Film de Michael Powell et Emeric Pressburger
Année de sortie : 1947
Titre original : Black Narcissus
Pays : Royaume Uni
Scénario : Michael Powell et Emeric Pressburger, d’après le roman de Rumer Godden
Photographie : Jack Cardiff
Montage : Reginald Mills
Musique : Brian Easdale
Avec : Deborah Kerr, David Farrar, Jean Simmons, Kathleen Byron
Sister Clodagh: And the cabbages?
Sister Philippa: Foxgloves.
Sister Clodagh: And the runner beans?
Sister Philippa: Honeysuckle.
Sister Clodagh: And the onions?
Sister Philippa: Tulipes.
Sister Clodagh: And the potatoes? All flowers?
Le Narcisse noir, de Michael Powell et Emeric Pressburger, est un film magistral sur le plan esthétique, à l’atmosphère lascive et envoutante. Il traite principalement de l’influence de l’environnement naturel et culturel sur les êtres humains, et illustre, avec beaucoup d’élégance et de poésie, l’opposition entre des forces contraires.
Synopsis de Le Narcisse noir
A l’époque ou l’Inde est encore une colonie britannique, une jeune religieuse anglaise, Sœur Clodagh (Deborah Kerr), est chargée par sa supérieure de diriger un couvent au cœur de l’Himalaya, baptisé Mopu.
Confrontées à un environnement naturel et culturel très différent de celui auquel elles étaient accoutumées, les religieuses vont chacune éprouver des sensations et émotions inhabituelles et vertigineuses.
La présence de Dean (David Farrar), un séduisant colon censé conseiller Sœur Clodagh en raison de sa connaissance de la culture locale, ne va pas arranger les choses…
Critique
L’Himalaya de Michael Powell
Aucun plan du film n’a été tourné en Inde. Le parti pris de Michael Powell a été de tourner intégralement Le Narcisse noir en Angleterre, en faisant construire le palais où se déroule l’action, tandis que les paysages – qui servent de toiles de fond – sont l’œuvre de peintres.
Le résultat eût pu être incroyablement kitsch, il est en réalité extraordinaire. Étincelant d’un magnifique Technicolor, Le Narcisse Noir contient des images d’une beauté saisissante, résultat de la qualité des peintures, des couleurs, de la photographie sublime de Jack Cardiff et, bien sûr, du génie d’un duo de réalisateurs exceptionnel, Michael Powell et Emeric Pressburger.
Le film est probablement l’un des meilleurs exemples, aujourd’hui encore, des merveilles visuelles pouvant découler d’une approche à la fois cinématographique et picturale, de surcroît quand celle-ci est au service d’une histoire, d’un sujet – ce qui est assurément le cas ici, comme nous allons le voir.
Un environnement créateur de vertiges
Le Narcisse noir est une illustration saisissante de l’influence que l’environnement peut exercer sur les émotions, et par extension les convictions et comportements de l’être humain.
Progressivement, le paysage magnifique et vertigineux qui encercle les religieuses les détourne des règles (strictes) auxquelles elles sont assujetties. Mais cette évolution se manifeste dans un premier temps de façon subtile. Chacune, et notamment l’héroïne sœur Clodagh (Deborah Kerr), se remémore des scènes de leur passé, du temps où elles n’étaient pas encore des religieuses – à ces souvenirs correspondant des sensations qu’elles s’étaient par la suite interdites d’éprouver. Plus généralement, les sœurs ne parviennent plus à trouver de sens à leur travail, et à raisonner selon les principes inhérents à leur vocation.
Ainsi sœur Philippa, là où elle devait entretenir un potager de légumes, plante en réalité diverses variétés de fleurs. Le symbole est évident : au rationnel, au pratique (la nourriture), se substituent la beauté et la volupté (les fleurs).
L’effet est plus puissant, encore, sur sœur Ruth (Kathleen Byron), qui était déjà en proie au doute avant son arrivée à Mopu ; et le film entretient une tension subtile à mesure que le spectateur devine que le bouleversement émotionnel vécu par les sœurs, et notamment par sœur Ruth (qui se sent attirée par Dean), menace de provoquer des événements dramatiques.
Cette opposition entre une nature synonyme de désir, de vertige et de sensualité et une organisation régie par des règles morales très contraignantes, est présente également dans Pique-nique à Hanging Rock, de Peter Weir, où les forces contraires émanant d’une vieille montagne australienne et d’une école pour jeunes filles s’opposent de la même manière que l’Himalaya pictural de Powell et le couvent britannique dans Le Narcisse noir.
Des images superbes, inventives et symboliques
Ce qui est admirable chez Powell et Pressburger, c’est leur capacité à composer des plans dont chaque détail est minutieusement travaillé, pour aboutir à un résultat d’une esthétique non seulement originale et impressionnante, mais également chargée de sens, c’est-à-dire au service de l’histoire et du propos.
Chaque image témoigne en effet d’une symbiose parfaite entre le fond et la forme, comme ce plan montrant, de haut, sœur Ruth sonner la cloche au bord d’un grand vide, symbole du vertige sensoriel et de l’abandon de soi, en opposition à la rigueur propre à la congrégation dont elle fait partie ; et dans le plan suivant, son sourire – tandis qu’elle regarde vers le bas – est révélateur de la tentation sensuelle qu’elle éprouve.
Le Narcisse noir est une expérience esthétique fascinante, dont le souvenir évoque les visions colorées, serpentines, qui s’incarneraient dans les volutes d’un narguilé aux fruits sanguins, fumé un jour de pluie ; comme celle, lourde et soudaine, qui tombe dans la dernière scène du film.
8 commentaires
… Toi je suis sûre que tu as adoré Rousseau en première.
Sale fayot !
Je n’ai jamais lu Rousseau en fait. Je connais vite fait ses théories sur l’enfant innocent corrompu par la société et je les trouve nazes, mais il parait que les « rêveries… » est un beau livre.
… Tu veux dire que tu n’as PAS LU les Confessions ?
Même pas fait semblant ?
Mais, mais… comment tu as fait pour passer le bac français ?
…
Haaaaan !
Le citoyen poulpe n’a pas son bac !
Le narcisse noir est vraiment un film unique!!!!! quel film a des images aussi belles? Une simplicité aussi poignante??? c’est la première fois qu’on voit d’aussi belles quiches à l’écran sans avoir envie qu’un acteur leur envoie un coup de chevrotine, tellement c’est beau. Bon, Melville Poulpo: Rousseau est le plus grand prosateur de la langue française!!!! quant à ses théories, tout le monde les reconnait fausses, mais elles ont fait de lui le père de l’anthropologie, de l’ethnologie (discours sur les origines de l’inégalité), de la pédagogie (l’émile); sans compter du marxisme (aussi le discours), des droits de l’homme, de l’anti impérialisme, des institutions démocratiques (le contrat social); quand à la nouvelle héloïse et les rêveries, c’est magnifique et c’est précurseur du romantisme; ne parlons pas de ses opéras (Louis XVI voulait en faire son compositeur personnel) n’oublions pas les confessions, un chef d’oeuvre inégalé!!!!!!!!
je rajoute que le contrat social reste d’actualité au niveau de ses théories et n’a pas pris une ride…
je m’incline, ta connaissance de rousseau est bien supérieure à la mienne…
Film sublime. On comprend que des Coppola, des Scorcese et des Tavernier se soient battus pour que les films de Powell soient mieux connus voire sauvés. Ne pas chercher à tricher en faisant de la littérature ou du théâtre filmé ça donne ça : la démonstration d’un art unique qui est le cinéma.
Walter
Tiens le film est ressorti la semaine dernière je crois..;Je vais tenter d’aller le voir…