La Colline des hommes perdus repose donc sur les rapports entre les prisonniers et les militaires qui dirigent le camp ; rapports que Sidney Lumet met en scène dans un quasi huis clos, avec une inventivité et une efficacité qui renforcent le propos et permettent en outre d’échapper au piège du « théâtre filmé ».
Le metteur en scène utilise ainsi plusieurs effets de réalisation pour exprimer l’enfermement, la sensation d’étouffement, le vertige, la tension, voire la folie ambiante. Utilisation fréquente de gros plans ; caméra subjective représentant le point de vue des prisonniers ; découpage parfois très prononcé, comme lorsque Roberts se rend à la pseudo visite médicale. Dans cette très courte séquence s’enchaînent en effet six ou sept plans montrant successivement Roberts, Williams et Wilson ; montage préfigurant clairement les relations conflictuelles qui vont se développer entre ces trois personnages. A plusieurs reprises, Lumet exprime les différents rapports de pouvoir par sa manière de positionner la caméra : dans l’une des premières scènes, il cadre intelligemment Harry Andrews en contreplongée pour montrer sa position dominante au sein du camp. Il fera d’ailleurs exactement l’inverse vers la fin du film, cadrant le même personnage en plongée à un moment où son influence est mise à mal.

Wilson (Harry Andrews). Cette prise de vue en contreplongée exprime son pouvoir et son autorité.
Parallèlement, Lumet exprime l’impact et la violence de Williams en le faisant surgir brusquement dans le champ, ou encore en le cadrant en premier plan, son visage dévorant littéralement l’image – ce qui ne manque pas d’exprimer le pouvoir nuisible qu’il représente. Le réalisateur fait ainsi preuve d’une grande habileté dans sa manière de souligner, à travers les angles de vue et le montage, les rapports entre les différents personnages et leurs évolutions au cours du film.

Williams (Ian Hendry), dans un plan qui traduit son impact considérable – et nuisible – sur le quotidien du camp militaire.
Lumet utilise remarquablement bien le décor pour concevoir des plans symboliques qui illustrent le propos (voir le plan tout en haut de l’article), réaffirmant son talent pour mettre en scène les rapports de force entre des individus prisonniers d’un système gangréné par la folie, le cynisme ou le non-sens ; talent qu’il démontrera par la suite bien des fois dans sa carrière.
Le casting
Aux côtés du toujours charismatique Sean Connery (The Molly Maguires), qui comme précisé plus haut livre une composition très juste dans La Colline des hommes perdus, on retrouve d’autres très bons acteurs.
- La Colline des hommes perdus donna à Ian Bannen son premier rôle important au cinéma. Il retrouvera Sean Connery pour un face à face particulièrement vertigineux et éprouvant dans le génial The Offence (1972), du même Sidney Lumet, qui offrit à Connery le rôle le plus sombre et torturé de sa carrière (le film ne sortit en France qu’en 2007, tant sa noirceur fut mal perçue à l’époque). Ian Bannen tourna dans d’autres films importants tels que Le Piège, de John Huston, La Chevauchée sauvage de Richard Brooks et Fatale, de Louis Malle.

Ian Bannen et Sean Connery
- Michael Redgrave, qui interprète le médecin du camp, a tourné avec d’illustres réalisateurs, dont Orson Welles (dans Dossier secret), Fritz Lang (dans Le Secret derrière la porte), Alfred Hitchcock (dans Une Femme disparaît), Joseph Losey (dans Temps sans pitié et Le Messager), Joseph L. Mankiewicz (dans Un Américain bien tranquille) et Jack Clayton (dans Les Innocents, remarquable adaptation du roman culte de Henry James Le Tour d’écrou).

Michael Redgrave
- Harry Andrews, avec son visage dur et sévère, est parfait dans le rôle de l’implacable sergent Wilson. Il tourna notamment dans Moby Dick, de John Huston, Trop tard pour les héros de Robert Aldrich (dans lequel il retrouva Ian Bannen) et dans Mort sur le Nil, divertissante adaptation du roman éponyme d’Agatha Christie. Lumet le dirigera à nouveau dans Equus, avec Richard Burton. Détail amusant : il fait partie, avec Marlon Brando, du casting de Le Corrupteur, préquelle douteuse (signée Michael Winner) de Les Innocents (ou du livre dont il est tiré, c’est selon) dans lequel joue Michael Redgrave, qui donne la réplique à Andrews dans La Colline des hommes perdus.
- Ossie Davis, qui joue le rôle de Jacko King, le prisonnier noir (le film délivre d’ailleurs un message clairement anti-raciste), tournera plus tard dans pas moins de cinq films de Spike Lee (School Daze, Do the Right Thing, Jungle Fever, Malcolm X et She Hates Me). Il joue aussi dans le mythique et hilarant Bubbah Ho-tep (de Don Coscarelli) le rôle d’un vieux fou persuadé d’être J.F. Kennedy (dans le même film, Bruce Campbell est convaincu d’être Elvis).

Ossie Davis et Ian Hendry
- Ian Hendry, qui incarne le pervers et sadique sergent Williams dans La Colline des hommes perdus, tourna à la même époque aux côtés de Catherine Deneuve dans le célèbre Répulsion, de Roman Polanski. Dans les années 70, il sera dirigé par Michelangelo Antonioni dans le superbe Profession : Reporter, avec Jack Nicholson.
La photographie
La photographie de La Colline des hommes perdus est signée Oswald Morris. Cet excellent chef opérateur britannique a travaillé entre autres sur Moby Dick, Le Piège et L’Homme qui voulut être roi de John Huston (avec Sean Connery). Bien que non crédité, il a apparemment également participé à la photo de Reflets dans un œil d’or, du même réalisateur. Morris est aussi l’auteur de la photographie de L’Espion qui venait du froid, le très bon film d’espionnage de Martin Ritt avec Richard Burton, et du célèbre Lolita de Stanley Kubrick. Sidney Lumet fera de nouveau appel à lui sur Equus.
Grâce à un scénario bien construit, à des personnages consistants et à une réalisation et un montage précis et expressifs, La Colline des hommes perdus maintient une constante tension dramatique. Un film qui reflète la finesse d'observation de son regretté auteur, qui excellait dans l'art de dépeindre les failles des systèmes - et des individus.
3 commentaires
Bon ben je ne peut pas non plus ne pas parler de Sydnet Lumet qui reste un de mes realisateur favori pour de multiples raisons. Sociales, psychologiques, et un sens du cadrage que ce soit dans des films comme Network, Serpico, Un apres midi de chien etc…Le prince de New york etant un des plus beau mais aussi un des plus méconnu avec the offence que j’ai découvert grace a toi. Derniere chose en apparté, la tronche de William Holden dans the Wild Bunch je crois, donne le ton de ton blog. Et c’est toujours un plaisir de voir ce genre d’acteur qui comme Kirk Douglas ou Burt Lancaster (liste non exaustive) a su donner au cinéma américain ces lettres de noblesse.
Tu avais parlé de « La colline des hommes perdus » dans un de tes commentaires je me suis donc procuré le film dans la foulée… Effectivement grand réalisateur, précis et assez sobre à la fois, il ne cherche jamais à t’épater avec la caméra, il est vraiment au service de l’histoire et des personnages.
« The Offence » restera celui qui m’a le plus estomaqué, il est d’une noirceur, d’une force… Plus mineur et moins « typique » du cinéma de Lumet, « The Fugitive Kind » vaut tout de même le coup, ne serait-ce que pour le duo Brando (hypnotisant, c’est d’ailleurs en voyant ce film que Nicolas Cage a eu l’idée de la veste en peau de serpent dans « Sailor et Lula » je crois) et Anna Magnani. Et je n’ai toujours pas vu « Douze hommes en colère »…
William Holden… Le plan est issu de « la horde sauvage » tu l’auras sans doute remarqué. Je l’adore aussi dans « Sunset Boulevard », quel chef d’œuvre d’ailleurs…
Connery à nouveau remarquable ; à mettre en parallèle avec « Full Metal Jacket ».