Film de John Huston
Année de sortie : 1967
Titre original : Reflections in a Golden Eye
Pays : États-Unis
Scénario : Chapman Mortimer et Gladys Hill, d’après le roman de Carson McCullers Reflections in a Golden Eye
Photographie : Aldo Tonti et (non-crédité) Oswald Morris
Montage : Russell Lloyd
Musique : Toshirô Mayuzumi
Avec : Marlon Brando, Elizabeth Taylor, Robert Forster, Julie Harris
Anacleto: Look ! A peacock. A sort of ghastly green, with one immense golden eye. And in it… these reflections of something tiny and… tiny and…
Alison Langdon: Grotesque.
Anacleto: Exactly.
À travers ses somptueuses – et singulières – images dorées, Reflets dans un œil d’or illustre des destinées marquées par la solitude, l’ignorance et le grotesque.
Synopsis de Reflets dans un œil d’or
Dans un fort en Georgie, où « il y a quelques années, un meurtre a été commis » (citée à la fin du générique, la phrase ne permet pas de savoir si le crime en question est antérieur ou ultérieur au début du film), le Major Penderton (Marlon Brando) méprise sa femme, l’infidèle Leonora (Elizabeth Taylor), tout en éprouvant un désir coupable pour le soldat Williams (Robert Forster). Celui-ci, obsédé par Leonora, se glisse dans sa chambre la nuit pour l’observer dormir.
Cet étrange et absurde triangle évolue dans un climat suffocant de non dits, de jalousie, de frustrations et de mensonges.
Critique du film
Reflets dans un œil d’or, un Huston maudit
Si John Huston est un monument du cinéma américain – en témoignent les grands classiques que sont Le Faucon Maltais, African Queen, Le Trésor de la Sierra Madre, Les Désaxés, L’Homme qui voulut être Roi, La Nuit de l’Iguane, et son dernier chef d’œuvre Gens de Dublin, d’après James Joyce –, une partie conséquente de sa filmographie est restée relativement confidentielle.
Avant leur récente édition en DVD, il était en effet difficile de voir des films comme Wise Blood, Fat City, Under the Volcano (adapté du roman fulgurant Au-dessous du volcan de Malcom Lowry). Reflets dans un œil d’or fait partie de cette même zone d’ombre dans la filmographie de John Huston ; zone passionnante à explorer, car contenant des œuvres souvent au moins aussi accomplies que les grands classiques du réalisateur.

La vision du film permet toutefois de comprendre pourquoi il ne compte pas parmi les succès commerciaux du metteur en scène de Key Largo : sombre, lent et montrant deux immenses stars dans des contre emplois, Reflets dans un œil d’or avait peu de chance de séduire le grand public. Celui-ci, avant de le bouder dans les salles obscures, avait d’ailleurs contribué en quelques sortes à altérer la particularité visuelle du film.
En effet, la version voulue par John Huston, composée d’images sépia, dorées (référence évidente au titre du roman de Carson McCullers), a totalement dérouté les premiers spectateurs, ce qui incita les producteurs à sortir une copie aux couleurs « classiques » (la copie dorée ayant définitivement disparu par la suite). Heureusement, un remarquable travail de restauration a été effectué et le film est aujourd’hui disponible dans la version souhaitée par son auteur ; lequel, décédé en 1987, n’aura malheureusement pas eu la chance d’apprécier le résultat par lui-même.
Résultat tout à fait brillant : Reflets dans un œil d’or est une réussite totale sur le plan formel, restant, à ce niveau, l’une des expériences les plus intéressantes de John Huston. La lumière et les teintes dorées du film donnent lieu à des compositions singulières et fascinantes.

Peinture de l’absurde et du grotesque de l’existence
Au niveau du fond, Reflets dans un œil d’or est d’une noirceur absolue. Tout est dit dans la réplique citée au début de cet article ; dans l’œil doré d’un paon se mire une image petite et grotesque – deux adjectifs qualifiant assez bien la plupart des personnages du film.

Le Major Penderton (Marlon Brando) est un militaire obsédé par l’ordre (cela se ressent jusque dans sa voix et sa diction, grâce au jeu encore une fois extraordinaire de Brando) et la normalité. Ses désirs refoulés envers le soldat Williams suscitent donc un conflit intérieur violent ; en attestent les scènes où son visage adopte successivement une expression rêveuse, béate, puis soudainement plus fermée et sévère, tout comme ses accès de violence incontrôlés.
Son épouse Leonora (Elizabeth Taylor) est certes belle mais elle est aussi vulgaire, stupide et égoïste, au point que l’admiration aveugle que lui voue le soldat Williams (il ne la connaît absolument pas) présente une dimension à la fois touchante et absurde, en ce sens qu’elle est basée sur une image, une construction, davantage que sur une réalité. Leonora humilie régulièrement Penderton, lui jetant à la figure son absence de virilité (le couple fait chambre à part), ce à quoi le Major répond de façon ridicule : en regardant ses muscles dans la glace, par exemple, ou encore en tentant de maîtriser son rival symbolique, le cheval Firebird (que Leonora qualifie, sans innocence aucune, d’ «étalon»), pour finir traîné dans la boue par l’animal (au cours d’une scène exceptionnellement bien filmée).

L’autre couple du film, composé du lieutenant colonel Morris et de son épouse Alison, est miné par la même absence de communication et probablement de sentiments ; la femme, brisée par la perte de sa fille, se réfugie dans la compagnie douteuse d’un serviteur philippin bienveillant mais clownesque, tandis que l’homme la trompe ouvertement avec Leonora.
Les relations dépeintes dans le film sont vaines, sans doute parce qu’elles s’établissent entre des êtres qui ignorent tout des autres et d’eux-mêmes. Des êtres dont nous savons nous-mêmes peu de choses : comme son titre le suggère, Reflets dans un œil d’or reste à la surface des individus et des événements (parti pris que certains lui reprochèrent, sans doute à tort). Cette distance finalement assez inhabituelle dans le cinéma de John Huston est ici totalement justifiée par le sujet d’un film dont les personnages sont empêtrés dans leur solitude, leur frustration, leur ignorance et leur incapacité à communiquer.
Le spectateur perçoit la dimension grotesque de l’histoire notamment parce que sa compassion, son empathie n’est pas suscitée. En réalité, Reflets dans un œil d’or est un peu à l’image de ces séquences montrant le soldat Williams admirer en secret la belle Léonora ; il dégage une beauté hypnotique mais qui est avant tout une surface, sous laquelle s’agite une réalité beaucoup moins flatteuse. En un sens, l’une des rares choses « pures » dans le film est l’admiration ignorante du soldat Williams ; mais elle est également, d’un autre point de vue, dérisoire.
C’est donc fort logiquement que Reflets dans un œil d’or s’achève sur un mouvement de caméra répétitif, aliénant, qui ne réunit jamais les personnages dans un même cadre – séquence paroxystique qui cristallise l’enfermement et l’absence de communication dépeints dans le film.
Les prestations de Marlon Brando et d’Elizabeth Taylor, deux acteurs hors du commun, contribuent à faire de cette œuvre singulière l’une des plus grandes réussites de John Huston ; le réalisateur en était d’ailleurs particulièrement fier.
Anecdotes
Montgomery Clif pressenti pour le rôle de Penderton
C’est Montgomery Clift qui devait initialement tenir le rôle du Major Penderton dans Reflets dans un œil d’or. L’acteur aurait ainsi retrouvé Elizabeth Taylor, avec laquelle il avait partagé, en 1959, l’affiche de Soudain l’été dernier, remarquable film de Joseph L. Mankiewicz. Mais pour des raisons de santé, ce choix fut écarté. « Monty » Clift mourut d’ailleurs peu de temps avant le début du tournage. John Huston se tourna donc vers Marlon Brando, qui se montra d’abord hésitant puis accepta.
Le sens de l’improvisation de Marlon Brando
Au cours du tournage de la scène dans laquelle Penderton se livre à un monologue nostalgique près de la cheminée, en présence de Leonora et du colonel Morris, John Huston fit faire plusieurs prises à Marlon Brando, même si de son propre aveu la première était déjà parfaite. L’acteur livra à chaque prise quelque chose de différent. C’est notamment à cette occasion que John Huston mesura la capacité de Brando à improviser.
Reflets dans un œil d'or est sans doute l’œuvre la plus audacieuse de John Huston sur le plan purement visuel. Sa froideur et sa noirceur pourront rebuter (il n'y a, dans le film, pas un instant où deux personnes communiquent et se comprennent vraiment), mais il s'agit d'un film esthétiquement ambitieux, servi par des compositions habitées de Marlon Brando et d'Elizabeth Taylor.
14 commentaires
Tout ceci m’a l’air follement primesautier…
Elizabeth Taylor est une très bonne actrice mais qu’est-ce qu’elle a les fesses molles!!! je trouve que Marlon Brando en fait un peu trop parfois, quand on voit sa tronche en gros plan; mais sinon, un pur chef d’oeuvre; je trouve que c’est un des meilleurs Huston; je ne comprends pas la critique de non profondeur; non seulement, vu le thème, tout ne peut être vu qu’à la surface d’une rétine, mais je trouve que Penderton est un des personnages les plus profonds du cinéma!!!! on perçoit si subtilement ses frustrations, ses désirs, il est tellement vivant! il est aussi peu couillu que moi et tout aussi à moitié homo, (c’est peut être pour ça que je le trouve profond, remarque)-
non non, ce n’est pas tout à fait vrai
Quand sera-t-il enfin disponible en dvd zone 2 soustitré ?
Moi je l’ai
ah ça.. difficile à dire. Certains John Huston n’existent même pas en zone 1… Ceci dit, le DVD zone 1 de Reflets dans un œil d’or est d’une excellente qualité (superbe image, comme vous pouvez le constater sur les captures d’écran dans l’article) et est sous-titré en français.
Excellent film que j’avais revu récemment au cinéma avec une amie, qui a apprécié aussi, même si la pellicule était standard sans couleur jaune. Il y a la version dorée qui était désirée par Huston et la version « commerciale » aux couleurs non retouchées. Vivement que le film sorte dans les deux versions en dvd zone 2. Pour ce qui est de la curieuse réflexion sur les fesses d’Elizabeth Taylor lue plus haut, il faut savoir que c’est sa doublure qui a fait les scènes de nu. Dommage !
Merci pour le commentaire!
personnellement je trouvais ses fesses plutôt belles, je suis un peu déçu pour la doublure… vu son cachet, elle aurait pu faire un effort!
Je souhaite vivement acheter le DVD « Reflets dans un oeil d’or », film de John Huston que j’ai déjà vu au cinéma. Comment et où pourrais-je me le procurer ?
Je vous remercie de bien vouloir me renseigner à ce sujet.
Bonjour,
vous pouvez acheter l’édition zone 1 (avec des sous-titres français) sur amazon.com ; c’est une superbe édition pour laquelle le film est présenté dans la version « dorée » voulue par john huston, un travail remarquable a été effectué (la copie originale dorée a disparu, c’est donc ici un travail contemporain basé sur la vision du réalisateur) et le rendu visuel est magnifique.
http://www.amazon.com/Reflections-Golden-Eye-Marlon-Brando/dp/B000KHI2FS/ref=sr_1_1?ie=UTF8&s=dvd&qid=1271163331&sr=1-1
Par contre, vous ne pourrez lire ce DVD qu’avec un lecteur DVD multizones, ou éventuellement sur PC avec le lecteur approprié… je pense qu’il est possible également de le graver sur pc, de le dézoner et de le regraver, mais attention à ne pas perdre en qualité avec la compression car l’image est vraiment belle.
un chouette film par sa couleur pourtant un peu mou. servi par de très bons acteurs. les personnages sont simples en apparence mais en fait, ils sont rongés par leurs névroses. je déplore cependant que les chevaux morflent dans les films de John Huston, comme dans les « misfits »…
Ah! j’oubliais, on peut le voir et le revoir tout ce mois-ci, en avril 2010, sur cine-géants en film à la demande. et en version dorée.
Merci Citizen Poulpe pour ce brillant article. Je viens de revoir ce film magnifique sur Ciné Classique et cela m’a aidé à prêter attention à certains détails. Elizabeth est, comme à l’accoutumée, excellente!
Merci à vous pour votre commentaire. Oui Elizabeth Taylor est remarquable dans « Reflets dans un œil d’or ». C’est aussi l’une des compositions de Brando les plus fascinantes ! Puisque vous aimez Taylor, je vous conseille vraiment « Soudain, l’été dernier » et bien sûr « Qui a peur de Virginia Woolf ?« , si vous n’avez pas déjà vu ces deux films.