Film de Jack Clayton
Titre original : The Innocents
Année de sortie : 1961
Pays : États-Unis
D’après le roman de Henry James, Le Tour d’écrou (The Turn Of The Screw)
Adaptation : William Archibald, Truman Capote (dialogues additionnels), John Mortimer
Photographie : Freddie Francis
Montage : Jim Clark
Musique : Georges Auric
Avec : Deborah Kerr, Michael Redgrave, Peter Wyngarde, Megs Jenkins, Pamela Franklin, Clytie Jessop, Isla Cameron.
En 1961, Jack Clayton porta à l’écran le célèbre (et brillant) roman de Henry James, Le Tour d’écrou. Mêlant fantastique et psychologie, Les Innocents est devenu un classique du genre.
Synopsis de Les Innocents
Angleterre, fin du 19ème siècle. Miss Giddens (Deborah Kerr), une jeune institutrice, est engagée pour s’occuper de deux enfants orphelins, dont l’oncle (Michael Redgrave) ne souhaite pas assurer l’éducation. Flora (Pamela Franklin) et Miles (Martin Stephens), les enfants en question, vivent dans un manoir à la campagne, en compagnie de leur nourrice Miss Grose (Megs Jenkins) et de domestiques.
D’abord charmée par la beauté des lieux et par la présence des enfants, Miss Giddens est rapidement intriguée par certains aspects du comportement de ceux-ci, par l’atmosphère ambiante et surtout par des apparitions étranges… Peu à peu, la jeune femme soupçonne que les fantômes de Miss Jessel, l’ancienne gouvernante, et de Peter Quint, le valet (tous deux morts dans des circonstances mystérieuses), hantent la propriété…
Critique du film
L’implication de Truman Capote
Le Tour d’écrou (1898), écrit par le génial écrivain américain (naturalisé britannique en 1915) Henry James, est considéré (à juste titre) comme l’un des plus grands textes de la littérature fantastique. Ce sont le dramaturge William Archibald (qui avait déjà signé une version théâtrale du Tour d’écrou) et l’illustre écrivain Truman Capote qui se chargèrent d’écrire l’adaptation cinématographique de cette ghost story particulièrement subtile. Capote s’investit beaucoup sur Les Innocents ; il était d’ailleurs souvent présent sur le tournage pour réécrire ou ajouter des dialogues.
Pour tenir le rôle de Miss Giddens, le choix du distributeur (la 20th Century Fox) se porta sur Deborah Kerr (La Nuit de l’Iguane ; Le Narcisse Noir). Choix judicieux : il émane en effet de la comédienne écossaise une impression de pureté et de candeur qui correspond fort bien au personnage imaginé par Henry James.
Une réalisation au service des enjeux complexes du récit
Jack Clayton décida de tourner Les Innocents en noir et blanc, sans doute pour jouer sur des effets de lumière expressionnistes et sur des oppositions (clarté/obscurité) très en vogue dans le cinéma fantastique d’alors, et dont Jacques Tourneur fut l’un des pionniers avec La Féline. Un parti pris également cohérent par rapport à l’histoire, dans laquelle s’opposent, justement, la pureté (apparente ?) de l’héroïne et la perversité à laquelle elle est confrontée. Notons que la photographie du film est l’œuvre de l’excellent chef opérateur Freddie Francis, qui travaillera plus tard, entre autres, sur trois films de David Lynch (Elephant Man ; Dune ; Une Histoire vraie) ainsi que sur Les Nerfs à Vif, de Martin Scorsese, remake du film éponyme de Jack Lee Thompson.
Même s’il use (à bon escient) de quelques effets déjà classiques à l’époque (bruits de tonnerre ; claquements de porte), Jack Clayton se distingue par une sobriété, une finesse et un sens de la suggestion qui font que Les Innocents demeure aujourd’hui une référence du genre fantastique en termes de réalisation. Cette qualité sur le plan formel n’a pas qu’un intérêt purement esthétique : la composition de certaines séquences, chargées de détails significatifs et symboliques, mettent intelligemment en lumière l’ambiguïté et les différents niveaux de lecture inhérents au célèbre roman d’Henry James. Comme chez Tourneur, la mise en scène est donc ici non pas seulement un moyen de créer de la tension, mais aussi de valoriser les enjeux implicites du récit.
L’ambiguïté des Innocents
En effet, Le Tour d’écrou n’est pas une « simple » histoire de fantômes : comme beaucoup de récits fantastiques, il présente un visage différent selon l’angle duquel on l’observe, et Jack Clayton et ses scénaristes en sont parfaitement conscients lorsqu’ils travaillent sur Les Innocents.
Le roman décrit l’expérience d’une jeune femme sage, pure, croyante, qui n’a probablement jamais perçu certains aspects de l’humanité, aussi bien chez les autres qu’en elle-même. D’emblée séduite par son employeur (un séducteur invétéré, interprété dans le film par Michael Redgrave), on peut supposer qu’elle est déjà vulnérable (disons dans un état « propice au vertige ») lorsqu’elle arrive au manoir pour prendre ses fonctions. Or un autre personnage va, de manière beaucoup plus brutale, la confronter à un univers dérangeant : Peter Quint (Peter Wyngarde), le valet décédé quelques temps avant son arrivée.
Pervers, charismatique, séduisant (Miss Giddens en convient elle-même, après avoir distingué son visage derrière une vitre), Quint entretenait une relation sadomasochiste avec Miss Jessel (Clytie Jessop) – relation à laquelle les enfants ont été largement exposés. Miss Giddens fait donc ici face à une sexualité trouble, en opposition avec les valeurs issues de son éducation. Si elle s’érige rapidement en défenseur de l’innocence des enfants et qu’elle se veut un rempart entre eux et le couple douteux formé par Quint et Miss Jessel, certaines séquences montrent bien qu’une partie d’elle-même est attirée par ce que sa morale réprouve, et son conflit intérieur est au cœur du film (et du roman dont il est tiré).
Le personnage de Quint, bien que peu développé, est lui-même assez ambigu, puisque si Miss Grose (la nourrice) le qualifie de « pervers », elle évoque également la gentillesse et l’attention qu’il témoignait aux enfants et notamment à Miles. Le livre comme le film évitent ici, assez intelligemment, une opposition stéréotypée entre le bien et le mal ; et c’est d’ailleurs entre autres parce que les choses ne se présentent pas de manière claire et équilibrée que Miss Giddens est déstabilisée : les repères sont flous, contrairement à ce que son éducation lui avait enseigné.
Les Innocents est donc un film à la fois fantastique et psychologique, qui explore habilement l’inconscient de son héroïne. Selon le monteur du film Jim Clark, les fantômes aperçus par Miss Giddens ne sont d’ailleurs que les projections de ses peurs, de ses désirs et de ses frustrations. Tout concourt en effet à faire douter le spectateur quant à la réalité de ce qu’elle voit (les enfants nieront jusqu’au bout l’existence des spectres, et Miss Grose ne les voit tout simplement pas).
La « pression psychologique » (turn the screw) évoquée par le titre de la nouvelle peut donc se référer à la fois à celle exercée par Miss Jessel et Peter Quint sur les enfants, et à celle que Miss Giddens leur fait subir en les forçant à admettre l’existence des fantômes, pour mieux nier qu’ils ne sont que l’expression de ses propres démons. Si cette interprétation est très pertinente, on peut tout à fait pencher pour une vision fantastique du film qui ne contredit en rien une lecture également psychologique des événements (les esprits sont bien « réels », et ils confrontent la protagoniste à des pulsions refoulées).
Michael Winner réalisera en 1971 Le Corrupteur (The Nightcomers), qui se présente comme une préquelle à l’histoire d’Henry James, l’action se déroulant avant la mort de Quint (joué par Marlon Brando dans le film de Winner) et de Miss Jessel. C’était là l’occasion de développer le personnage du valet, très mystérieux dans la nouvelle et dans Les Innocents, ainsi que sa relation avec les enfants et Miss Jessel. Une idée intéressante mais, à mon sens du moins, pas très bien exploitée par le réalisateur d’Un Justicier dans la ville.
Par la finesse de son récit (aux différents niveaux de lecture) et l'élégance de sa réalisation, Les Innocents reste encore aujourd'hui l'une des références absolues du film de fantômes.
5 commentaires
Il faut avoir vu La version Française « remonté » car les deux plans où Peter QUINT apparaît dans la version anglaise, disparaissent dans la version VF!! Et cela s’approche beaucoup plus de l’atmosphère ambigüe d’Henry James. D’autant plus, que tout suggère l’interprétation de Deborah Kerr au début du film « oui, oui J’ai beaucoup d’imagination ». Les voix françaises ajoutent à chaque personnage un caractère plus profond de chacun des personnages notamment celle de la nounou beaucoup plus en rondeur que la fermeté de la version anglaise…
Par contre, s’agissant d’un autre film « l’homme qui rétrécit » la version française à éviter (voix de Jacques Thebault) pas adapter au personnage et narration Trop cartésienne (je dois manger pour survivre) par rapport à la version américaine beaucoup plus métaphysique (Je sais que je vais disparaitre mais que je ferais toujours parti de cet univers entre l’ infiniment grand et et l’infiniment petit qui se rejoignent en un seul point…
Sam
bonsoir,
pourriez-vous me dire quel est le titre de la « lulaby » que chante la fillette et l’auteur et le titre du poème que récite son frère dans une des scène du film ?
par avance, je vous remercie
nico
Avec presque un an de retard et je m’en excuse, je vous confirme qu’il s’agit de « O Willow Waly », musique de Georges Auric, paroles de Paul Dehn. Encore désolé pour cette réponse bien trop tardive !
Rebonsoir, très beau film à l’atmosphère inquiétante qui rend bien le roman d’Henry James. Bonne soirée.
On rapprochera le rôle de la gouvernante de celui de la sœur dans « Le Narcisse noir » – ah, Deborah Kerr… Que pensez-vous de « La Foire aux ténèbres », du même Clayton, et de son « Gatsby » ?